L’ombre des Lumières – Tome 1: L’ennemi du genre humain (Alain Ayroles – Richard Guérineau – Editions Delcourt)
L’infâme et très peu moral chevalier Justin Fleuri de Saint-Sauveur est de ceux qui ternissent l’esprit des Lumières. Si on le sait avec certitude, c’est parce qu’on a retrouvé la correspondance du chevalier dans les tiroirs, rabats et compartiments cachés d’un secrétaire à cylindre. Ces centaines de lettres, qui s’étalent sur tout le dix-huitième siècle, dessinent « l’effarant portrait d’un malfaisant ». Un libertin fier de l’être, qui fait clairement penser au Valmont des « Liaisons dangereuses », le célèbre récit de Choderlos de Laclos. « Manipulateur, dissimulé, exempt de tout scrupule, séduisant comme le mal peut l’être, Saint-Sauveur voua sa vie à duper et corrompre, foulant au pied l’Innocence et le Bien. S’il fallait un visage au vice, c’est le sien », écrit celui qui a retrouvé sa correspondance, en précisant que la publication de ses lettres sous la forme d’une bande dessinée épistolaire participera, espérons-le, au triomphe de la vertu. Mais de quelle duperie et de quel vice parle-t-on exactement? Comme Valmont, le chevalier de Saint-Sauveur s’est lancé le défi de séduire une femme mariée, vertueuse et a priori inaccessible. Redoutable manipulateur, Saint-Sauveur, toujours accompagné par son fidèle valet Gonzague, est prêt à tout pour arriver à ses fins. Pour séduire la belle Eunice de Clairefont au nez et à la barbe de son mari, l’arrogant chevalier n’hésite pas à se faire passer pour Corentin du Préau de Vazelles, baron de la Tournerie, un homme d’esprit au-dessus de tout soupçon. Mais à force de se croire intouchable, Saint-Sauveur ne risque-t-il pas de s’enfoncer dans une inexorable descente aux enfers?
Si vous êtes fan de l’ambiance poudrée des salons du dix-huitième siècle, comme dans les films « Les liaisons dangereuses » ou « Ridicule », cette BD va vous plaire à coup sûr. C’est d’autant plus vrai que le scénario de « L’ombre des Lumières » est signé par la plume habile d’Alain Ayroles, l’auteur du formidable « Les Indes Fourbes ». Son récit est extrêmement bien écrit et ses dialogues sont ciselés. Dans le premier des trois tomes de cette nouvelle série, le scénariste français est une nouvelle fois au sommet de sa forme. Il mélange récit épistolaire et récit d’aventure de manière jouissive. « L’ennemi du genre humain » est un récit divertissant et crédible, qui alterne à merveille scènes d’intrigue et scènes d’action, sans jamais perdre son lecteur. Le dessinateur Richard Guérineau, que l’on connaît entre autres pour ses adaptations BD de plusieurs romans de Jean Teulé (notamment « Charly 9 » et « Entrez dans la danse »), est absolument parfait pour donner corps à la destinée étonnante du chevalier Saint-Sauveur. Ses graphismes collent à merveille à l’esprit du siècle des Lumières, que ce soit dans l’architecture, les paysages, ou les costumes. Et puis surtout, il y a les nombreuses scènes mondaines, qui n’ont rien à envier à celles que l’on a vu et revu au cinéma. « L’ombre des Lumières » démontre une fois de plus tout le savoir-faire d’Alain Ayroles et Richard Guérineau, deux auteurs qui ont de la bouteille, pour raconter l’Histoire de manière divertissante et passionnante. Les 70 pages de ce premier épisode sont menées tambour battant. Et pour ne rien gâcher, c’est un magnifique objet. Autant dire que cet album devrait être l’un des grands succès de librairie de cette fin d’année 2023. On a déjà hâte de lire la suite!