Autant le dire de suite : lire L’insouciance dans le contexte géopolitique actuel est compliqué et douloureux. Une fois de plus, Karine Tuil croque nos contemporains avec une acuité teintée de pessimisme.
“Voilà ce qui peut arriver si…” est un peu le message sous-jacent que je retrouve dans ses romans. Cette espèce de prémonition – qui n’en est pas une puisque Karine Tuil ne fait pas dans la dystopie mais hélas bien dans le roman contemporain – est également présente dans L’insouciance, publié en 2016.
Ce texte est terriblement dur, il finit par vous prendre à la gorge tant il fait écho à ce qui compose la Une des médias actuellement. Pourtant, difficile au départ d’imaginer dans quel merdier vont se retrouver les trois personnages principaux : Romain, un soldat de retour d’Afghanistan aux prises avec ses démons ; François, un chef d’entreprise en pleine ascension professionnelle, mais dont la vie personnelle se délite petit à petit et enfin Osman, le conseiller de l’Elysée, fils d’immigrés arrivé jusqu’au sommet de l’Etat presque malgré lui.
Evidemment, derrière tout homme se cache une femme et Marion, l’épouse de François, n’est en rien étrangère au drame qui va se jouer sous nos yeux. Mais si l’amour tient une grande place dans ce roman, il n’est là que pour soutenir le thème des questions identitaires si cher à Karine Tuil.
Il y a quelque chose de très malsain qui est en train de se produire dans notre société, tout est vu à travers le prisme identitaire. On est assigné à ses origines quoi qu’on fasse. Essaye de sortir de ce schéma-là et on dira de toi que tu renies ce que tu es ; assume-le et on te reprochera ta grégarité.
Cette histoire d’hommes (et d’une femme) m’a tenue en apnée sur la fin. J’ai aimé toutes les émotions que m’a procurées ce roman pourtant bourré de défauts. Je ne vais pas m’appesantir sur la construction des personnages autour de clichés insupportables. Je m’attendais à plus de finesse et d’intelligence de la part de cette autrice un peu trop manichéenne à mon goût dans ce roman. Si vous lisez la 4e de couverture, vous comprendrez de suite de quoi je veux parler mais comme ce résumé est beaucoup trop bavard, je vous invite à faire l’impasse et à vous plonger dans ce roman en en sachant le moins possible, pour en conserver l’effet de surprise.
Arabe n’est pas un gros mot… Je n’ai aucun problème à dire que je suis noir. Je n’aime pas l’édulcoration du langage… Souvenez-vous des paroles de Camus : « Mal nommer les choses, c’est ajouter du malheur au monde ».
Ce qui m’a réellement agacée et qui aurait pu me pousser à refermer ce livre bien avant la fin, c’est le côté pédant des premiers chapitres. L’autrice ne nous a rien épargné. Ni l’envolée lyrique sur l’enfer afghan formulée à la deuxième personne du pluriel, histoire de tirer quelques larmes au lecteur. Ni le recours au dictionnaire des synonymes à un rythme quasi militaire. Des “vergers rameux”, “des plaques vibratiles”, “des discours obreptices” (même mon correcteur orthographique n’en veut pas), de la “beauté coruscante”, il y en a presque à chaque page. Je ne sais pas comment ont réagi les autres lecteurs mais je peux vous dire que de mon côté, j’ai vraiment frôlé l’overdose. Heureusement au bout de quelques chapitres ça se tasse, la fièvre créatrice retombe et le style se fait moins ampoulé. Enfin, alors, on parvient à rentrer dans le vif du sujet sans se laisser distraire par des effets de manche littéraires totalement ratés. Enfin, alors, le lecteur est ferré et Karine Tuil parvient à nous charmer.
L’ESSENTIEL
L’insouciance
Karine TUIL
Editions Gallimard en GF, Folio en poche
Sorti le 18/08/2016 en GF et le 12/04/2018 en poche
544 pages
Genre : roman sociétal
Personnages : Romain, François, Osman et Marion
Plaisir de lecture :
Recommandation : oui
Lectures complémentaires : Les Choses humaines et La décision de la même auteure, Khalil et L’Attentat de Yasmina Khadra, Le silence d’après de Cath Staincliffe
RÉSUMÉ DE L’ÉDITEUR
« L’amour n’est rien d’autre qu’une des compensations que la vie offre parfois en dédommagement de sa brutalité. » De retour d’Afghanistan où il a perdu plusieurs hommes, le lieutenant Romain Roller est dévasté. Au cours d’un séjour de décompression à Chypre, il tombe sous le charme de Marion Decker, mais découvre dès le lendemain que cette jeune journaliste est mariée à François Vély, un entrepreneur franco-américain très influent. Au même moment, Romain renoue avec son ami d’enfance Osman Diboula, fils d’immigrés ivoiriens devenu une personnalité politique montante. Tentant désespérément de reprendre le contrôle de leur vie, tous ces protagonistes sont entraînés dans un engrenage qui révèle la violence du monde.
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TOUJOURS PAS CONVAINCU ?
3 raisons de lire L’insouciance
- Karine Tuil n’est pas une autrice qui regarde son nombril, ses romans offrent un regard sur la société souvent passionnant
- L’histoire est saisissante
- Il y a un côté très théâtral dans ce roman
3 raisons de ne pas lire L’insouciance
- Impossible de faire une coupure avec l’actualité
- L’histoire est longue à se mettre en place et souffre du verbiage de l’autrice, surtout dans les 100 premières pages
- Les personnages sont vraiment caricaturaux, difficile de faire pire
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