Aujourd'hui on vous parle d'un classique de la littérature française début XXème avec Thérèse Desqueyroux de François Mauriac.
Après l'échec cuisant de la Horde du Contrevent, l'Ourse bibliophile et moi on s'est dit qu'on allait réitérer l'expérience de la lecture commune avec un classique de la littérature française. L'échec Damasio va-t-il contaminer la LC Mauriac (nom de code " Let's meet la Tata Thérèse ") ? Le suspens est évidemment insoutenable...
Comme à notre habitude, on remercie L'Ourse bien bas d'avoir été notre copilote de lecture. Un roman court... Mais intense, vous allez le voir.
On vous invite à aller lire sa chronique également en cliquant sur ce texte. Oui ce texte-là que vous êtes en train de lire.Mais avant de commencer notre chronique, vous connaissez maintenant la rengaine, un bref résumé de l'œuvre :
Pour ne rien vous cacher, ceci est le résumé de l'adaptation réalisé sur grand écran en 2012. Tous les autres résumés que nous avons trouvés étaient tellement mal fichus que c'est celui-ci qui nous a paru le plus éclairant pour qui ne sait pas ce dont traite ce livre sans se gâcher totalement tout le contenu de l'histoire.
En parlant de " gâcher ", nous préférons prévenir notre aimable lectorat que cette chronique sera totalement divulgachante étant donnée la brièveté du roman. Aussi, si vous n'avez pas lu ce roman et que vous ne souhaitez pas que l'on vous divulgue la trame narrative, les rebondissements, etc. Nous vous invitons à venir nous relire plus tard !
" Que lui dirait-elle? Par quel aveu commencer? "
Dès les premiers chapitres, le ton est donné. Le mariage de Thérèse est un échec. Elle sort tout juste d'un procès au cours duquel son mari a pris sa défense d'une manière qui semble étonner le monde. On comprend bien vite pourquoi le témoignage du mari en sa faveur est étrange. Thérèse est accusé d'un crime bien particulier, celui d'avoir voulu le tuer. Bon, bah comme ça, c'est dit. Voilà un roman qui commence joyeusement.
Dans la voiture chargée de la ramener dans la province bordelaise, Thérèse réfléchit à la justification qu'elle va offrir à son mari. Trouver un moyen d'expliquer ce qui, dans son esprit, reste visiblement inexplicable. A moins que remonter dans ses souvenirs l'aide ? La criminelle protagoniste de ce roman éponyme tente alors de retrouver dans son passé la trace d'un évènement qui aurait pu la mener là où elle se trouve aujourd'hui.
Les lecteur.ices sont alors invités à entrer dans la psyché de Thérèse au court dudit trajet en voiture. Monologuant, Thérèse nous raconte de loin en loin les évènements qui ont précédé sa tentative de meurtre cherchant en elle-même ce qui l'a poussée à devenir criminelle. On découvre progressivement sa vie, les pensées qui la traversent et surtout, la solitude doublée d'un terrible ennui...
Thérèse la femme fardeau
Ce bon vieux Nanar, me direz-vous, qui est-il ? Laissez-nous vous parler de Bernard, l'époux. C'est une sorte de bourgeois de province. Sans grandes ambitions, il se caractérise surtout par son envie que les choses continuent d'être telles qu'elles sont. Il prend de la place Bernard, c'est une sorte de prototype Chasse et Pêche qui mastique bruyamment, dégoûte Thérèse et n'a pour seul objectif que de faire perdurer la lignée des Desqueyroux.
Plutôt mal dégrossi, Bernard n'est pas un mauvais bougre, il inspirerait peut-être même plus la pitié une fois l'ouvrage refermé... Mais bien vite, on comprend la révulsion qu'il inspire à Thérèse, il faut l'avouer. A titre d'exemple, fonder une famille, je veux. Mais autant que ce soit vite fait bien fait et qu'on en parle plus. Il a d'autres chats à fouetter le Nanar.
Sachant cela, vous vous doutez bien que sauver Thérèse d'une peine d'emprisonnement (?) c'est avant tout pour sauver les apparences et éviter d'entacher le nom des Desqueyroux... C'est que ça jase dans la région d'Argelouse... Voilà qui nous rappelle un autre homme de la vie de Thérèse, ce père qui apparaît comme une ombre fugace au premier chapitre et dont on sent bien que, lui aussi, il a mieux à faire que d'être aux côtés de Thérèse, un peu trop différente de ce que l'on attend alors d'une fille douce et d'une gentille épouse.
Thérèse est peu de chose, une femme si embarrassante. Incapable de tenir le rôle qui lui a été donné dans ce théâtre grotesque qu'est la vie. Elle restera tout au long du roman un simple corps, passif.
Un corps qui gêne, qu'on pénètre, qu'on engrosse. Un corps réceptacle.
