S’il est un livre qui mérite une attention toute particulière en cette rentrée littéraire, c’est, selon moi, le nouveau roman de Léonor de Récondo, Point Cardinal (Sabine Wespieser éditeur, août 2017). Bien qu’ayant (évidemment) déjà entendu parler de cette auteure, je n’avais jusque là jamais lu aucun de ses romans. Erreur aujourd’hui réparée, pour mon plus grand plaisir.
Dans ce nouveau livre, Leonor de Recondo aborde un thème qui, à ma connaissance, était jusque là peu abordé en littérature. En effet, ce n’est pas tous les jours qu’on tombe sur un livre qui parle de transsexualisme. Et plus que jamais, ce livre m’apparaît nécessaire, ne serait-ce que pour défaire les clichés et les tabous liés à ce sujet.
Sur le parking d’un supermarché, dans une petite ville de province, une femme se démaquille. Enlever sa perruque, sa robe de soie, rouler ses bas sur ses chevilles : ses gestes ressemblent à un arrachement. Bientôt, celle qui, à peine une heure auparavant, dansait à corps perdu sera devenue méconnaissable.
Laurent, en tenue de sport, a remis de l’ordre dans sa voiture. Il s’apprête à rejoindre femme et enfants pour le dîner. Avec Solange, rencontrée au lycée, la complicité a été immédiate. Laurent s’est longtemps abandonné à leur bonheur calme. Sa vie bascule quand, à la faveur de trois jours solitaires, il se travestit pour la première fois dans le foyer qu’ils ont bâti ensemble. À son retour, Solange trouve un cheveu blond…Léonor de Récondo va alors suivre ses personnages sur le chemin d’une transformation radicale. Car la découverte de Solange conforte Laurent dans sa certitude : il est une femme. Reste à convaincre ceux qu’il aime de l’accepter.
La détermination de Laurent, le désarroi de Solange, les réactions contrastées des enfants – Claire a treize ans, Thomas seize –, l’incrédulité des collègues de travail : l’écrivain accompagne au plus près de leurs émotions ceux dont la vie est bouleversée. Avec des phrases limpides et d’une poignante justesse, elle trace le difficile parcours d’un être dont toute l’énergie est tendue vers la lumière.
Par-delà le sujet singulier du changement de sexe, Léonor de Récondo écrit un grand roman sur le courage d’être soi.
Comme elle l’a révélé récemment dans La Grande Librairie (France 5), le point de départ de ce roman, c’est un article de presse. Un entretien avec Caitlyn Jenner (ancien sportif de haut-niveau, et ex beau-père d’une certaine Kim K), qui est devenue femme, aujourd’hui pleinement épanouie.
La première scène du livre pose les jalons de l’histoire. Elle nous permet de faire la connaissance de Mathilda, qui retourne à sa voiture, sur un parking de supermarché. Ses mains effeuillent doucement son visage, lequel était dissimulé sous une couche d’artifices et de maquillage. Et là, Mathilda redevient Laurent, ce père de famille ordinaire, attendu pour dîner par sa femme et ses enfants. Personne ne connaît son secret. Seule Cynthia, sa camarade du ZanziBar, qui est déjà passée par là, l’accompagne et le soutient face à ses questionnements intimes.
On comprend rapidement l’enjeu du roman. Tout au long de l’histoire, l’auteure s’attache donc à donner un sens à la quête d’identité de Lauren(t). Elle explore aussi justement que possible les dimensions psychologique et physique qu’implique un changement de sexe. Ce qui pourrait être perçu comme une lubie ou une détresse passagère, comme le pensent certains de ses proches, apparaît comme pour Lauren(t) comme quelque chose d’inscrit au plus profond de son esprit et de sa chair. Le lecteur ne peut qu’être admiratif et ému devant une telle évidence.
Cependant, on ne peut pas résumer Point Cardinal à un roman sur l’identité transgenre. C’est bien plus que cela. C’est avant tout un roman sur la réalisation et l’acceptation de soi. Sur la nécessité d’être en accord avec soi-même pour être pleinement vivant. Le personnage de Laurent en est la parfaite illustration. Mais bien plus que la transition personnelle du père de famille, le roman évoque aussi l’entourage, familier et professionnel. Bien que Laurent soit le point central de cette histoire, l’auteure n’en oublie pas pour autant de considérer ce que ressentent femme, enfants et collègues. Parce qu’il n’est pas de changement intérieur sans conséquence extérieure. Pas de transformation individuelle sans un bouleversement à plus grande échelle…
Ce qu’il est aussi important de souligner, c’est la façon que Léonor de Recondo a d’évoquer le sujet de la transidentité dans ce qu’il a de plus profond et de plus intime. L’histoire se déroule sous nos yeux avec finesse et fluidité. L’écriture se veut respectueuse et élégante, la lecture est fluide. Le piège aurait été de tomber dans l’excès ou le pathos, mais il n’en est rien.
En finalement peu de pages, ce roman réussit à bousculer les préjugés, à éveiller les consciences. C’est en tout cas l’effet que ce livre a eu sur moi, au-delà de l’émotion que j’ai ressenti en le lisant. Je ne peux maintenant plus que vous inciter à en faire de même… En espérant qu’il vous touche autant qu’il m’a touchée.