Dernier week-end de janvier (Bastien Vivès – Editions Casterman)
Pour les amateurs et les auteurs de bande dessinée, le dernier week-end de janvier est synonyme de festival d’Angoulême, la grand-messe du Neuvième art. Cette année, le dessinateur Denis Choupin s’y rend un peu à contrecoeur. Le scénariste de sa série « Opération Hitler » n’a pas pu l’accompagner parce qu’il s’est fait un lumbago et en plus, Denis doit absolument quitter Angoulême samedi soir ou dimanche matin au plus tard parce que son fils se fiance le dimanche. Pour le reste, c’est la routine, entre les séances de dédicaces, les questions des lecteurs, les conférences où le public ne se bouscule pas, les repas avec les collègues auteurs ou les discussions avec le galeriste Jacquol pour exposer et surtout vendre des dessins originaux de la série, histoire de mettre un peu de beurre dans les épinards. Bref, un festival comme un autre, sans rien de particulièrement excitant. Jusqu’à ce qu’une très jolie femme se présente devant Denis pour lui demander une dédicace. Elle lui précise qu’elle ne connaît pas la BD et que le dessin n’est pas pour elle, mais pour son mari Marc, un collectionneur acharné de bandes dessinées. En ce moment, il est d’ailleurs en train de faire la file pour obtenir une dédicace de Christophe Vignon, un autre auteur. « A votre place, je le prendrais mal », lui sourit-elle. « Je préfère être avec vous qu’avec votre mari », lui répond-il. En quelques échanges de regards, une connexion se crée entre Choupin et la jeune femme, qui s’appelle Vanessa. Une connexion spéciale, mais forcément sans lendemain. Sauf qu’un peu plus tard, alors que Denis se balade dans les rues d’Angoulême pour porter ses originaux à Jacquol, il est interpellé par Marc, le mari de Vanessa, qui a des faux airs de Largo Winch et Michel Vaillant. Afin de le remercier pour sa dédicace, il l’invite au restaurant avec sa femme. Bien évidemment, Denis ne se fait pas prier, tant il ressent une attirance irrésistible pour cette jeune femme d’une élégance folle. D’ailleurs, quand il apprend qu’elle est ORL, il ressent tout à coup comme une otite. Le lendemain matin, il rappelle Vanessa pour lui demander si elle pourrait y jeter un oeil…
Le très éclectique Bastien Vivès renoue avec le genre intimiste dans « Dernier week-end de janvier », qu’il présente comme l’un de ses albums les plus personnels. Pas seulement parce que cette histoire a pour décor le Festival d’Angoulême, que Vivès connaît forcément par coeur, mais surtout parce que ça fait dix ans qu’il cherchait le bon angle pour faire un livre qui parle de dessin. Certes, le personnage de Denis Choupin ressemble plus à Alain Dodier, le créateur de la série « Jérôme K. Jérôme Bloche », qu’à Bastien Vivès lui-même, mais l’auteur a clairement mis beaucoup de lui dans ce dessinateur un peu endormi qui va être réveillé par l’apparition de la lumineuse Vanessa. La preuve, c’est que la manière dont Vivès a rencontré sa propre femme ressemble beaucoup à la manière dont ça se passe dans « Dernier week-end de janvier »: ils se sont en effet croisés pour la première fois lors d’un salon à Toronto, à l’époque elle n’en avait rien à faire de la BD et ils ont immédiatement été sur la même longueur d’ondes. Cela dit, la principale source d’inspiration de Bastien Vivès pour cet album, c’est le film « Lost in Translation » de Sofia Coppola. « C’est vrai, je voulais absolument faire mon propre Lost in Translation, c’est-à-dire une histoire de deux personnes qui ne se connaissent pas du tout et qui sont coincées ensemble pendant quatre jours », explique-t-il. « C’était presque devenu une obsession pour moi. Je suis d’ailleurs un peu déçu parce que je pensais que tout le monde allait penser au film de Sofia Coppola en lisant mon album, mais jusqu’à présent personne ne m’en parle. » On le sait: Bastien Vivès est un grand cinéphile. Sans surprise, il y a donc aussi du Claude Sautet ou du « Sur la route de Madison » de Clint Eastwood dans ce roman graphique à l’ambiance minimaliste, mais rempli de tendresse et d’émotion. La grande force de Vivès, c’est d’avoir un dessin qui lui permet de faire passer énormément de sentiments par des simples gestes et des regards, sans dialogues inutiles. « La plus grande scène d’action du livre, c’est le double aller-retour de Denis vers la gare avec ses originaux sous le bras », rigole Bastien Vivès, qui avait clairement besoin de se ressourcer un peu après ses multiples projets (et polémiques) de ces dernières années. Mais ce n’est qu’une pause passagère, car il travaille déjà sur un prochain album érotique (« L’infirmière »), de même que sur la suite de son Corto Maltese. Sans oublier l’adaptation au cinéma de sa BD « Une soeur » par la réalisatrice Charlotte Le Bon. On n’a donc pas fini d’entendre parler de lui!