Adieu Birkenau (Ginette Kolinka – Jean-David Morvan – Victor Matet – Efa – Cesc – Editions Albin Michel)

Ginette Kolinka est une survivante du camp d’Auschwitz-Birkenau, « le plus grand cimetière du monde, mais dans lequel il n’y a pas une seule tombe ». En la voyant, on a du mal à croire qu’elle est âgée de 98 ans, car elle ne ménage ni ses heures ni son énergie pour rencontrer des jeunes à travers toute la France. De Paris à Marseille en passant par Blois ou Pau, elle multiplie les déplacements dans les écoles afin de s’assurer qu’on n’oublie pas la Shoah et qu’on continue à dire: « plus jamais ça ». Ce qui est étonnant, c’est que Ginette Kolinka a mis 50 ans avant de briser le silence. Pendant des dizaines d’années, elle a tu ce qui lui était arrivé. Même son propre fils Richard, qui deviendra plus tard le batteur du groupe Téléphone, a mis très longtemps avant de comprendre l’origine de ce mystérieux numéro tatoué sur le bras de sa mère. Comme elle ne lui disait rien, il pensait que toutes les mamans avaient ça… En réalité, c’est seulement dans les années 90 que les souvenirs enfouis de Ginette Kolinka ont refait surface, lorsque la fondation de Steven Spielberg est venue l’interroger dans le cadre d’un documentaire. Elle pensait avoir tout oublié, mais l’horreur vécue à Auschwitz-Birkenau était toujours bien présente dans son esprit. Depuis lors, Ginette n’a cessé de témoigner. Pas seulement sur son passage par les camps de la mort, mais aussi sur les années qui ont précédé, durant lesquelles cette jeune femme pleine de joie de vivre a progressivement basculé de l’insouciance à l’horreur. En juin 1942, lorsque les Allemands et le régime de Vichy imposent à tous les juifs de France de porter une étoile jaune, Ginette garde le sourire et se dit fière de la porter. Peu après, lorsque sa famille est dénoncée par des voisins, Ginette garde encore le moral, malgré les signaux de plus en plus alarmants. Avec ses sœurs, elle parvient à fuir Paris et à rejoindre ses parents dans le sud de la France, au nez et à la barbe des Allemands. Là, ils vivent une vie presque normale pendant plusieurs mois. Mais un jour funeste de mars 1944, Ginette finit par être arrêtée par la Gestapo, avec son père et son petit frère. Commence alors le long chemin de la déportation vers les camps d’extermination, dont seule Ginette reviendra vivante.

« Adieu Birkenau » est une bande dessinée très forte, car elle mélange habilement le passé et le présent. C’est un récit qui raconte à la fois le premier voyage de Ginette Kolinka à Auschwitz-Birkenau, en 1944, et le dernier voyage qu’elle y a effectué, en octobre 2020, avec un groupe d’écoliers. L’album s’appelle « Adieu Birkenau » parce qu’elle a décidé que ce séjour serait le dernier. Mais pour que son témoignage continue à vivre, elle a accepté d’être accompagnée en Pologne par le journaliste Victor Matet et le scénariste de BD Jean-David Morvan. Ce sont eux qui signent le scénario de cette bande dessinée puissante et émouvante, superbement mise en image par les dessinateurs barcelonais Efa et Cesc. En lisant « Adieu Birkenau », on a vraiment l’impression d’être l’un des jeunes à qui Ginette Kolinka raconte son histoire. On entend presque sa voix. Alors que la BD fait sans cesse des allers-retours entre 1944 et 2020, on découvre l’effroyable parcours de Ginette une fois qu’elle a été arrêtée par la Gestapo : l’éprouvant voyage en train, la cruelle sélection à l’arrivée, l’humiliation d’être mise nue devant tout le monde puis d’avoir la tête rasée, la faim, la solitude, la culpabilité d’avoir survécu… « Adieu Birkenau » est un témoignage réellement bouleversant, dans lequel les ombres du passé continuent inlassablement à entourer Ginette, même plus de 75 ans après les faits. Parallèlement à « Adieu Birkenau » paraît également le deuxième tome de « Madeleine, Résistante », un autre témoignage d’une femme forte et résiliente. Un témoignage lui aussi mis en récit par le scénariste Jean-David Morvan et magnifiquement illustré par Dominique Bertail. Dans « L’édredon rouge », on apprend comment la jeune Madeleine Riffaud, nom de code « Rainer » (comme le poète Rainer Maria Rilke), est parvenue à rejoindre une cellule de Résistance et à mener ses premières actions. Une autre BD absolument indispensable.