Nos vies romancées · Mon année de repos et de détente · Le destin de Fausto

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Un nouveau billet " trois dans un ", composé de trois coups de cœur. Ce qui est, disons-le, plutôt exceptionnel.

Nos vies romancées · Mon année de repos et de détente · Le destin de Fausto

Dis-moi ce que tu lis, je te dirais qui tu es...

Une fois encore, je suis allée à la rencontre d'Arnaud Cathrine. Cette fois, point de roman, mais une sorte d'autobiographie littéraire. Parler de soi, à travers les livres qui ont compté. Nos vies romancées est unlivre sur les livres, sur ce qu'ils révèlent sur nous, sur leur aptitude à nous raconter.

En lisant un passage de la préface, les mots d'Arnaud Cathrine m'ont piquée au vif. Je te partage un petit bout du passage en question :

Alejandra Pizarnik note en 1959 dans son journal intime : " Je dois arrêter de lire les auteurs dont je peux me passer, ceux qui pour le moment ne m'aident pas." Les livres que je voudrais évoquer ici m'ont infiniment aidé. Au moment où je les ai lus, bien sûr, mais aujourd'hui encore. Je les relis à intervalles réguliers. On appelle cela des "livres de chevet".

En six chapitres, chacun portant sur un auteur, Arnaud Cathrine se consacre à un exercice d'admiration et de reconnaissance. Qu'il évoque de Carson McCullers, Frankie Addams Bonjour Minuit de Jean Rhys, Mars de Fritz Zorn, ou encore q u'il écrive sur Sagan, l'épicurienne anticonformiste, la démarche d'Arnaud Cathrine est contagieuse. En plus de donner envie de lire - ou de relire - les auteurs cités, il pousse à jeter un œil scrutateur sur nos propres livres de chevet.

Le rôle de l'écrivain est de prêter à autrui les mots dont il a besoin pour accéder à lui-même. Charles Juliet

Il arrive qu'un livre, tout comme un visage, fasse partie d'un chapitre précis de notre vie.

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J'ai tourné autour de ce roman pendant longtemps. Je l'ai tenu entre mes mains, souvent, puis reposé, toujours. Il a fallu que ma libraire aux bons goûts le lise et m'infuse son enthousiasme pour que je me décide à le lire.

C'était loin d'être gagné! Ce roman, on l'a vigoureusement aimé ou furieusement détesté. J'ai dû attendre le bon moment, la bonne disposition d'esprit. Je me suis dépoussiéré de mes a priori et j'ai plongé.

Elle a 26 ans, est orpheline et vit à New York. Elle va mettre, pour la prochaine année, sa vie sur pause. Elle va dormir et avaler des cocktails de pilules par grosses poignées. J'avoue que, dit de même, ça a l'air déprimant sans bon sens. Et pourtant...

Je me tenais à l'écart de tout ce qui risquait de stimuler mon intellect ou de me rendre envieuse, ou angoissée. Je baissais la tête. La vie serait plus supportable si mon cerveau était plus lent dans sa condamnation du monde qui m'entourait.

Le roman d'Ottessa Moshfegh peut se lire à deux niveaux. Soit on le lit en surface, gobant les mots, enfilant les chapitres. Ça donne un Journal de Bridget Jones plombant. Soit on lit entre les lignes et là, ça frappe comme un coup de masse.

Ottessa Moshfegh pose un regard intransigeant et extrêmement lucide sur notre monde de faux-semblants et d'artifices. Ce que son héroïne rejette et veut fuir, ce sont toutes les superficialités et les hypocrisies du quotidien. Pour elle, dormir est le meilleur moyen pour chasser sa misanthropie exacerbée et son aversion pour l'inauthenticité du monde. S'il elle n'avait pas choisi de dormir, de s'engourdir, elle se serait assurément suicidée. Le fait qu'elle hiberne pendant un an laisse entrevoir un petit filet de lumière sous sa porte. Elle rêve d'en sortir transformée.

Avec une acuité sociologique prodigieuse, Ottessa Moshfegh s'attaque aux travers de notre époque. Elle caricature à l'extrême ses personnages. C'est tellement gros que ça en devient hilarant. Les questions qu'elle soulève n'ont pas fini de germer dans mon esprit : sur quoi repose l'amitié ? À quoi tient l'amour ? À quoi sert le culte des apparences ? La société de consommation peut-elle apporter le bonheur ? L'art contemporain est-il une grosse farce ?

Un roman acide, féroce et satirique, porteur d'une richesse impressionnante et insoupçonnée.

, Ottessa Moshfegh, traduit de l'anglais (États-Unis) par Clément Baude, Fayard, 2019, 299 p. ( Mon année de repos et de détente My Year of Rest and Relaxation, 2018)

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Il est vrai que je lis moins d'albums jeunesse qu'avant. C'est plus par manque de temps que par manque d'envie. Je reste toutefois à l'affût des nouvelles parutions, parce qu'il y a des auteurs / illustrateurs auxquels je reste fidèle. Dans mon petit panthéon figure Oliver Jeffers. Son nouvel album, il me le fallait.

Fausto, un tyran moustachu en costume trois pièces , croit que tout lui appartient. Il n'a qu'à pointer le doigt et à crier " Tu es à moi " pour que fleur, mouton, arbre, champ et lac se plient à sa volonté et consentent à lui appartenir. Devant la montagne, il doit hausser le ton et taper du pied pour qu'elle abdique et se soumette. Comme Fausto est insatiable et qu'il veut toujours posséder davantage, il part en mer, et veut avoir l'océan pour lui tout seul. Mais l'océan a plus d'un tour dans son sac. Fausto en paiera le prix fort...

Oliver Jeffers s'est inspiré d'un poème de Kurt Vonnegut, qui apparaît sur la dernière page de l'album. Dans ce poème, Vonnegut cite la perspicacité de son ami Joseph Heller, affirmant qu'il possède quelque chose que le plus riche des hommes ne pourrait posséder, à savoir la certitude d'avoir assez.

La fable de Jeffers m'a évidemment fait penser au La mise en page épurée, Petit Prince et à sa floppée de personnages archétypaux, dont l'homme d'affaires qui préfère compter les étoiles pour mieux les posséder plutôt que de se laisser porter par leur beauté. les lithographies avec ses touches de rose violent, de jaune acide et de bleu profond brillent par leur ampleur.

Cette fable sur l'avidité, sur le désir insatiable de possession et sur la tyrannie tombe à point par les temps qui courent. La simplicité du message ne fait que rendre sa portée plus forte.

"Kaléidoscope", 2020, 96 p. ( Le destin de Fausto, Oliver Jeffers, École des loisires, coll. The Fate of Fausto)