Ne pleure pas sur moi

Ne pleure pas sur moi

En deux mots
Darline a décidé de partir sur les traces de Lennon, son homme, qui a pris la direction d’Anvers. S’il se rend en Belgique, c’est pour se faire castrer. Et c’est ce que Darline veut à tout prix éviter. Au fil de son voyage, elle va nous raconter leur histoire commune et faire des rencontres assez improbables.

Ma note
★★★ (bien aimé)

Ma chronique

Sur la route d’Anvers

Dans un road-trip un peu déjanté, Samuel Lebon raconte le voyage de Darline, partie à Anvers retrouver Lennon, l’homme qu’elle aime et qui veut se faire castrer. Parviendra-t-elle à l’en dissuader? C’est l’un des enjeux de ce roman joyeusement foutraque.

Évoquer un road-trip de Poissy à Anvers, ça ne fait pas forcément rêver. Y ajouter qu’il s’agit pour une femme et sa fille de retrouver son homme pour qu’il ne se fasse pas castrer, cela n’ajoute guère de romantisme à l’affaire. Et pourtant ! Pourtant le voyage de Darline, qui décide de retrouver Lennon, vaut le détour.
Parce que durant tout le long du voyage, elle va nous raconter comment, avec son copain d’enfance, elle a construit son couple et comment, malgré les vicissitudes, elle n’a cessé de croire en leur histoire
Parce que la musique donne au récit son rythme si particulier. La musique qui fait partie de la vie des protagonistes qui vivent sur une péniche qui est aussi salle de concert, qui rêvent de leur propre studio et qui ne peuvent vivre sans leurs groupes et chanteurs favoris. Dans sa Peugeot 1007 déglinguée, Darline a fort heureusement des cassettes qui vont l’accompagner. Mais la musique, c’est aussi celle des mots qui composent ce livre et qui chantent à nos oreilles. Essayez de le lire à haute voix et vous verrez comme il sonne bien. Un peu comme un exercice de slam.
Parce que derrière ce voyage à l’issue incertaine se cache une double réflexion, celle sur le statut des hommes d’aujourd’hui, censés se conformer aux injonctions post #metoo et qui se découvrent fragiles et désorientés et celle sur le combat féministe loin d’être gagné: «Lennon couche avec moi parce que je suis la seule femme qu’il fréquente encore. C’est pas vraiment le conte de fées. Je suis la dernière roue du carrosse. Tu parles d’un carrosse. Une pauvre citrouille. (…)
Jamais il m’achète de fleurs. Jamais on part en vacances. Même pas un brin de muguet.»
Tout au long des rencontres qui vont jalonner son parcours, Darline aura l’occasion de confronter son point de vue, pas toujours pour y voir la confirmation de ses idées, et de s’ouvrir à d’autres horizons. C’est plein de sexe et de rock’n’roll et ça se termine sur un carnaval endiablé, comme la Belgique peut en proposer avec cette «Nuit des Trouilles de Nouilles».
Samuel Lebon a un style qui épouse parfaitement son propos, cru et libre, plus préoccupé de la sonorité que de la syntaxe. Ici les enterrements sont plutôt des fêtes d’adieu, les relations aussi éphémères qu’intenses et l’amour – le vrai – peut-être au bout de la route. Va savoir…

Ne pleure pas sur moi
Samuel Lebon
Éditions Le Dilettante
Roman
160 p., 16 €
EAN 9791030801019
Paru le 23/08/2023

Où?
Le roman est situé principalement sur la route, à Poissy à Anvers.

Quand?
L’action se déroule de nos jours.

Ce qu’en dit l’éditeur
L’esprit louisianais, ce mélange corrosif et dansant de désespérance rigolarde et d’improvisation swinguante qui monte des mangroves et macère dans la moiteur sudiste… C’est avec pareil jus de bayou qu’ont été biberonnés les deux perdants magnifiques de ce roadbook déglingué et journal débordé signé Darline, une âme en peine lancée sur la piste de Lennon, son jumeau stellaire et quasi-père de sa fille, décidé à gagner les Flandres pour se faire raboter les joyeuses. Samuel Lebon ne finasse pas, taclant à tout va dans une écriture qui emprunte à Nick Cave pour l’apocalyptique intime et à Lydia Lunch pour l’éros en roue libre et la pugnacité affective.