" Les La Trave vénéraient en moi un vase sacré; le réceptacle de leur progéniture; aucun doute que, le cas échéant, ils m'eussent sacrifiée à cet embryon. Je perdais le sentiment de mon existence individuelle. Je n'étais que le sarment; aux yeux de la famille, le fruit attaché à mes entrailles comptait seul. "Thérèse Desqueyroux, François Mauriac, Editions le livre de poche, 1968, p. 104
Mais un corps de femme doté d'un esprit aiguisé. Un corps de femme capable de tuer.
Une protagoniste ambivalente...
Le personnage de Thérèse est l'un des personnages les plus ambivalents sur lesquels il nous a été donné de lire. L'idée du criminel qui se tourmente à comprendre comment il en est arrivé là n'est pas nouvelle. Dostoïevski et son bon vieux Raskolnikov l'avait déjà fait. L'œuvre de Mauriac diffère et est plutôt audacieuse pour son époque puisque c'est ici d'une femme dont il s'agit rendant la chose plus amorale encore. Une femme qui tente de tuer son époux, c'est encore un scandale (ça devrait l'être tout autant qu'un époux qui tente de tuer sa femme, qu'on s'entende sur ce qu'on essaye de vous dire là.) aujourd'hui alors imaginez dans les années 20... Et François Mauriac s'en sort plutôt bien pour dépeindre un personnage ambigüe, dont on ne comprend jamais tous les agissements.
L'une des citations du roman semble parfaitement illustrer le projet littéraire de Mauriac et décrire tout à fait les sentiments inverses qu'a pu nous faire éprouver Thérèse :
" Que ce fût à son insu, Thérèse suscitait le drame - pire que le drame : le fait divers; il fallait qu'elle fût criminelle ou victime... "Thérèse Desqueyroux, François Mauriac, Editions le livre de poche, 1968, p. 163
Attirant tantôt notre empathie face à un mari pour le moins ennuyeux, une vie qu'elle regrette ou encore le regard que les habitants posent sur elle comme si elle était un monstre, Thérèse est également un personnage antipathique à certains égards. Froide, ne souhaitant pas le bonheur conjugal à sa plus chère amie Anne, s'enfonçant dans une vie dont elle savait probablement dès le début qu'elle ne lui conviendrait pas, Thérèse subit son quotidien et reste indifférente à toutes choses. Même ce qu'elle aime ne semble pas compter tant que ça à ses yeux. Si Bernard doit être qualifié par son manque d'ambition, c'est sans doute la passivité qui caractérise le plus Thérèse. On peut d'ailleurs défendre cette idée jusque dans l'acte de tuer. Thérèse constatant un soir que son époux a pris une dose potentiellement mortelle de l'un de ses médicaments, elle s'abstient simplement d'intervenir...
Et pourtant, Thérèse n'est pas véritablement passive puisque c'est toujours masquée qu'elle avance et s'adresse à son entourage. Thérèse joue un jeu de dupes et jouer c'est déjà faire quelque chose. Son masque se craquèle subtilement le jour de ses noces sans que personne n'y prenne garde et tombe totalement lorsqu'elle est accusée de tentative de meurtre.
Son masque tombe mais son vrai visage n'est jamais véritablement découvert. Les lecteur.ices seront les seul.es chanceu.ses à découvrir qui se cache sous ce masque de convenances dans la partie centrale du roman, prenant la forme d'une confession. Peut-être pourrions-nous faire exception de Bernard à qui est donné l'occasion de voir le vrai visage de Thérèse dans les dernières pages du roman mais qui, égale à lui-même, reste aveugle et indifférent.
La mise en scène de la vie quotidienne, Thérèse a pourtant accepté de s'y plier lorsqu'elle a rencontré Bernard. Il est son ticket vers une vie bien rangée.
Dès les prémices de leur relation, elle joue la carte de la séduction pour rentrer dans les clous.
Bien vite, tellement vite que l'on se met à penser qu' elle s'en doutait dès le début, Bernard l'insupporte. Sa solitude lui manque, Thérèse aimerait avoir, de temps en temps l'occasion de poser ce masque d'épouse qui l'oppresse.
" Elle ne le haïssait pas; mais quel désir d'être seule pour penser à sa souffrance, pour chercher l'endroit où elle souffrait ! Simplement qu'il ne soit plus là; qu'elle puisse ne pas se forcer à manger, à sourire; qu'elle n'ait plus ce souci de composer son visage, d'éteindre son regard; que son esprit se fixe librement sur ce désespoir mystérieux [...] "Thérèse Desqueyroux, François Mauriac, Editions le livre de poche, 1968, p. 55 - 56
Mais se marier ne relevant pas véritablement du choix, ce sont plutôt les convenances, ce que la société attend d'elle qui pousse Thérèse à endosser le masque de la femme mariée. Un mariage qui se soldera par un échec et au cours duquel elle rêvera sans cesse d'une vie à sa hauteur.
... et rêve d'une vie meilleure
Thérèse est une femme hors normes pour son temps. Elle aime lire, fume cigarettes sur cigarettes, n'a pas " d'instinct maternel " et rêve d'une vie parisienne.
