Junichirô Tanizaki (1886-1965) est un écrivain japonais. Etudiant à l'université de Tokyo, il publie en 1910 Le Tatouage, une nouvelle qui lui apporte une célébrité immédiate. Il s'engage alors dans la voie littéraire, publiant de nombreux récits qui s'inspirent souvent d'un Occident et d'une Chine exotiques – jusqu'au grand séisme qui secouera Tokyo en 1923. Tanizaki quitte alors la capitale pour la région de Kyoto et Osaka et, après avoir publié Un amour insensé (1924) qui signe la fin de cette première période, il opte pour un retour aux sources japonaises. L’écrivain laisse une œuvre unanimement considérée comme l'une des plus importantes du XXe siècle japonais.
Chronique inhumaine, roman publié en feuilleton dans une revue en 1958, s’arrête brusquement après quelques numéros et restera inachevé. Si ça ne tenait qu’à moi, j’aurais appelé ce bouquin, « La Femme, l’homme, sa bistouquette et la bombe » mais Tanizaki, plus sérieux et sobre a opté pour Chronique inhumaine, ce en quoi il a certainement bien fait.
Kobe, Japon en 1953. Mazukichi, patron de restaurant, est retrouvé mort chez lui, empoisonné. C’est un homme, monsieur Tsuru, qui a appelé les secours. Les soupçons se portent immédiatement sur sa femme, Murako ; le couple et Tsuru, employé/associé, vivaient tous les trois ensemble. Un couple et l’amant de la femme ? L’affaire est néanmoins complexe car le mort a laissé un testament dans lequel il dédouane par avance son épouse du crime et revendique le suicide. Etrange testament, où Mazukichi écrit « Il faut qu’après absorption la mort ne survienne qu’au bout de deux ou trois heures d’atroces douleurs » !
Le roman débute donc comme un polar bon teint mais très vite, l’interrogatoire de l’épouse et l’historique de leur vie, embraye vers des zones plus perverses et le drame d’Hiroshima. Ce qui nous donne une vision très intéressante sur « l’après » et les essais de redémarrage de la vie par le petit peuple. Mazukichi commençait seulement à ressentir les effets des irradiations nucléaires, il le cachait à son épouse qui n’y voyait qu’une perte de virilité temporaire, « Murako tentait bien de glisser la main sous la couverture, mais l’enroulement était si rigoureusement serré et noué dans le dos qu’elle n’arrivait pas à passer la main entre le tissu et la peau ».
L’enquête se perd en hypothèses et tentatives d’analyse psychologique où masochisme et fantasmes tournent autour d’une possible assistance au suicide mâtinée de relations triangulaires à moins qu’il ne s’agisse d’une volonté d’être tué par son partenaire… ?
Roman inachevé, donc on ne saura jamais le fin mot de l’histoire, ce qui de mon point de vue n’est pas plus mal et rend le roman beaucoup plus intrigant. Pourtant il s’agit là néanmoins d’un bouquin très mineur dans l’œuvre de l’écrivain.