Les critiques
Babelio
Lecteurs.com
Le Matricule des Anges (Jérôme Delclos)
La Voix du Nord (Charles-Olivier Bourgeot)

Les premières pages du livre
« J’ai sorti le grand jeu. Ma spécialité, le gombo au poulet. J’ai piqué une bouteille de son vin préféré à la cave. Le grand soir c’est ce soir. Pas la première fois que je le fais boire.
J’ai mis une robe mais pour le maquillage je reste simple. Il me préfère au naturel. Je garde les chandelles pour le rituel. Un repas aux bougies, très peu pour lui. Pas de nappe, pas de chichi, j’ai posé deux assiettes ordinaires sur le bar. Même l’idée d’une assiette le met en retard.
Il a de la route le gars. Tout le jardin à traverser. C’est déjà trop demander. J’ai guetté sans guetter, fait semblant de m’affairer, les minutes ont passé et je suis toujours là, devant la fenêtre. À quoi bon se cacher avec cette lune de trois jours et le brouillard venu du fleuve. On n’y verrait pas un alligator à cinq mètres.
J’ai prévu un cadeau. Introducing Karl Blau en cassette audio. J’espère que c’est pas trop. Qu’il ne va pas me sortir le refrain du gigolo. C’est juste un petit cadeau.
J’ose pas m’aventurer dans l’allée. Le fleuve, je préfère le tenir en respect. J’ouvre le pinard. Lennon croit que je vais l’appeler. Il veut me rabaisser.
C’est le d-day. J’espérais qu’on pourrait recoller les morceaux. Je me suis chauffée toute la journée. Ça vaut peut-être le coup de me rabaisser.
Numéro non attribué. Il a bazardé son portable. Il va me rendre folle.
Je m’allonge sur le canapé. Mon mec a oublié notre dîner. Sa bouteille est bien entamée, je me caresse sans grande conviction en pensant à lui. Je pourrais me fourrer les bougies dans le cul, de toute façon le rituel est foutu.

Passe-moi le sac à vomi. Un mec en peau de loup dans la nuit. Un genre de cérémonie. Sur le cimetière de bruyère des taches de lèpre. Le caveau est en bois, sur le toit le grand méchant aux abois, le loup sort du bois.
Le vieux possédé demande si elle avale : la sève sacrée du loup garoo. Il aiguise ses couteaux. Il vendra la peau de la diva. Comme l’enfant elle périra. Loup garoo, enfant du bayou, douze coups de couteau mon chou.
Le sorcier reprend ses esprits, rend la peau du loup gris. Il laisse tomber le costume, il maquille la scène de crime.

Six heures du matin. J’ai mal dormi. J’ai la bouche pâteuse. Le poulet se noie au fond du gombo. Je me sers un café.
Dehors rien à signaler. Aucune chance de distinguer les bateaux. Au-delà de la balançoire c’est le gris complet. Une aubaine de matinée pour les monstres des marais. Profitez, ça va se lever, canicule annoncée.
Deuxième café, je me dis que c’est toujours le d-day à quelques heures près. Je suis de repos et ma fille veut pas se lever. Lennon ne viendra plus mais c’est décidé, je vais le chercher. Je pose le lait et les céréales sur le bar, je mets le gombo au frigo, je sors.
Sous le porche le thermomètre est à zéro. Ressenti : moins dix. Je rentre me changer. J’enfile mon pantalon de randonnée troué. Je prends ma parka et une lampe torche dans la véranda. J’attaque le brouillard à coups de piles alcalines.
J’aurais bien besoin d’un troisième café. Je me concentre pour ne pas glisser. Je vois à peine mes pieds. Vague impression d’être bourrée.
La nuit est pour les morts, le jour pour les vivants. Je me répète ça comme un mantra.
Arrivée au fond du jardin, je lève la tête, j’hallucine. Le Boston, envolé. Le Dixie est seul à quai. Je me précipite. Tout est fermé. Je crie. Personne.
J’enjambe les racines, je mets un pied sur le ponton et m’accroche au bateau. Scène irréelle. Ils ont manœuvré sans m’en parler.
Je jette un œil à l’intérieur. Buk a disparu lui aussi. Il est forcément avec Lennon. Le bateau n’est jamais sorti sans le vieux. Je crie encore. De rage. Un héron s’envole. Le premier train passe au loin. Le silence revient.
Seule dans l’éther du petit matin, je reste plantée dans le jardin à méditer sur le dîner, le d-day, les mecs et leurs méfaits, le bordel sur le quai.

1
Lennon est né le 12 décembre 1980, quatre jours après l’assassinat de John Lennon. Je suis née le 12 décembre 1980, dix minutes après Lennon. Nos parents se sont rencontrés à la maternité. Nos pères se sont associés. On ne s’est plus quittés.
En ce qui concerne Lennon, j’ai un sixième sens. Des flashs. Je sais ce qu’il fabrique en permanence. La vie de Lennon m’apparaît dans une sorte de transe.
Je pense souvent aux dix premières minutes de la vie de Lennon. Les seules dix minutes pendant lesquelles je n’étais pas là pour lui. Les dix minutes de la naissance de Lennon et de notre histoire en pointillé.
Quelqu’un me fait payer mes dix minutes de retard. Mes dix minutes de retard dans la vie de Lennon, je les rembourse tous les jours avec les intérêts. Je passe mon temps à m’inquiéter pour Lennon et à nettoyer devant lui. C’est l’homme de ma vie.

