Dans un appartement parisien sous les toits, le cadavre d’un homme nu en décomposition. Crime ? Suicide ? C’est un vieux commissaire de police qui a invité l’écrivain à constater cette horreur et il lui confie des documents très étranges trouvés sur les lieux. Ces papiers sont le journal tenu par le mort durant ses derniers mois et seront le corps du récit…
Le journal de la folie pas ordinaire. Deux chroniques dans la presse littéraire m’avaient laissé deviner que ce bouquin serait « original », en fait j’en suis presque tombé de mon siège à sa lecture ! Un roman qui n’est pas pour tout le monde, il faut le dire très franchement si on est honnête.
Le début du roman mêle le Paris d’aujourd’hui avec ses émeutes destructives répétées chaque samedi et le passé, plus ou moins récent selon les références étayant l’intrigue ; d’un côté la modernité, brocardée par le narrateur, les réseaux sociaux, les influenceurs (« plus t’es mal dans ta peau, plus c’est facile de te fourguer tous les trucs de merde dont tu n’as pas besoin »), le langage et les mots qui ne veulent plus rien dire (« Pour moi c’est ça l’enfer, c’est ça l’Apocalypse : quand le langage ne veut plus rien dire, qu’aucune parole ne peut plus tenir et que la logique devient un truc obsolète de vieux connard dans mon genre ») etc.
Puis arrive(nt) le(s) mystère(s), ce premier cadavre, suivi du suicide du vieux commissaire quelques jours après avoir remis le journal à l’écrivain, vieil homme qui avait aussi fait remarquer à l’écrivain que l’immeuble dans lequel ils allaient entrer montrait les signes d’une architecture très particulière, mascarons étranges, figures diaboliques et autres bizarreries gothiques. Gothique, le premier mot à retenir pour qualifier ce roman.
Quant à la lecture du journal, elle va nous entrainer (du moins pour ceux qui en auront le courage, plus que le goût) petit à petit dans un monde d’horreurs que même moi, qui a beaucoup lu et du gratiné, j’ai eu parfois du mal à supporter, car il ne s’agit pas de délires relevant du fictif ou du fantasme uniquement : le mort était gay, sexuellement très actif, toujours à la recherche d’un partenaire ; de fil en aiguille sa vie va lentement basculer dans d’étranges sensations ou visions chez lui, l’ésotérisme, les pratiques occultes de certains cherchant une forme de « liberté » par le biais du sexe, un engrenage dans lequel il se livre sciemment, conscient qu’au bout cette fameuse « liberté » cet au-delà du mal, lui coûtera la vie.
Personnellement j’ai très peu goûté les nombreuses scènes de sexe homosexuel extrêmement crues et perverses (?) mais c’est aussi par ce médium que notre héros doit avancer dans sa quête. Inversement (?) les amoureux des chats pourront y trouver leur compte avec de nombreuses pages sur ce félin, souvent lié aux mystères occultes, avec Mouche entrée insidieusement dans la vie du futur mort.
Ce bémol ne doit pas non plus cacher les très bonnes choses de ce roman : la belle culture de l’écrivain, sa documentation pointue dans des domaines souvent galvaudés (pratiques ésotériques, sexualité sortant de l’ordinaire commun…). Pour ne citer que quelques références, on croise J.K. Huysmans, Albrecht Dürer et d’autres. De nombreuses réflexions de l’écrivain ne manquent pas de sel, flirtant avec la philosophie, (« Il faut du mystère, de l’ailleurs, de l’épaisseur aux choses : limpides et aplanies, elles finissent toujours par disparaître, annulées dans l’ennui »).
Donc, un bouquin intéressant si on surmonte certaines pages, provocateur dans ses théories, mais que « seuls ceux qui ont la force d’affronter cet abîme se montreront dignes de cette libération que je leur offre, au-dessus des lois des hommes et de leurs carcans débilitants (…) mais c’est un long chemin, une longue nuit obscure qu’il faut traverser. »
« Il m’a paru que la voix de l’homme qui s’exprime ici était singulière, ses rapprochements surprenants, et qu’il racontait quelque chose de la solitude contemporaine. Surtout, j’y ai trouvé une émotion, un mouvement de l’âme comme on en voit rarement et qui, pour singulier qu’il soit, méritait peut-être de figurer dans la grande encyclopédie des tourments humains. Peut-être trouverez-vous comme moi qu’il fait entendre quelque chose de la folie des hommes, de leur capacité à vivre enfermés dans leurs propres fictions, à s’enfoncer en elles ; quelque chose aussi des mystères anciens, atemporels, qui filtrent encore parfois à travers le bruit assourdissant des villes anonymes. »