La mort porte conseil

La mort porte conseil

En deux mots
Après avoir perdu sa première épouse, Félix Bernardini a épousé Fabienne, de trente ans sa cadette. Le problème, c’est que cette union s’accompagnait d’un beau fils. Après avoir été désagréable, il est devenu violent et a rendu la vie de Félix impossible. Jusqu’au moment où il l’a obligé à réagir…

Ma note
★★★★ (j’ai adoré)

Ma chronique

Le beau-fils impossible

Pour son premier roman, Hervé Paolini a choisi d’explorer la relation entre un homme qui se remarie avec une femme de trente ans sa cadette, mère d’un garçon qui rejette cette union. Ici, le conflit est programmé et va être sanglant.

Patron d’entreprise respecté, Félix Bernardini se laisse pourtant violenter par Stéphane, le fils de sa nouvelle compagne. Ce petit rituel, qui avait commencé comme un jeu, un petit coup dans le dos lorsqu’il était attablé, est vite devenu une habitude malsaine.
Tout en se disant que son beau-fils allait cesser son manège, il se rendait bien compte qu’il aurait dû réagir. Mais en attendant, il mettait sa lâcheté sur le dos de son attachement à Fabienne. Il ne voulait pas faire de peine à sa maîtresse pour laquelle il vouait une passion brûlante. De 30 ans sa cadette – a peu de choses près l’âge de ses filles Ghislaine et Odile – elle lui avait permis de trouver du réconfort lorsque son épouse Hélène luttait contre le cancer qui a fini par l’emporter.
Si ses filles décident de couper les ponts après l’esclandre provoqué par leur belle-mère lors des obsèques, il se sent désormais libre de refaire sa vie, de se remarier et de partager son foyer avec Fabienne. Étonné par les réticences de Fabienne à venir vivre sous son toit, il va très vite comprendre la raison cachée de ses hésitations: «c’était son fils. Elle savait pertinemment qu’il était violent, qu’il allait nous poser des problèmes, mais elle se gardait bien de m’en avertir.»
On l’a vu, après son mariage, ses relations avec son beau-fils ont très vite empiré, Fabienne se contentant d’éluder la gravité de la situation.
Le point de bascule a sans doute été le jour où il lui a écrasé sa cigarette sur le front. D’autant qu’il a coïncidé avec les difficiles tractations avec les Italiens candidats au rachat de son entreprise et la confirmation des rumeurs qui circulaient sur Fabienne. Elle était souvent aperçue avec un notaire et on la soupçonnait d’être une chasseuse d’héritages.
À partir de ce moment, Félix a compris sa douleur. Une expression – malheureusement pour lui – à prendre au pied de la lettre. «Tout ce qui touche à Stéphane me retournait les tripes. Il n’était pas un jour où ce gamin ne m’apportait un nouveau problème.»
De nombreux rebondissements et une dramaturgie habilement mise en scène donnent un goût de thriller psychologique à ce premier roman qui nous ramène au cinéma de Chabrol, à cette bourgeoisie de province avide de promotion et soucieuse de discrétion. Ajoutons-y un style nerveux et efficace, bien en phase avec l’intensité croissante du récit.
Hervé Paolini y montre avec beaucoup de finesse les tourments du beau-père, tiraillé entre l’envie de plaire à sa maîtresse et celle de châtier un beau-fils qui dépasse les limites. Des scrupules qui vont mener à la catastrophe. Si on la voit bien arriver, on ne se doute pas des ressources insoupçonnées d’une bête blessée. Le pleutre va se transformer en Machiavel, ruminer sa vengeance et nous offrir un épilogue de haute volée.

La mort porte conseil
Hervé Paolini
Serge Safran Éditeur
Premier roman
208 p., 18,90 €
EAN 9791097594886
Paru le 8/09/2023

Où?
Le roman est situé principalement à Pont-sur-Risle, en Normandie. On y évoque aussi Conches, Évreux, Arpentières, Beaufour-sur-Avre, Remugles, Vil-sur-Royre.

Quand?
L’action se déroule des années 1990 à nos jours, avec un retour en arrière dans les années 1960.

Ce qu’en dit l’éditeur
Félix Bernardini dirige l’usine de Pont-sur-Risle, en Normandie. Il pourrait couler une retraite paisible. On le respecte au village. Mais tout se met à déraper lorsque le cancer emporte son épouse. Personne ne comprend pourquoi il se remarie avec cette moins-que-rien d’infirmière. Pensez donc, une femme de trente ans sa cadette ! Il ne faut pas s’étonner que lorsqu’elle vient habiter chez Félix avec son grand voyou de fils, rien ne se passe comme prévu…
La province pour cadre, une entreprise familiale de matériel agricole qui périclite, les filles du premier mariage qui constatent les dégâts, le pire est toujours à venir, comme dans un film de Chabrol mâtiné de Tarentino.
La mort porte conseil est un premier roman fort, percutant, inattendu, écrit avec et sur le nerf, une sordide histoire d’homme veuf et plutôt content de l’être, mais appelé à remettre toute sa vie en cause.