J’ai retrouvé mon spot préféré. Affalée dans la vieille banquette sous le porche. Je passe des heures sur ce sofa à travailler mes prières. Je vais reprendre un verre. Vider la cave du Capitaine avant la prochaine crue centennale.
Ma fille ratée est assise là. Elle ne dit rien. Elle est handicapée. Complètement foirée. Elle s’est habillée de travers avec ses vêtements de sports d’hiver. Elle me fatigue déjà alors que la journée est à peine entamée. Je ne veux pas savoir dans quel état elle a laissé la table du petit déjeuner.
On avait tout pour être heureux ici. Le grand terrain en pente. Le portique, la tombe du chien, les souvenirs. La bicoque mal isolée avec sa coursive en métal qui brille au soleil.
Autrefois les gens faisaient la queue dans l’allée pour dîner en musique sur le Boston Dollar. Le son du bayou. La meilleure cuisine au nord de La Nouvelle-Orléans. Le dépôt de bilan nous a mis dedans.
C’est vrai, il y a les mauvaises vibrations, la répartition des chambres en fonction. Le fleuve, dense et imprévisible. Après la naissance de ma fille, je me suis installée dans la maison. En rentrant du boulot je déprime un peu. Il est loin le temps où je bronzais sur le pont du Boston. Les promeneurs et les joggeurs me mataient depuis la rive d’en face. Je voudrais remonter le temps. Qu’un mec en sueur traverse à la nage.
Lennon ne me calcule plus. Je deviens transparente. Sur l’île, je peux le raisonner, l’attirer dans mes filets. Dès qu’on passe le pont c’est compliqué.
J’en reviens pas qu’il se barre comme ça. Il est en train de me ghoster pour notre enfant commun. Pourtant il m’en doit un.

La nuit est pour les morts, le jour pour les vivants, et mon d-day peut aller se faire enterrer. Lennon pas envie de m’honorer. Rien à secouer du calendrier.
Je te retrouverai à la lune sanglante, à la bourre, mon Amour.
La nuit est pour les morts. Le jour noir comme la nuit. Le géniteur jamais à l’heure pour le p’tit frère ou la p’tite sœur.

J’allais déposer les os de poulet sur la tombe du chien quand le facteur a klaxonné. J’ai prié vite fait et me suis réajustée. Je suis un peu débraillée les jours de repos.
Sébastien me tend la carte postale d’un amant. Une statue en noir et blanc avec un moustachu devant. Au dos, au marqueur fin, ces mots en majuscules : nous deux, San Francisco, quand tu veux.
Dégoûtée. Je déchire la carte pour faire de l’engrais. »

Extrait
« Lennon couche avec moi parce que je suis la seule femme qu’il fréquente encore. C’est pas vraiment le conte de fées. Je suis la dernière roue du carrosse. Tu parles d’un carrosse. Une pauvre citrouille.
C’est vrai qu’on lui compte moins de prétendantes depuis qu’il ne voit plus personne. Je ne lui ai pas deviné une aventure depuis des lustres.
Lennon a collectionné les filles aux courbes parfaites. Dessinées selon le nombre d’or. Et alors. Je ne suis peut-être pas parfaite mais j’ai prouvé que je tenais la route malgré mon corps bizarre. J’ai même couché avec une de ses ex un jour, pour voir. Franchement c’était rasoir.
Jamais il m’achète de fleurs. Jamais on part en vacances. Même pas un brin de muguet. Lennon c’est un casanier. Jamais il raconte sa journée. Il a de l’humour mais ne s’en sert jamais. Il ne supporte pas le karaoké. Lennon c’est un discret. Il ne veut pas bavarder. Pas noter les anniversaires dans le calendrier. Il ne met pas son réveil quand je dois me lever. C’est toujours moi qui fais les massages des pieds. » p. 62

À propos de l’auteur
Ne pleure pas sur moiSamuel Lebon © Photo DR

Anachorète à ses heures, Samuel Lebon est aussi ingénieur déserteur et photographe couleur. Depuis 1979, il disperse ses talents aux quatre vents. Il se consacre actuellement à la littérature dans un donjon panoramique avec vue sur la Belgique. (Source: Éditions Le Dilettante)

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