Jean Giono (1895-1970) est un écrivain français. Romancier de la haute Provence, apôtre d'un idéal de vie naturelle et rustique, il évolua vers une philosophie et un art plus classique. Colline, très court premier roman de l'écrivain, paru en 1929, est aussi le premier volet de la Trilogie de Pan avec Un de Baumugnes (en 1929 également) et Regain (1930). La référence au dieu Pan donne la tonalité de cette trilogie puisqu'il était le gardien des troupeaux et sa mission était de les faire se multiplier. Dieu des forêts et des pâturages, protecteur des bergers, il est venu au monde avec des cornes et des pattes de bouc.
Montagne de Lure dans les Alpes-de-Haute-Provence. Perdu dans ce coin sauvage, les Bastides Blanches, " un débris de hameau " où vivent deux ménages dans quatre maisons : il y a Gondran, sa femme Marguerite et Janet le vieux beau-père ; Arbaud, son épouse et leurs deux filles ; Maurras, sa mère et un petit valet de l'assistance publique ; Jaume, veuf depuis que sa femme s'est pendue dans la grange, et sa fille Ulalie, et puis il y a Gagou, un simple d'esprit arrivé depuis quelques années. Ils sont treize, est-ce déjà un signe funeste ?
Janet, vieux et paralysé sait énormément de choses sur la nature, apprises sur le terrain en l'observant. Aujourd'hui, sur son grabat près de la cheminée, il parle ou radote et ses propos pas clairs font écho aux étranges sensations ressenties par Gondran et les autres ces derniers jours quand ils courent les bois et les champs, leur environnement semble se modifier, le vent, l'orage, les nuages, l'air, le silence pesant ensuite, quelque chose se prépare et le vieux leur conseille d'être sur leurs gardes. Lentement, la peur monte dans le hameau. Et quand la source va se tarir, qu'une des gamines va tomber gravement malade, c'est l'affolement dans la chaleur suffocante de l'été.
Le Janet qui continue a raconter ses trucs bizarres, les hommes qui commencent à voir des signes inquiétants ou se souviennent d'évènements passés suspects et ce chat noir qui annoncerait par sa seule présence des tragédies. L'angoisse augmente, les cultures sont abandonnées, la nature reprend ses droits et gagne du terrain " si tu laisses, une fois, tomber l'acier de tes mains, la foule verte submerge tes pieds et tes murs ".
L'apothéose survient quand le feu embrase les collines et fond sur le bled comme un dragon en furie, la bête immonde, " son ventre de flammes suit, sa queue, derrière elle, bat les braises et les cendres (...) le dard de sa langue tâte le vent pour prendre la direction ". A bout de force, épuisés, ravagés par la peur, les idées folles troubles les esprits, tous ces malheurs qui frappent subitement ne peuvent avoir pour origine qu'une malédiction ou une vengeance, et si c'était le vieux Janet, ce sourcier sûrement sorcier aussi qui cherchait à les embarquer avec lui pour son dernier voyage ? Seule solution pour contrer ses desseins, le tuer...
Excellent roman, riche de symboliques, ayant pour thème la montée de la peur quand les hommes n'en comprennent pas les causes et se cherchent un bouc émissaire pour en conjurer le sort. Roman très moderne aussi en ces temps où le réchauffement climatique nous implique tous, où les hommes réalisent que s'étant trop éloignés des préceptes enseignés par la Nature, ils s'en sont fait une ennemie, hier soumise à notre volonté, aujourd'hui décidée à nous détruire ?
" C'était si simple, à l'ancienne façon : l'homme, et, tout autour, mais sous lui, les bêtes, les plantes ; ça marchait bien, comme ça. On tue un lièvre, on cueille un fruit ; une pêche, c'est du jus sacré dans la bouche, un lièvre, c'est un grand plat débordant de viande noire. Après, on s'essuie la bouche et on fume une pipe sur le seuil. C'était simple, mais ça laissait beaucoup de choses dans la nuit. Maintenant il va falloir vivre avec ce qui est désormais éclairé et c'est cruel ! "
Jean Giono Colline Le Livre de Poche - 158 pages -
P.S : Exceptionnellement mon second billet de la semaine sera consacré à un autre roman de Jean Giono .... rendez-vous jeudi !