Les critiques
Babelio
Lecteurs.com
RTBF (Christine Pinchart)
Blog de Gilles Pudlowski
Blog Pause Polars
Blog de Jean-Claude Lebrun

Les premières pages du livre
« PONT-SUR-RISLE, ANNÉES 90
CHAPITRE 1
Cette manie qu’il avait tout jeune.
Cette taloche sur le crâne qu’il avait pris l’habitude de me balancer avant chaque repas, comme ça sans raison, quand il passait derrière moi, que je me tenais tranquillement assis devant mon assiette et que sa mère ne regardait pas ; et même quand elle regardait d’ailleurs. Pas appuyée au début, presque gentillette, excusable encore, juste une petite tape, mais qui avait le foutu don de me taper sur les nerfs, une sorte de coutume avant le dîner qui ne portait pas à conséquence, du moins dans les premiers temps. Fabienne s’en serait presque amusée si elle n’avait fini par se rendre compte que l’insolence de son fils m’exaspérait ; il faut bien que jeunesse se passe, c’était sidérant de la voir se ranger tout le temps de son côté. Où avait-elle entendu dire qu’un enfant ne se devait pas de respecter son père de substitution ? Ce n’était quand même pas à moi de m’adapter, avait-elle décidé de tout faire tourner à l’envers dans ma propre maison ?
J’avais bien tenté d’aborder la question avec elle, mais à la seule mise en cause de son cher petit Stéphane adoré, je voyais son visage s’assombrir du tout au tout, comme un paysage ensoleillé de juillet qu’un gros nuage vient brusquement gâcher. Non contente de décréter que nous ferions chambre à part dès le début de notre vie commune, il pouvait aussi lui arriver, pour bien souligner son mécontentement, de me couper le chemin de son lit pour une durée indéterminée. Je n’avais plus l’âge pour ce genre de traversée du désert. Si je m’étais mis avec Fabienne, c’était précisément pour profiter de mon reliquat de vie sexuelle et je considérais que la satisfaction de mes plaisirs intimes pesait plus dans la balance que la défense de sacro-saints principes d’éducation.
Il faut dire que nous n’avions pas loin de trente ans d’écart, elle et moi, et je dois concéder que le corps sublime de Fabienne justifiait bon nombre de mes lâchetés. Tous les hommes ont une théorie sur le corps féminin, personnellement, je trouvais qu’il n’atteignait sa plénitude qu’au bout d’un long processus de maturation, quand il frisait sa quarantième année (et pas trop longtemps après). Celui de ma nouvelle femme se trouvait pile poil dans la bonne fourchette et j’estimais n’avoir jamais assez l’occasion d’en profiter. C’était une raison suffisante à mes yeux pour m’écraser devant Stéphane.
Cela dit, Fabienne pouvait très bien passer inaperçue quand on la voyait pour la première fois.
Et d’ailleurs, la plupart des hommes la remarquaient à peine ou si c’était le cas ils se gardaient bien de le montrer. Quant aux femmes, je ne sais pourquoi, elles ne lui faisaient aucun cadeau, elles la trouvaient généralement quelconque. On aurait dit qu’elles s’en méfiaient. J’avais même entendu plusieurs réflexions désobligeantes sur son physique qui m’avaient marqué et me sont restées longtemps en travers de la gorge. De la part de mégères qui, sans doute, ignoraient à l’époque qu’elles s’adressaient à son futur mari. Mais peu importe.
Moi-même, il m’avait fallu du temps pour me laisser prendre à sa beauté animale, cinq ou six rencontres pour rien avant que son charme n’opère. En y repensant, plusieurs détails clochaient chez elle, même si j’ai fini par m’y faire, elle avait cette fine cicatrice à la lèvre supérieure dont la boursouflure pouvait détourner l’attention lorsqu’elle vous parlait. Il faut reconnaître aussi que ses dents étaient loin d’être parfaites, j’avais beau lui répéter qu’il n’y avait pas de fatalité, qu’on pouvait très bien y remédier, la perspective de les confier à un dentiste la terrorisait, celles du bas se chevauchaient étrangement, créant des ombres peu esthétiques, ce qui expliquait d’ailleurs qu’elle ne se laissait jamais aller à rire en toute franchise, rarement même on la voyait sourire et, quand c’était le cas, elle avait une façon bien à elle de placer sa main devant sa bouche. Ce que j’avais tout d’abord pris pour de la retenue, voire une sorte de timidité, n’était en fait qu’un excès de coquetterie. Rien à dire de particulier sur ses cheveux non plus, ils étaient d’un noir commun et je me souviens qu’elle les gardait la plupart du temps attachés, même