Belle-Ile-en-Mer, joyau du Golfe de Gascogne, perle des iles françaises, havre de solitude pour les uns, lieu d'un cauchemar bien réel pour les autres... Durant de longues années, de 1880 à 1977, l'île a abrité la colonie pénitentiaire pour jeunes délinquants de la Haute-Boulogne. Ce bagne pour enfants de 8 à 21 ans, a " hébergé " jusqu'à 400 enfants en même temps et dans les pires conditions: maltraitance et abus, lot quotidien de nombreux petits repris de justice, qui pour un vol de pain ou une effronterie se retrouvaient emprisonnés et livrés à la merci de gardes sadiques. Si d'autres colonies pénitentaires ont existé en France, Mettray en Indre-et-Loire, Eysses en Lot-et-Garonne par exemple, de nombreuses îles ont rempli cet office : les îles du Levant, La Réunion, l'île au nom exotique de Tahitou, qui se situe dans le Cotentin... Le centre de la Haute-Boulogne est rendu célèbre à la suite de l'évasion en août 1934 de 56 colons : ce soir là, les autorités enjoignirent les habitants de l'île de traquer et de dénoncer les fuyards, avec la promesse d'une récompense de 20 francs... En quelques heures tous les évadés ont été retrouvés. Cet épisode inspira à Jacques Prévert (que l'on croise au détour des pages de le poème Chasse à l'enfant. Les 56 enfants sont retrouvés clament les autorités, sauf un qui, selon eux, s'était évadé avant... Détail que déniche Sorj Chalandon dans un article de presse, et dont il fera la trame de ce roman. Le 56 éme devient La Teigne, le jeune Jules Bonneau dont il raconte la vie, avant et aprés l'évasion.
Sorj Chalandon, dont je découvre ici l'écriture, convoque à travers ce roman une image impitoyable de la justice française, capable de créer ces maisons de correction, qui au lieu de " redresser " les jeunes déviants ne leur offrait guère plus qu'un purgatoire censé les briser ou entrenir leur vices. Les " bagnes d'enfants " sont des faits historiques dérangeants mais bien présents de notre passé. Avec des personnages forts attachants, épris de liberté et conscients de l'injustice dont ils sont victimes, l'auteur dénonce les forces de l'ordre qui obéissent au pouvoir en place et les " braves gens " qui les suivent sans discernement, laissant face à l'appât du gain, libre cours à leur hargne. Le récit est touchant, bien que j'ai parfois eu du mal à discerner le réel de l'imaginaire, dû au style particulier de l'écrivain, auquel il faut un temps d'adaptation. Mon attachement pour les personnages, y compris pour celui de La Teigne, et donc mon réel intérêt pour le récit, n'est venu qu'au moment de l'apparition de Camille Loiseau le petit souffre-douleur et ami que cherchait à protéger La Teigne. Le récit endiablé et passionnément documenté que nous propose Sorj Chalandon est un hommage aux enfants victimes de la vindicte populaire et de la bêtise des adultes. Je conseille fortement.
Je remercie les Editions Grasset et Netgalley pour cette lecture.
Autre livre lu traitant de ce sujet : de Jean-Christophe Tixier.