Le jour et l'heure présente une famille de six adultes (un couple parental et leurs quatre enfants), leurs derniers moments ensemble. Le jour et l'heure montre l'itinéraire de cette famille vers le lieu ultime : celui de la fin de vie de la mère (Édith), elle qui a décidé de sa mort, de vivre ses derniers instants, entourée des siens.
Carole Fives est une écrivaine subtile : elle ne choisit pas au hasard ce clan de professionnels de la médecine qui pourtant se montrent démunis face à leurs sentiments, leur douleur de l'abandon, face à ce deuil programmé de longue date et qui tarde à arriver. Parce qu'au-delà du choix d'Édith, tous aussi cheminent (les souvenirs d'enfance jaillissent, la mémoire familiale qui a construit leur unité, leurs chemins de traverse, leurs réflexions).Le jour et l'heure pose la question de la mort assistée, non pas d'un point de vue éthique (ce qui est un choix opérant de la part de Carole Fives qui allège ainsi son écrit d'un côté moralisateur), mais d'un point de vue familial, des liens familiaux que cette mort annoncée opère, des conséquences qu'elle induit dans la vie des autres.
Et le questionnement est intéressant :
* d'un point de vue de la personne qui décide cette mort assistée : elle vide elle-même ses placards, elle est dans le contrôle du déroulement de sa fin de vie, d'une certaine façon elle se libère et vit plus légèrement cette étape qui n'aurait été que cumul de douleurs atroces liées à sa maladie (cancer incurable) et aux traitements pour prolonger sa survie. Mais la volonté affichée par Édith devient quelque chose qu'elle impose à ses proches et jusqu'au bout, ils n'auront pas le choix. Et c'est là que la volonté d'Édith d'imposer la présence des siens à son dernier souffle montre aussi une forme d'égoïsme, parce que c'est aussi leur imposer ses tout derniers moments, cette dernière image de pompage,... c'est aussi un risque de les traumatiser. Parce que tout le monde n'a pas la même distanciation ni le même cheminement face à cette mort voulue.
* du point de vue de ses proches, mis au courant de cette date : leur vie pour certains se cristallise à cette date, c'est alors une forme de compte-à-rebours qui s'opère entre le moment où ils connaissent la date choisie et la mort réelle, ce compte-à-rebours qui les empêche de profiter de l'instant présent parce qu'ils se projettent déjà dans un avenir plus ou moins proche où le monde sera sans Édith, et ces moments d'intimité peuvent alors devenir douleur (celle qui renvoie au manque déjà) alors que la personne est bien présente.
J'ai beaucoup aimé Le jour et l'heure qui diffuse aussi le quotidien professionnel et personnel de cette fratrie (une presque sororité avec un singleton masculin entouré de trois frangines), les divers parcours de vie. Mine de rien, Carole Fives aborde aussi la violence psychique au sein du couple, les cadences infernales du monde hospitalier, le travail en prison...
Le jour et l'heure nous propose une polyphonie de témoignages, une réflexion sur la vie et la mort. Cet écrit n'est pas gai mais il n'est pas non plus plombant et surtout il permet de réfléchir sur sa propre vie et sur la façon de l'achever en cas de maladie incurable. J'ai énormément aimé ce récit parce qu'il m'a confronté à la réflexion de la mort, à ce que j'ai vécu ces six dernières années : la mort de trois très proches suite à un cancer incurable ou un affaiblissement inélectuable du corps. Dans deux situations, deux proches ont vécu les pires souffrances pour "prolonger la survie et préparer son fils et sa famille à sa mort" pour l'une, "pour s'autoflageller" pour l'autre (très très pieuse et un brin masochiste) ; et clairement leur déchéance physique a surtout aidé leurs survivants à se préparer intellectuellement au futur décès (mais que de souffrance, que de souffrance pour cela !). Dans le troisième cas, le combat de la maladie a été vain, la mort a surpris tout le monde (sauf peut-être le corps médical) mais il est clair que le combat qui aura duré 10 ans et pendant lequel il y a eu des hauts et des bas aura permis de préparer la famille à accepter le décès en temps voulu. En fait, je crois que si je me savais malade incurable, je choisirais comme Édith la mort assistée mais je n'imposerais pas tout à ma famille, sauf si elle le souhaite.
Sur le même thème : l'écrivaine Noëlle Châtelet a écrit le très beau La dernière leçon.
Éditions Jean-Claude Lattès
avis : Antigone, Cathulu, Mimipinson,
De la même autrice : Que nos vies aient l'air d'un film parfait - Tenir jusqu'à l'aube - Térébenthine -