lorsque nous faisions l’amour. Elle était parfaitement proportionnée, comme je crois l’avoir déjà mentionné, mais pas au point comme certaines d’affoler les hommes que nous croisions dans la rue. Je sais que c’est difficile à avaler, mais aucune fille ne m’a fait perdre la boule comme elle. Son magnétisme se trouvait ailleurs, irrésistible, une fois qu’on s’y laissait prendre et on peut dire que je me suis fait avoir en beauté. C’est loin d’être évident pour moi de parler de toutes ces choses avec la distance requise, il me remonte encore des bouffées, je peux juste dire qu’elle avait de douces promesses d’alcôve, je ne saurais mieux l’expliquer, dans le fond de ses yeux, la texture de sa peau, au plus profond de son odeur de femme ou dans le timbre de sa voix qu’elle savait rendre lascive et que j’entends encore parfois quand je me sens seul.
Progressivement, son gamin a dû se sentir encouragé par mon manque de réaction et je n’ai rien vu venir, il a pris de l’assurance, laissé libre court à son agressivité, son revers claqué de plus en plus fort derrière mon oreille, toujours à cet endroit dont je garde encore le souvenir cinglant, laissait une brûlure insistante. Une douleur teintée d’humiliation. J’avais honte de ne pas exiger qu’il arrête. Oser lui dire, une fois pour toutes que, bon Dieu, son geste était totalement déplacé. Vu son âge, vu le mien. Et lui en mettre une bonne qui l’aurait définitivement calmé. Mais, comme je l’ai dit, la lâcheté me paralysait, sa mère avait trop d’emprise sur moi. Était-ce également la crainte de l’affronter ?… À l’époque, j’étais bien plus fort que lui. Physiquement, j’entends. Si j’avais voulu, j’aurais pu le réduire, l’écraser comme une vermine. En tout cas, je sais que j’aurais dû tenter quelque chose. Ou du moins dire quelque chose. Réagir. Et ce dès le début. Je le sais pertinemment.
Il est important qu’un beau-père sache se faire respecter, bla-bla-bla, je sais tout ça, on m’avait prévenu.
Et il est bien trop facile de m’accabler de reproches aujourd’hui, avec le recul du temps et des événements, maintenant qu’il est trop tard de toute façon. Le fil des habitudes s’est déroulé, toute la pelote y est passée, allez-y pour remonter une pelote, bonne chance ! C’est comme replier une carte routière qui a servi, je n’y suis jamais arrivé. Stéphane ne pouvait plus revenir en arrière. Et moi non plus si on va par là. J’aurais bien voulu les y voir, les donneurs de leçons, tous ceux qui se croient toujours obligés de refiler des conseils. Sans compter tous les autres, ceux qui se taisaient et qui n’en pensaient pas moins. Ils n’ont jamais été à ma place. Personne. Ils ne peuvent pas comprendre. Personne ne saura jamais me comprendre. Facile de juger quand on n’est pas dedans.
Toujours est-il que son geste rituel, répété si souvent, s’est imposé dans nos rapports comme un droit d’usage, un cérémonial dont je sais que Stéphane n’aurait renoncé pour rien au monde. Chaque soir, j’encaissais sa taloche sans broncher. À force, je m’y faisais, j’ai remarqué qu’on se fait à tout, c’est un des privilèges de l’âge, il fallait juste me convaincre qu’il était inutile d’en faire un drame, pourquoi vouloir mêler à tout prix sa mère à ces broutilles, Fabienne ne m’aurait pas aidé, c’est plus que certain et, surtout, je craignais qu’une réaction tardive et disproportionnée de ma part n’arrive à contretemps, ne fasse que renforcer l’ascendant que Stéphane avait déjà pris sur moi et n’aboutisse, en fin de compte, qu’à lui concéder une victoire trop facile. Je n’aurais pas supporté qu’il se réjouisse des dégâts provoqués sur mes nerfs par son geste imbécile. Car, j’avais beau sauver les apparences, je sentais qu’un truc se fissurait en moi quand je prenais un peu de recul. Et il m’arrivait d’en prendre, il faut pas croire, je sais bien que l’avis des gens n’aurait pas dû entrer en ligne de compte, mais on a beau essayer de faire abstraction, ça revenait comme une balle de jokari, je me disais qu’ils n’en auraient pas cru un mot, tous autant qu’ils étaient, s’ils avaient appris que Monsieur Bernardini (Président de la Chasse, directeur des remorques Loisel & Cie, le monsieur si bien habillé qui habitait la belle maison dans le bas du bourg), le Félix Bernardini connu de tout le village, eh bien ce monsieur Bernardini-là, se laissait emmerder par son beau-fils mineur.
Et sous son propre toit encore !

