Reckless éliminer les monstres : troisième manche chez delcourt

RECKLESS ÉLIMINER LES MONSTRES : TROISIÈME MANCHE CHEZ DELCOURT

 Ed Brubaker et Sean Phillips, voici un duo qui ne chôme pas. Ils en sont déjà à leur troisième roman graphique en l'espace d'un an, avec un personnage devenu incontournable en aussi peu de temps, Ethan Reckless. Chacune des aventures de ce type chargé de résoudre vos problèmes, de quelques natures qu'ils puissent être, dans des polars ultra bien ficelés et intelligents, sont devenus des instants de lecture précieux et recherchés par beaucoup de lecteurs, moi y compris. Ce troisième volume s'ouvre alors que le cinéma dans lequel Ethan habite est en flammes. On devine que comme à son habitude, il s'est mis dans de bien mauvais draps en acceptant une mission qui est partie de travers. Pire encore, cette fois les relations avec Anna, la jeune fille qui partage son quotidien et l'aide pour gérer les affaires courantes dans ses activités, est en train de péricliter, comme il est juste que cela soit. Anna souhaite avant tout une vie normale et si elle est papillonne d'une relation à l'autre, elle semble avoir cette fois trouvé le bon, celui avec qui construire quelque chose, et donc avoir la nécessité de s'éloigner. Le blues pour l'ami Reckless, qui a bien du mal à encaisser le choc, même si toute les émotions qu'il ressent reste bien enfouies en lui depuis un accident dont il a été victime. Pour sa part, sa nouvelle enquête consiste à s'immiscer dans une affaire de pontes de l'immobilier. Des constructeurs que tout oppose, l'afro-américain Isaac Presley et le perfide Runyan, plus particulièrement les origines ethniques, ce qui a son importance dans la jungle des promoteurs californiens des années 1980. 

RECKLESS ÉLIMINER LES MONSTRES : TROISIÈME MANCHE CHEZ DELCOURT
S'il est une chose qu'il est possible de remarquer dans ce troisième volume des aventures de Reckless, c'est que cette fois les failles viennent plus de l'intérieur que d'événements extérieurs. Si vous retirez la jeune Anna de l'équation, que reste-t-il à cet homme solitaire qui est payé pour résoudre les problèmes des autres, mais qui n'est pas toujours en mesure de se rendre compte de quels sont les siens véritables, ce qui induit un sentiment de solitude et ce réflexe malheureux de s'emmurer à l'intérieur de soi-même, ou de manière moins métaphorique, dans un vieux cinéma de quartier que plus personne ne fréquente. Une troisième aventure d'autant plus intéressante et pertinente que Ed Brubaker s'est parfaitement documenté sur la réalité du monde des promoteurs immobiliers dans les années 1980. Il sait ce dont il parle et c'est une tranche de l'histoire de la Californie qui est aussi mise en valeur dans ce récit, où il est question de trahison, d'ambition, de mensonges, de corruption, de ce qui se passe lorsqu'on précipite le cours des événements, même lorsqu'on a raison et le bien de son côté. Comme à son habitude, Sean Phillips accompagne son compère dans cette aventure. Est-il possible de déceler par endroits quelques petites baisses de forme, quand on sait le rythme effréné qu'a pris ces derniers mois la production des graphic novels consacrés à Reckless? Pour être honnête, il me serait impossible d'affirmer avec certitude qu'il s'agit là de son meilleur travail; pour autant on retrouve tout ce qui fait la grande classe de cet artiste, le cadrage cinématographique et un dessin faussement old school, parfaitement mis en couleur d'ailleurs par son propre fils Jacob. Il est assez rare qu'un personnage devienne un classique instantané comme l'a été Reckless. Chaque nouvel aventure, chaque nouvel album utilise les mêmes codes, pour arriver à un résultat différent, et avec ce troisième opus, nous avons même une variation sur le thème, à savoir la fragilité de l'intime, qui commence à poindre. Il ne faut pas non plus sous-estimer la scène finale qui nous projette plus avant dans le temps et nous permet de comprendre que le meilleur, ou en tous les cas le plus poignant, reste toujours à venir. Ce troisième tome réserve donc plus ou moins le même effet que les autres, à savoir qu'on l'achève en ayant en tête une seule pensée : aller tout de suite vérifier sur Internet s'il est possible de trouver la date de sortie du prochain. Tel est l'effet de cette série totalement indispensable, disponible chez Delcourt.RECKLESS ÉLIMINER LES MONSTRES : TROISIÈME MANCHE CHEZ DELCOURT