A bien des égards, Thérèse nous a évoqué une certaine Sidonie-Gabrielle Colette, dites Colette. Et plus encore lors des dernières pages du roman où Thérèse nous apparait comme le type de la femme indépendante parisienne en devenir.
Dès le chapitre sept, ses discussions avec Jean Azévédo nourrissent ses rêves parisiens.
" Jean Azévédo me décrivait Paris, ses camaraderies, et j'imaginais un royaume dont la loi eût été de " devenir soi-même ". "Thérèse Desqueyroux, François Mauriac, Editions le livre de poche, 1968, p. 93
Ces rêves qui peinent à se réaliser resteront longtemps de l'ordre du fantasme, menant Thérèse là où on le sait. En attendant, Thérèse n'est qu'amertume. On nous dit " [qu']elle exécrait dans les romans la peinture d'êtres extraordinaires et tels qu'on n'en rencontre jamais dans la vie. " (p.78), et ses agissements envers Anne, son amie d'enfance éperdument amoureuse de Jean Azévédo, nous laissent deviner encore une fois l'aigreur d'une Thérèse coincée dans un mariage qui la rend malheureuse. Une sorte de tristesse qui lui fait se dire que si elle ne connait pas le bonheur, Anne ne le connaitra pas non plus. Cruel n'est-ce pas ? On vous a dit qu'elle pouvait être fichtrement antipathique...
Enfin, ce dernier paragraphe semble être l'endroit parfait où évoquer un ressenti que l'Ourse et moi avons partagé lors de notre LC mais dont nous avons immédiatement douté. Notre crainte est, évidemment, d'avoir une interprétation faussée de l'œuvre, la voyant de notre point de vue de lectrices du XXIème siècle. Je vous en parle tout de même car, à mon avis, c'est une théorie pas complètement erronée et si nous sommes deux à avoir eu cette impression, ce n'est probablement pas un hasard...
Je viens de vous parler du mariage raté de Thérèse, de son besoin de " se caser ", du fait qu'en se mariant avec Bernard, " elle entrait dans un ordre ". Enfin, qu'en se mariant " elle se sauvait. "
Mais de quoi se sauve Thérèse ? Est-elle tout simplement indifférente aux choses de l'amour et heureuse de s'être débarrassée de cette tâche ingrate qui consiste à se trouver un mari ? Peut-être. Ou bien elle se sauve d'une attirance envers les femmes, jugée anormale alors. De fait, nous n'avons pu nous empêcher de voir une forme d' homoérotisme à peine voilée dans la relation entretenue entre Anne et Thérèse. Certaines scènes remontant à leur enfance ne sont pas dénuées d'une certaine sensualité qui vient semer le trouble dans la façon dont on envisage leur relation. Thérèse souhaite-t-elle le malheur conjugal à son amie uniquement par jeu de miroirs ou bien parce qu'elle ressent une attirance pour cette dernière. Mais Thérèse semble également attirée par les hommes puisque Jean Azévédo ne la laisse pas indifférente... Bien qu'elle s'en lasse bien vite.
Alors voilà, l'hypothèse d'une Thérèse bisexuelle est-elle fumeuse ? A vous d'en juger. Pour ma part, le fait qu'il est connu de tous dès les années 60 que Mauriac a entretenu des relations avec des hommes ajouté à l'intuition d'une Thérèse si proche de ce que représente Colette (elle-même notoirement bi) dans mon esprit en font un personnage définitivement queer. Et les images de l'adaptation de Georges Franju ne font que renforcer l'idée qu'on n'est pas les seules à avoir perçu la relation Thérèse - Anne comme une relation un peu plus qu'amicale...
Therese Desqueyrou x de Georges Franju (1962) ©AFP
Et si nous ne comprenions pas Thérèse parce qu'elle ne s'est pas encore totalement trouvé elle-même ? Voilà qui rend curieuses de savoir ce que l'auteur a fait de ce personnage dans La fin de la nuit, (un roman que Mauriac lui-même ne voyait pas comme une suite à Thérèse Desqueyroux mais plutôt comme le portrait de ce même personnage dans le déclin), on espère qu'elle a réussi à trouver un sens à sa vie dans ses péripéties parisiennes. A l'instar de son créateur, on l'abandonne ici, dans la foule parisienne, corps passif ballotté par l'agitation de la capitale.
Voilà, s'en est tout de cette chronique !
Cette lecture aura été courte mais très dense et on espère avoir réussi à retranscrire tous les sentiments et toutes les réflexions par lesquelles elle nous a fait passer.
Si vous avez déjà lu ce roman, nous serions curieuses (je parle pour nous deux l'Ourse, tu m'excuseras) de savoir si vous avez vous aussi perçu une forme de tension amoureuse entre Thérèse et Anne ? Plus généralement, je suis curieuse d'avoir votre avis sur ce roman.
Enfin, si vous passez par ici parce que vous avez l'impression d'être passé à côté de ce livre, on espère avoir réussi à vous transmettre nos impressions, l'intérêt que l'on a pu y trouver et quelques pistes de réflexion !