CHAPITRE 2
Le geste déplacé de Stéphane m’affectait plus que je ne voulais bien me l’avouer.
J’ai renoncé à en faire toute une histoire mais il écourtait mes nuits et noircissait mes pensées. Et, au lieu de mettre fin à ce jeu qui n’en était pas un, je perdais mon temps à vouloir l’expliquer. Quelle mouche avait pu piquer Stéphane ? Je ne me souvenais pas lui avoir sorti quoi que ce soit de blessant, d’avoir eu la moindre attitude déplacée. Pourquoi s’était-il mis à me détester d’emblée ? Et surtout, comment rectifier le tir maintenant ? Plus que de l’insolence gratuite, il m’arrivait de percevoir ses enfantillages comme l’expression d’une volonté délibérée de me détruire. Était-ce la fatigue liée aux insomnies. Ou ma fragilité psychologique pendant cette phase charnière de ma vie. Toujours est-il que Stéphane piétinait l’image que j’avais mis des dizaines d’années à composer. Il niait mon humanité et faisait rejaillir des incertitudes en moi que j’espérais enfouies depuis des lustres.
Son grand truc consistait à me comparer à son père. À ses yeux, j’étais quantité négligeable à côté de son ivrogne invétéré de père, c’est ce qu’il cherchait à me faire entrer dans le ciboulot. Allez savoir pourquoi, après tout ce que ce type avait pu leur faire subir, à lui et à sa mère, Stéphane s’était mis à proprement l’idéaliser. Je me retenais de le contredire, ce n’était pourtant pas l’envie qui me manquait, je lui aurais bien rafraîchi la mémoire à ce petit merdeux, surtout quand il venait de me claquer l’oreille, que je la sentais encore chauffer, cette méchanceté qu’il avait quand on y pense, il eût été facile de lui rappeler comment son vieux le tabassait avant même qu’il eût atteint l’âge de recevoir des raclées. Mais à quoi bon remuer toute cette boue, rien ne coupait le sifflet à Stéphane, je me retenais, n’ayant jamais aimé dire du mal des morts. C’était pourtant de notoriété publique. Les pompiers d’Arpentières pouvaient venir témoigner, c’était eux qui calmaient cet ivrogne quand il faisait trop de foin le soir. Avec Fabienne et leur gamin en bas âge, ils logeaient dans vingt mètres carrés juste au-dessus de la caserne, ça leur faisait pas loin aux pompiers, deux étages à monter, à portée de voix pour ainsi dire. J’en parle librement, mais Fabienne refusait qu’on évoque son défunt mari, on aurait pourtant pu crever l’abcès une bonne fois, c’était la solution à mon avis, mais elle devait se sentir obligée de le protéger des critiques posthumes, elle connaissait trop l’opinion des gens. Et la mienne en particulier. Elle était capable d’entrer dans des colères si je me mettais à aborder le sujet. Peut-être ne supportait-elle pas qu’on lui remette trop le nez dans ses erreurs passées. Par son silence, elle s’imaginait redorer le blason du père aux yeux du fils et il était presque normal que ce gamin me déteste à ce point, moi le piètre remplaçant, je n’avais pas la carrure pour lutter contre un fantôme.
Je devais sans arrêt feindre l’indifférence pour laisser croire à Stéphane que son attitude puérile glissait sur moi et, surtout, conserver une illusion d’autorité. J’ai bien tenté quelques actes de résistance contre sa maudite taloche, d’inaudibles grognements de réprobation, je prenais l’habitude de soutenir son regard d’un air volontairement détaché qui m’était tout sauf naturel et dont je devais travailler les effets devant ma glace, m’entraînant à faire jouer certains muscles de mon visage jusqu’alors négligés ; dans l’ensemble, ces contre-attaques s’avéraient inutiles, voire contre-productives. Triomphant, Stéphane s’asseyait à table, tel un champion gonflé d’arrogance et sûr de son invincibilité. J’étais excédé. Humilié. Impuissant.
Quel âge avait-il au début, quinze ans ? Oui, à peine quinze.
Quand Fabienne me l’a présenté, j’ai immédiatement compris à son regard noir, qu’il allait lui falloir du temps pour s’habituer à moi. Accepter de partager sa mère avec un intrus n’avait rien d’évident, je l’admettais volontiers et elle m’exhortait à fermer les yeux sur son hostilité manifeste. D’après elle, il allait devenir mignon comme tout, si j’apprenais à l’apprivoiser. Elle me convainquait que les efforts devaient venir de mon côté, mais je n’étais pas rassuré qu’elle en parle déjà comme d’une bête sauvage et je me suis méfié d’emblée. J’allais toutefois dans son sens, dans le seul but d’obtenir les bonnes grâces de ma jeune épouse.
