Sur la planète Drakulon, les ruisseaux et les rivières charrient du sang liquide, qui permet aux habitants de se sustenter, comme nous le faisons nous avec l'eau. Un monde peuplé par ceux que nous appelons nous, à travers le prisme de notre culture, les vampires. Les deux représentants les plus illustres de ce monde condamné, qui fréquentent désormais les simples humains, sont Dracula et Vampirella. Le premier a été banni par ses semblables pour avoir annoncé de biens funestes nouvelles, condamné à errer dans les interstices, une sorte de limbes mystiques. Il s'est alors offert corps et âme au Chaos personnifié et s'est retrouvé projeté sur Terre, où il est devenu la figure emblématique du mal. Quant à Vampirella, elle a une mission : elle est ici pour tuer le Prince des ténèbres, tout en affrontant une malédiction qui leur est commune, le besoin impérieux de se nourrir régulièrement de sang ou d'ingérer chaque jour un substitut, une mixture lui permettant de faire office d'hémoglobine pour résister à sa soif insatiable. Comme elle voyage en compagnie des Van Helsing père et fils (une célèbre lignée de chasseurs de vampires), des turbulences sont à prévoir ! Le patriarche souhaite par exemple se débarrasser à jamais de la belle vampire, convaincu qu'il ne pourra jamais rien sortir de bien de quelqu'un de son espèce. Le fiston, lui, en est éperdument amoureux (un sentiment partagé) mais il sait que Vampirella doit lutter contre ses instincts, pour ne pas lui planter ses crocs dans la jugulaire. Cette scène va d'ailleurs se réaliser, sur un autre plan d'existence, ce qui va laisser traîner pendant un certain temps un sentiment de culpabilité chez la splendide vampire. Ajoutons à ceci les affres de la torture qui rongent Dracula. Le personnage est aussi pathétique que cruel. Il cherche quand même à se racheter, à payer pour des fautes commises, comme le meurtre de Lily, sa bien aimée, laissée exsangue avec un pieu dans le cœur, au XIX° siècle. Lors d'un épisode, il a une seconde chance et la possibilité de revenir en arrière, grâce à l'intervention de celle qu'on nomme l'Enchanteresse. Accompagné de Vampirella, il lutte pour dominer ses penchants, tout comme doit le faire aussi notre "héroïne". Sur un monde étranger où ils sont pourchassés et où les affects servent fatalement de garde-manger, les suceurs de sang sont autant pris au piège que leurs victimes, proies et prédateurs dans le même temps.
Assez logiquement, l'exil et le désespoir rapprochent les individus. Ainsi, Dracula n'apparaît-il pas comme l'éternel ennemi de Vampirella, mais peu à peu, devient un potentiel amant, probablement le seul à pouvoir comprendre et correspondre aux besoins tragiques de l'affriolante créature. L'adjectif est important, car bien entendu, une partie du cachet de ces pages provient des charmes capiteux de la vampire. Et c'est ici que prend tout son sens le dessin de José Gonzales. Difficile d'unir, comme le fait alors l'artiste espagnol, un trait vif et acéré et une incroyable capacité à représenter les courbes féminines, sous tous les angles, dans toutes les positions (lascives, de préférence) et ce, sans jamais céder à la vulgarité facile ou à l'exagération anatomique de bas-étage. Il n'y a pas une once de mauvais goût plastique dans son travail, juste un plaisir des sens et une grande maitrise formelle, qui correspond à merveille au climat tendu et angoissant des récits horrifiques des années 1970, parfois ingénus ou monolithiques, souvent artistiquement très aboutis. Casey Brennan assure la relève d'Archie Goodwin au scénario : il transporte les personnages d'un royaume onirique à un autre, les emmène sur des mondes lointains et improbables où vivent des limaces géantes et capables de s'exprimer, les fait remonter le temps, se joue de leurs doutes, attentes, craintes et espoirs. Un voyage fantasmagorique et allégorique, où le dépassement de soi et de ce qui est une condition innée, permet aux protagonistes de s'élever, ou de se damner à jamais. Renoncer à se nourrir du sang des autres ou apprendre à ne plus haïr et comprendre, c'est une bataille à remporter sur soi-même, quelle que soit la forme qu'elle assume. Dans cette anthologie, par Vampirella, il ne faut pas entendre uniquement le personnage, mais principalement la série dans laquelle il était publié, à savoir une revue éditée par Warren dans les années 1970, à la suite des célébrissimes Eerie et Creepy dont elle est une forme d'appendice naturel. Delirium propose cette fois les numéros 16 à 23. Le détail est important car il n'y a pas que des aventures de Vampirella à dévorer. Nous trouvons aussi dans ces pages des récits de complément, présentés par notre belle vampire, où il est question de contes sanglants, avec des femmes qui n'hésitent pas à dévorer des hommes, s'en emparer ou les tuer, les punir de manière terrible. Emblématique par exemple, cette tentative de former une colonie entièrement féminine. Une expérience qui tourne court avec de bien malheureux journalistes, qui vont comprendre trop tard le guêpier dans lequel ils se sont fourrés. Ou encore, nous retrouvons de délicieuses victimes innocentes, comme cette jolie jeune fille séduite par son nouveau voisin, qui regrettera vite d'avoir tout mis en œuvre pour le séduire, jusqu'au mensonge. Les dessins sont la plupart du temps de très belle facture, avec une préférence personnelle pour les ambiances étouffantes de Rafael Auraleon et la créativité onirique d'Esteban Maroto. Delirium continue son remarquable travail d'édition, avec un écrin prestigieux, comprenant une longue introduction lumineuse de David Roach (vous n'ignorerez aucun détail après cela) et les couvertures originales pleines pages enrichies de quelques planches, sans oublier le grammage du papier et le noir et blanc soigné qui souligne admirablement les courbes de Vampirella et les dessins fouillés de ce titre culte. Probablement l'occasion idéale pour enfin découvrir ou céder aux charmes de la belle vampire, dont vous relirez de toute façon les origines. Laissez-vous mordre; Pardon, tenter !
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