" Toute une moitié du monde "
ZENITER Alice
(Flammarion)
Alice ! Le vieux Lecteur en a fini avec votre essai. Il vous quitte pour s'immerger tout aussitôt dans la dernière des productions de Nathalie Quintane Tout va bien se passer. Une précision que vous jugerez peut-être superflue, voir même inutile, mais qu'il tient tout de même à vous confier.
Mais ce vieux Lecteur-là vous quitte sans vraiment vous quitter. Puisque vous l'avez bousculé, vous l'avez sorti de son confort (intellectuel) et de certaines de ses certitudes (intellectuelles elles aussi). C'est que, voyez-vous, je suis venu très jeune à la lecture. Grâce à l'intercession d'une aïeule qui, au lendemain de la guerre, grava en ma mémoire quelques poèmes, ceux qu'elle me murmurait à l'oreille. Jean de la Fontaine, bien sûr. Victor Hugo, passage obligé chez des gens qui croyaient alors en la République. Et puis ces vers qui me chantaient la rose et le réséda, qui évoquaient un monsieur dont la seule prononciation des nom et prénom faisaient monter quelques larmes aux yeux de mon aïeule, un certain Péri Gabriel. La même aïeule qui m'initia aux mystères des combats des quatre fils du roi Aymon et de Bayard, leur fabuleux cheval. La même aïeule qui me conta le destin tragique des insensées et frivoles dames de Meuse et qui m'entraîna sur les sentiers forestiers qu'empruntaient autrefois, et par des cheminements contraires, les bonnes fées et les cruelles sorcières. Puis vint le temps des premiers livres, en premier lieu celui dont le titre est resté à tout jamais gravé dans cette mémoire de Lecteur, Mon Petit Trott (André Lichtenberger), un bouquin qui pesait très lourd entre les mains d'un gamin qui n'avait pas encore six ans.
Ce bref rappel pour vous révéler, Alice, que ma découverte puis mon introduction dans l'univers littéraire s'opérèrent sous la houlette d'Ecrivains. Ceux déjà cités. Puis tous les autres. A commencer par Dumas. Puis London, Cooper, Curwood, Féval... Une floppée d'Ecrivains auxquels s'ajoutèrent très vite ceux que l'école de la République m'imposa l'étude. Homère, Virgile, Dante, Rabelais, Ronsard, La Bruyère, Corneille, Racine, Molière, Beaumarchais. Puis les romanciers de 19° siècle, Français et Russes en particulier. Pour en finir avec mes deux repères, Jean Giono et Louis Aragon. Tous des hommes.
Et les Ecrivaines (que je déteste la sonorité de ce vocable !) me demanderez-vous ? Les Ecrivaines me vinrent d'abord par la marge. Colette, en premier lieu, qu'un de mes oncles vénérait. Puis Marguerite Yourcenar, un hasard qui se transforma en passion. Il me fallut ensuite beaucoup de temps pour me confronter aux autres, à celles qui me révélèrent que l'écriture au féminin me devenait une sorte de nécessité vitale. Notre nobellisée, qu'à l'inverse de vous je tiens en très haute estime. Les Américaines. Oates. Erdrich. En autres. Les Allemandes. Seghers. Wolf. Entre autres. Il m'a fallu de très longues années pour comprendre (admettre ?) que notre monde intellectuel est composé de femmes et d'hommes, qu'il existe entre Elles et Eux une complémentarité hors laquelle l'exercice complexe de l'écriture n'a pas (ou peu) de sens.
Alors j'ai beaucoup apprécié que vous me mettiez, Alice, les points sur les i, que vous me confrontiez à mes lacunes, à mes manques, à mes insuffisances. Votre bouquin appartient à la catégorie de ceux qu'il m'est désagréable de refermer, tant s'est ancrée en moi la certitude que ce bouquin-là me rend un peu moins ignorant. Donc un bouquin je vais revenir de temps à autre. Si vous n'y voyez pas d'inconvénient, bien entendu.