Je voulais lui prouver que, malgré notre écart d’âge, mon nouveau rôle de beau-père me tenait à cœur. Je cherchais à m’appliquer.
Mais j’avoue que les premières insultes du garçon m’ont déconcerté, même s’il n’osait encore que les susurrer les dents serrées. Il ne manquait jamais une occasion de me jauger. La première fois, j’ai cru à une méprise ; ses baragouinages à peine articulés ne pouvaient m’être destinés, je l’ai même fait répéter, en toute bonne foi. Comme pour dissiper un malentendu et reprendre le cours normal de nos vies. Mais il s’est foutu ouvertement de moi et j’ai compris que je n’avais pas rêvé. J’ai un peu honte de répéter ses mots, comme ça, à froid, mais autant tout dire. Malgré son jeune âge, il avait du vocabulaire, il pouvait me traiter de… vieil enculé… ou bien de pédé… il y avait sale merde aussi… s’il avait pu connaître des grossièretés plus tranchantes, j’y aurais eu droit. À n’en pas douter.
Et Fabienne continuait à minimiser. Ne fais pas attention. Il est toujours comme ça quand il ne connaît pas. Je n’en croyais pas mes oreilles. Même si je me situais en terrain inconnu, ce rôle de beau-père ne m’était pas du tout familier, je me rendais compte que Stéphane devenait incontrôlable. Et que l’attitude de Fabienne n’arrangeait pas la situation. Mes filles, elles, ne s’étaient jamais permises le quart du tiers du centième de ses écarts avec moi. Pour prendre la parole à table, même à seize ou dix-sept ans, j’exigeais qu’elles attendent mon autorisation préalable. Bonjour Monsieur, merci Madame, je leur avais enseigné quelques règles de base que je jugeais essentielles. On sait ce que ça leur a valu, Fabienne dénigrait mes méthodes qu’elle jugeait dépassées, on n’est plus dans les années 60 ; c’était son argument préféré pour couper court. Il n’empêche. Je n’ai jamais rencontré de problèmes non plus avec mes chiens. Et Dieu sait que j’en ai eus, des tordus, des tout-fous, eh bien, je les ai toujours dressés moi-même, sans l’aide de personne. Juste à l’instinct. Et tous, je dis bien tous, sans exception, me témoignaient une obéissance indéfectible. Et, puisqu’on est dans ce registre de l’autorité, on peut aussi parler de ma main de fer à l’usine. Les employés, ouvriers et cadres compris, ont toujours filé doux. J’ai même su établir avec la cellule syndicale (où il n’y a pas que des enfants de chœur) des relations teintées de respect mutuel. Alors, par quel mystère Stéphane restait-il insensible à mon autorité naturelle ? Autant, j’avais été un père droit dans ses bottes, autant, je pataugeais allègrement dans celles du beau-père.
Et mon beau-fils savait jouer insidieusement de mes tensions avec sa mère. Depuis la mort du père, ils vivaient tous les deux en vase clos. Une sorte d’intimité malsaine entourait leur relation comme une tumeur protéiforme, une sorte de corps étranger, visqueux, dans lequel j’évoluais avec précaution et non sans répugnance. Leurs rapports me mettaient mal à l’aise.
***
J’ai mis du temps à comprendre pourquoi, une fois ma femme décédée, Fabienne multipliait les prétextes pour retarder son emménagement chez moi. La voie était libre. Nous avions déjà attendu. Je n’en pouvais plus de vivre en ermite. Et j’estimais que nous avions gagné le droit de nous afficher au grand jour. Je lui assurais qu’au village, les gens finiraient bien par l’accepter comme ma femme, j’y comptais bien. Elle deviendrait Madame Bernardini, de gré ou de force. C’est même moi qui lui ai proposé qu’on se marie. Elle n’était pas très chaude ou, du moins, c’est ce qu’elle laissait paraître. Elle a même eu l’air d’étudier ma proposition quand j’ai évoqué l’idée pour la première fois. Je crois bien pourtant qu’elle devait y penser depuis belle lurette. Depuis nos premières rencontres si ça se trouve. Je lui avais sorti ça, sans trop réfléchir aux conséquences, pour qu’elle cesse de s’apitoyer sur la méchanceté des gens ; et, aussi, parce que le rôle de protecteur ne me déplaisait pas, avouons-le. Derrière sa carapace de fierté, je savais la situation de Fabienne carrément précaire, veuve avec un enfant à charge et un métier qui ne payait pas bien. Nous nous aimions, en tout cas, moi, je l’aimais d’un amour irraisonné. J’étais désormais libre, j’avais les moyens de la prendre en charge, nous pouvions passer outre le qu’en-dira-t-on.
Mais quelque chose d’autre la freinait.
