S'il y a bien une maison d'édition dont les publications de la Rentrée littéraire nous ont tapé dans l'œil, c'est Zulma. Leur rentrée met en valeur deux primo-romancier.es... Nous avons eu la chance d'en découvrir unE avec : Le Dernier Revival d'Opal & Nev de Dawnie Walton.
Comme nous vous le disions en introduction de cet article, la rentrée Zulma nous a bien intriguées. Que ce soit avec Charrue tordue, du primo-romancier brésilien Itamar Vieira Junior que par Le Dernier Revival d'Opal & Nev de Dawnie Walton, elle aussi primo-romancière. Alors quand l'occasion nous a été donné de découvrir ce dernier grâce à la Masse critique Babelio de septembre, on n'a pas hésité bien longtemps (même si on avait dit qu'il fallait qu'on se calme sur les MC Babelio, on SAIT !).
Pour tout vous dire, on ne regrette rien car ce fut une belle découverte. Comme d'habitude, on vous en parle, tout de suite après le résumé de l'éditeur.
Première rédactrice en chef noire d'un célèbre magazine musical, Sunny S. Shelton tient un scoop : Opal & Nev, le duo mythique, se reforme pour un ultime revival, des décennies après leur dernier concert fracassant, à l'été 1970.
Comment Neville Charles et Opal Jewel, si radicalement différents, ont-ils pu bouleverser la scène rock, et comment tout a basculé ce soir-là ? Producteurs, stylistes, musiciens, tous ceux qui les ont côtoyés racontent qui ils étaient - et qui ils sont devenus : lui, songwriter britannique en quête de gloire, et elle, icône afro-punk avant l'heure, rebelle et survoltée...
Fond engagé sur forme originale
Prenant la forme d'une longue interview, Le Dernier Revival d'Opal & Nev est un livre à la narration originale. L'un des grands avantages de ce format, c'est qu'une fois le livre ouvert, il devient difficile de s'arrêter. Le tout est ficelé comme un documentaire savamment monté, créant des jeux de contradictions ou de concordances entre les différents témoignages des divers personnages sur un même évènement. Ce type de narration, qui peut sembler assez simpliste au premier abord, permet à l'autrice d'aborder une multitude de sujets engagés, de la misogynie au racisme en passant par la rencontre des deux quand on en vient à notre personnage principal : Opal, femme noire ayant grandi dans l'Amérique ségrégationniste.
" [...] elle, la fille noire de Détroit, l'exclue, et Nev, cet Anglais blanc un peu gauche, avaient chacun décidé de tenter sa chance avec l'autre. Non ces histoires n'étaient pas totalement nouvelles. Mais rien qu'en les effleurant, j'y décelais déjà, potentiellement, quelque chose de plus profond. "Le Dernier Revival d'Opal & Nev, Dawnie Walton, éditions Zulma, p.15
Le seul reproche que j'aurais à faire sur cette narration tient au fait que les parties intitulées " Notes de l'éditrice " nous sortent un peu de cet aspect documentaire. De fait, l'ensemble du livre donne une véritable " sensation de vrai ". Ce sentiment est encore entretenu par l'autrice, qui n'hésite pas à intégrer des personnalités ayant existé et des évènements historiques ayant véritablement eu lieu. Ainsi on nous parle de Jimi Hendrix, de Janis Joplin, on nous retranscrit les réactions de Jane Fonda ou encore Gloria Steinem suite à une interview télévisée d'Opal Jewel, notre protagoniste. L'autrice brouille les pistes entre réalité et fiction, pour notre plus grand plaisir.
" La musique rock était encore dans le creux de la vague - nous venions de perdre coup sur coup Jimi et Janis, souvenez-vous. Sans oublier que les Beatles avaient mis la clé sous la porte quelques mois plus tôt. "Le Dernier Revival d'Opal & Nev, Dawnie Walton, éditions Zulma, p.156
Mais cette illusion du vrai est souvent contredite par ces " Notes de l'éditrice ". Ces passages rompent le charme qui aurait presque pu nous faire croire parfois que ce groupe ne sortait pas tout droit de l'imagination de Dawnie Walton. Peut-être aurais-je préféré qu'ils jouent le jeu jusqu'au bout en publiant cet ouvrage sous le pseudonyme de Sunny S. Shelton, la narratrice ? Histoire de nous pousser à aller vérifier sur internet si, décidément, ce groupe n'aurait-il pas réellement existé ? Ce procédé m'aurait semblé malin, aurait renforcé cette sensation de s'être bien fait berner par l'autrice. Un procédé un peu jusqu'au-boutiste, certes, mais que personnellement, j'adore en littérature.
Rebel girls : Daisy VS Opal
Difficile d'aborder ce roman sans évoquer un autre roman auquel il m'a fichtrement fait penser, au début. Avec sa forme de longue interview au sujet d'un groupe de rock des années 70, Le Dernier Revival d'Opal & Nev ne manquera pas d'être comparé à Daisy Jones & the Six de Taylor Jenkins Reid qui proposait déjà une mise en page similaire deux petites années avant. Et pourtant les deux romans restent bien éloignés dans leurs propos. Daisy Jones & the Six est une version très blanche du Dernier Revival d'Opal & Nev.