Elle disait que la maison l’intimidait, qu’elle y ressentait toujours les mauvaises vibrations de mon épouse décédée. J’ai cherché à la rassurer. On allait ouvrir les fenêtres, faire des transformations si besoin, nous débarrasser de ses vieilles affaires. L’odeur finirait bien par s’en aller. Mais ça ne lui suffisait pas. Elle redoutait de croiser certaines personnes à Pont-sur-Risle. Et par certaines personnes, je savais bien qu’elle sous-entendait mes filles. L’idée d’un face à face avec Ghislaine la bloquait. Elle connaissait mon aînée depuis la communale, elles avaient été dans les mêmes classes jusqu’en CM2. Pourtant il n’y avait pas grand-chose à craindre. Fabienne devait bien se douter qu’aucune de mes deux filles ne risquait plus de remettre les pieds chez moi. Et ce, depuis qu’elle avait eu la riche idée de se pointer à l’enterrement de leur mère pour s’imposer à elles comme ma nouvelle compagne.
En fait, je l’ai compris bien plus tard, ma femme… mes filles… ce que pensaient les gens… tout n’était que prétexte pour ne pas venir habiter avec moi. La raison cachée de ses hésitations, c’était son fils. Elle savait pertinemment qu’il était violent, qu’il allait nous poser des problèmes, mais elle se gardait bien de m’en avertir.
Quand le chirurgien m’avait révélé la fin imminente d’Hélène, j’avais ressenti un vrai soulagement. Je sais que je n’aurais pas dû, mais c’était plus fort que tout, j’en voyais enfin le bout, une nouvelle vie pleine de promesses allait enfin s’ouvrir pour moi. J’avais beau placer ma première femme sur un piédestal, j’estimais qu’elle s’accrochait injustement à la vie, elle ne faisait que retarder mon propre bonheur avec Fabienne. Pour moi aussi, à une autre échelle, le temps était compté et je trouvais que sa vaine résistance contre la maladie toute-puissante frisait l’égoïsme, elle me faisait perdre un temps précieux. Il était flagrant que notre cycle était achevé, rien de positif ne pouvait plus en sortir. Je priais souvent pour que le calvaire cesse au plus vite (je parle du mien), d’autant que j’en étais venu à commettre l’irréparable. Hélène se remettait à peine de sa deuxième opération, son cancer progressait toujours, les métastases la grignotaient par tous les bouts et je n’avais rien trouvé de mieux que de tout lui révéler. L’intention était louable, je voulais faire preuve de transparence juste avant de la voir partir, me racheter en quelque sorte, me mettre en paix avec ma conscience. Mais ma soif d’honnêteté a tout fait tourner au fiasco. J’ai cédé trop facilement à ses questions pressantes, il a fallu que j’aille tout lui avouer de ma liaison, lui dire qu’il s’agissait de Fabienne, je n’ai omis aucun des détails qu’elle réclamait. Du coup, je n’ai fait qu’ajouter de la peine à sa souffrance. La haine n’a plus quitté son regard à partir de ce jour et, comme on sait, la haine est un moteur puissant. Elle a refusé obstinément de m’adresser à nouveau la parole jusqu’à son dernier souffle. À chaque fois que je la visitais dans sa chambre de soins, elle m’ignorait souverainement. C’est pourquoi, je persiste à dire qu’elle s’accrochait à sa vie dans le seul but de gâcher la mienne. Son silence accusateur ternissait mes projets d’avenir, il fallait bien que je pense un peu à moi, non ?
Heureusement, je trouvais au plus profond de mon être une énergie insoupçonnée, à l’époque, Fabienne et moi faisions l’amour plusieurs fois par jour. Partout où ça nous prenait. Sur la banquette arrière de la XM, contre le lave-vaisselle, en sortant du restaurant, en pleine forêt de Bois-Normand, dans ma cave à vins. On aurait dit que je cherchais à cocher les cases des lieux les plus insolites pour ce genre de pratique. Fabienne n’était pas contre, je ne suis pas certain qu’elle fût totalement partante non plus. En tout cas, elle se prêtait de bonne grâce à mes élans enthousiastes et incontrôlés. Il n’était pas encore question de Stéphane entre nous. Et cette période bénie restera une des plus chères de ma vie. La dernière sans doute. La plus belle.
Dans sa phase terminale, Hélène demeurait la seule ombre et je supposais, qu’une fois disparue, plus rien ni personne ne m’empêcherait de raviver l’éclat de mon existence. À ma grande surprise, l’enterrement que j’attendais comme une délivrance a eu lieu exactement comme prévu mais, une fois passée l’agitation de la cérémonie, quand le monde est reparti chacun chez soi reprendre sa petite vie, me laissant à la mienne qui était supposée redémarrer, je me suis retrouvé devant un vide vertigineux.
À l’église, tout le monde m’avait trouvé digne.
Entouré de mes filles, j’étais au centre des attentions, auréolé du deuil de ma femme. Je ne sais pas pourquoi cette phrase absurde… qui vole un veuf, vole un bœuf… revenait à la charge dans ma tête, comme l’écho d’une migraine… qui vole un veuf, vole un bœuf… Sans doute le trac avant de prendre la parole en public. Heurtée par ce qui n’était encore que des potins sur ma vie extra-conjugale, ma belle-famille prenait ses distances depuis quelque temps. Regroupés aux premiers rangs, à gauche de la nef, les Loisel ont quand même été émus lorsque, la gorge étranglée par les sanglots, j’ai récité de mémoire le discours sur Hélène que j’avais mis des semaines à écrire et pris la peine de répéter sans relâche et ce, bien avant qu’elle ne nous quitte. Je rendais hommage à la femme exceptionnelle, la conseillère municipale efficace, l’épouse aimante, la mère attentionnée… et la céramiste talentueuse, qu’elle était devenue sur la fin. Chacun retrouvait dans mes propos une facette d’Hélène qu’il avait connue et pouvait en découvrir d’autres, pour se faire de ma chère épouse un portrait plus complet. C’était le but recherché. Une construction classique. J’y avais passé beaucoup de temps, n’étant pas particulièrement doué pour écrire des discours.
Serge, le frère d’Hélène, a dit le sien aussi. Ses lunettes en demi-lune sur le nez, il s’est un peu perdu dans ses notes, s’interrompant, avec l’air d’interroger l’assistance. Les gens en profitaient pour se moucher. Le temps était à l’humidité. J’ai beaucoup aimé son texte sur sa grande sœur. Il était plus sobre que le mien, tout aussi efficace, malgré un défaut évident de préparation. Je lui enviais des anecdotes auxquelles je regrettais de n’avoir pas pensé.
Ma fille Ghislaine n’a pas voulu prendre la parole préférant garder pour elle ses souvenirs. Elle était très proche de sa mère. Elles se ressemblaient tellement, la même classe distante, la même austérité. Élevée dans la religion par Hélène, elle pratiquait toujours avec son bigot de mari. Je ne comprenais pas bien leurs bondieuseries et pour cause, mon père m’avait biberonné aux comptines anticléricales durant toute mon enfance et à la chasse, quand on me lançait, j’entonnais encore volontiers Dieu est un p’tit bonhomme qui pisse tout bleu, pour faire rigoler les copains. Soutenue par son mari et entourée de ses enfants qui se massaient contre ses jupes, comme si elle avait détenu le seul parapluie disponible pour échapper aux trombes d’eau d’un orage tropical, Ghislaine ne m’avait pas adressé un mot depuis son arrivée. À peine un bonjour. J’avais tenté de l’approcher par l’entremise de mes petits-enfants, que j’essayais d’amadouer en jouant les papys gâteaux, mais ils restaient étonnamment distants. Je soupçonnais ma femme Hélène d’avoir vendu la mèche à ses filles avant de mourir à propos de ma maîtresse ; ce que je ne trouvais pas particulièrement fair play de sa part. J’imagine que c’était l’effet recherché mais cela me mettait dans une situation des plus inconfortables. Je me contentais de raconter le calvaire des dernières semaines à mon gendre Pierre qui, lui, pour le coup, en bon catholique adepte de la compassion, m’écoutait respectueusement d’un air affligé. Il jetait toutefois des coups d’œil inquiets vers Ghislaine qui semblait lui faire comprendre du regard qu’il devait choisir son camp. Heureusement, mon Odile était là. Ma cadette, ma préférée. À près de quarante ans, elle m’appelait toujours petit papa et contrairement à sa sœur aînée dont elle était aux antipodes, Odile ne croyait en rien, sinon en la vie. Elle n’avait absolument rien préparé, mais elle s’est décidée en deux secondes, elle a saisi le micro que lui a tendu le curé pour improviser des choses bouleversantes sur sa mère qui ont résonné sous la voûte comme des vérités célestes. Elle se remémorait les baignades dans la Risle, nos étés passés tous les quatre, des poésies que sa mère lui avait apprises. Je ne sais plus bien, je n’écoutais pas vraiment, mes larmes coulaient en continu sous mes lunettes noires. Et puis, la messe a traîné en longueur. Ensuite, nous avons tous suivi la CX corbillard jusqu’au cimetière, tout en haut du bourg, à moins d’un kilomètre de l’église. Avec mes filles, nous formions le premier rang, le cercueil en ligne de mire. Toutes les deux sanglotaient, seule Odile me donnait le bras.