De fait, l'ouvrage de Dawnie Walton nous a semblé receler une plus grande profondeur, réussir à être à la fois un divertissement prenant et un livre qui nous dépeint une certaine Amérique, gangrénée encore et toujours par le racisme. Opal, révoltée, lumineuse, pleine d'audace et d'énergie fait figure d'icône. A l'instar de la couverture de l'ouvrage et comme le dirait les Stones à peu près à cette époque, " she's like a rainbow ".
C'est d'ailleurs un peu anecdotique mais nous n'avons pu nous empêcher de voir un clin d'œil à la première apparition d'Opal telle que nous la suivrons tout au long du roman dans cette couverture française très colorée.
" [...] il a pris les autres couleurs de tissu, le rouge, le vert et le bleu, et il a cousu des bandes par-dessus. Verticales, devant et derrière, en cercle au niveau des poignets et de l'ourlet du bas. "Le Dernier Revival d'Opal & Nev, Dawnie Walton, éditions Zulma, p.130
En bref, si vous nous annonciez un combat entre Daisy et Opal, je pense que, pour nous, c'est Opal qui gagnerait haut la main malgré les défauts énoncés dans la première partie de notre article.
Nev s'efface devant Opal
On prend plaisir à suivre les tribulations d'Opal Jewel, de son enfance avec sa sœur très pieuse dans l'Alabama ségrégationniste, au-devant de la scène aux côtés de Nev Charles, au concert catastrophique qui provoquera en partie la chute du groupe pour des raisons que l'autrice nous livrera, progressivement. Si les premiers " chapitres " du livre nous présentent les enfances respectives d'Opal et de Nev, ce dernier s'efface peu à peu derrière la flamboyante chanteuse. Ainsi le personnage n'a pas suscité notre intérêt au-delà des 50 premières pages de l'ouvrage. Un fait totalement lié à la volonté de l'autrice de raconter l'histoire d'une femme noire devenue icône du rock. Et c'est tant mieux parce qu'autrement ça nous aurait beaucoup moins intéressés, faut l'avouer !
Mais ce qui nous a beaucoup plu, c'est également la manière dont l'autrice explore les " lieux communs " de l'histoire du rock. Encore une fois, impossible de lire ce livre sans penser à des concerts ayant véritablement tourné à la catastrophe. Et il faut bien dire que ça ne manque pas dans le milieu du rock. Ne vous inquiétez pas, cela dit, de ne pas avoir les références portant sur l'histoire du rock, les notes de bas de page viendront toujours à votre secours ! Des notes de bas de page qui ne m'ont pas toujours été utiles lorsqu'elles portaient sur l'histoire du rock, mais qui m'ont appris quelques petites choses sur l'histoire du racisme aux États-Unis...
Same old, same old
Du tristement célèbre concert d'Altamont en 1969 à l'attentat du 15 septembre 1963, Dawnie Walton jongle avec les références historiques pour nous plonger dans l'Amérique ségrégationniste. Comme nous vous le disions précédemment, nombre de faits évoqués ont véritablement eu lieu, venant renforcer ce côté " ça pourrait être vrai " que l'on ressent ponctuellement à la lecture de ce roman. Ces références sont utilisées à bon escient pour nous parler de l'Amérique des années 60-70 tout en faisant un parallèle inévitable avec 2016, l'année où notre narratrice réalise ses interviews. L'autrice évoque d'un même coup le racisme et les violences policières (l'extrait suivant devrait vous rappeler quelque chose, les méthodes sont les mêmes en France).
" Ils ont envoyé des flics en tenue antiémeute - le génie de la bande avait décrété que la meilleure manière de gérer cette situation déjà chaotique était de balancer des gaz lacrymo, comme s'il s'agissait d'une invasion de cafards. " (p.258)Le Dernier Revival d'Opal & Nev, Dawnie Walton, éditions Zulma, p.258
Enfin, elle souligne avec brio que, malheureusement, pas grand-chose a changé à l'heure où Donald Trump est élu : c'est toujours " la même pourriture qui ronge ce pays aujourd'hui " (p.468)
La narratrice l'affirme, l'ombre de Trump survole l'Amérique, et le combat contre le racisme est loin d'être terminé à l'heure où elle nous écrit :
" Nous n'aurions pas imaginé non plus la gueule de bois qui menaçait, ce coup de tonnerre électoral d'un soir de novembre dont l'onde de choc nous propulserait en arrière, droit dans les rets les plus haineux de l'histoire américaine. "Le Dernier Revival d'Opal & Nev, Dawnie Walton, éditions Zulma, p.484
Dit comme ça on pourrait croire que ce livre donne l'impression que tout est perdu. Heureusement, il reste un vague espoir. Celui de " s'approprier les stigmates ", pour en faire autre chose, pour protester, dénoncer, d'une part.
" C'est un mot que les gens au pouvoir dans ce pays balancent sur les gens comme moi, mais ce qu'ils ne réalisent pas, c'est que les gens comme moi peuvent aussi ramasser toutes ces saletés et s'en servir. "Le Dernier Revival d'Opal & Nev, Dawnie Walton, éditions Zulma, p.329
Enfin, Le Dernier Revival d'Opal & Nev se termine sur une note qui donne la hargne, l'envie de tout bouffer. Si la musique ne peut certainement pas nous sauver, elle peut au moins nous donner l'énergie nécessaire pour continuer à lutter.