Je ne pensais pas vraiment à Hélène qui se tenait allongée à deux mètres de nous, dans son tailleur Chanel préféré, avec son maquillage macabre, les bas plissés sur ses jambes décharnées.
C’est plus tard que j’ai eu cette vision. Le soir. Moi, dans notre lit conjugal, elle, sous la terre pour toujours. Non, à ce moment-là, je cherchais plutôt Fabienne des yeux, je répondais aux gens, leur ânonnais les mêmes formules automatiques, je m’appliquais à y mettre de la sincérité. J’écoutais à peine. Où était Fabienne ? Certainement pas loin. Il me semblait l’avoir aperçue derrière une colonne à l’église, juste avant la cérémonie, et ensuite une ou deux fois en arrière-plan, lorsque nous étions sortis. Je n’étais pas tranquille de la savoir toujours dans les parages, j’espérais qu’elle se serait finalement résignée à ne pas nous suivre au cimetière. Elle m’avait fait une scène la veille pour m’obliger à officialiser notre liaison. Le dire à mes filles. Maintenant. Tout de suite. Et j’avais eu un mal fou à lui expliquer l’ordre de mes priorités. Il me fallait d’abord enterrer Hélène proprement, le reste viendrait tout naturellement. J’espérais qu’elle avait saisi cette fois, bien que, connaissant son entêtement et son goût pour le scandale, je m’attendais à tout.
Après la mise en terre, juste au moment où mes filles s’engageaient dans la fourgonnette funéraire pour quitter le cimetière, j’ai vu Fabienne surgir de nulle part. Elle s’est adressée à mes filles qui se tenaient déjà assises sur la banquette arrière. Moi-même, j’étais à une vingtaine de mètres, la femme de Serge me débitait je ne sais quoi. Trop abasourdi, j’assistais au désastre prévisible, la confrontation de ma maîtresse avec Ghislaine et Odile, au plus mauvais moment, dans le pire endroit. Mes oreilles sifflaient sous le coup de l’émotion. Fabienne foutait tout en l’air et je ne faisais rien pour l’en empêcher. À un moment, Ghislaine s’est redressée pour repousser Fabienne. D’où nous nous trouvions, on ne pouvait pas capter leur échange, en revanche, tout le monde a distinctement entendu quand Ghislaine s’est mise à hurler un truc du genre, maintenant, tu te casses, salope. Mes oreilles se sont mises à siffler plus fort, plus aigu, comme si j’avais ouvert la porte de l’enfer. Et ma vue s’est obscurcie. On m’a dit plus tard que j’avais eu un petit malaise.
Par la suite, Fabienne m’a assuré qu’elle n’avait fait que présenter ses condoléances à mes filles, rien de plus. Quant à elles, elles ont soutenu que ma maîtresse était venue pour les narguer. La vérité devait se situer entre les deux, mais le mal était fait.
Après le cimetière, une grosse collation était normalement prévue au Café de la Place. Je n’ai pas voulu changer le programme afin de ne pas attirer l’attention des rares personnes qui n’avaient pas assisté à l’esclandre. J’avais compté large, il devait y avoir la famille d’Hélène, mes amis chasseurs, quelques fidèles employés de l’usine, une grande partie des commerçants de Pont-sur-Risle, également des inconnus des environs qu’Hélène avait côtoyés durant ses diverses activités et, bien sûr, les bigotes qui étaient de toutes les cérémonies. Inutile de préciser que mes filles avaient filé avec gendre et petits-enfants, sans prévenir, alors qu’ils devaient tous coucher à la maison ce soir-là. J’aurais au minimum voulu m’expliquer avec Odile. Je ne voyais plus Fabienne. Les Loisel étaient partis eux aussi. Il y avait juste Serge. C’est lui qui m’a retenu quand je suis parti dans le cirage. »

Extrait
« La petite frappe qui accompagnait Stéphane s’appelait Sergueï. Je trouvais que son prénom lui allait comme un gant, il évoquait le salpêtre des sous-sols du KGB, le départ à l’aube pour la Légion étrangère, une froide vengeance dans les Carpates à grands coups de barres de fer sur les genoux. Il fleurait bon le meurtre anonyme dans les sous-bois, le cadavre défiguré plongé dans l’acide, le couteau à cran d’arrêt enfoncé le sourire aux lèvres, les pires bas-fonds d’Albanie. Jamais prénom n’avait été aussi bien porté. Avec sa cagoule de malfrat, Sergueï pouvait se vanter de me faire dresser les poils. » p. 116

À propos de l’auteur
La mort porte conseilHervé Paolini © Photo DR

Hervé Paolini est né à Paris en 1960. Depuis les années 90, il travaille dans la communication et partage sa vie entre New York et Paris où il vit désormais. La mort porte conseil est son premier roman. (Source: Serge Safran Éditeur)

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