Les WildC.A.T.s de Jim Lee, c'était de l'action à l'état pur, une bande de types en costumes dont l'activité principale consistait à taper sur tout ce qui bouge et à employer des flingues improbables, dans des aventures fantasmagorique. Avec l'arrivée d'Alan Moore au scénario, les choses vont bien changer : c'est une opération de crédibilisation de la série qui se met très rapidement en place. C'est aussi une demie surprise de voir ce génie de la bande dessinée anglo-saxonne accepter de se prêter au jeu d'Image Comics, jusque-là considérée comme la maison d'édition offrant tout le pouvoir aux dessinateurs par excellence, au détriment d'histoires pas toujours remarquables. Mais ici, Moore va parvenir à inverser le principe de départ. Tout d'abord, sur Terre tout le monde est convaincu que les WildC.A.Ts ont trouvé la mort, au point que Savant (la sœur de Zélote) décide de recruter de nouveaux éléments pour former une formation remplaçante, dont le destin sera plutôt de défier la pègre, la criminalité locale, au lieu de repousser des races extraterrestre belliqueuses. En parallèle à ce changement de roster et de point de vue, nous sommes projetés dans l'espace, pour retrouver la véritable bande de joyeux drilles inventée par Jim Lee et Brandon Choi. C'est qu'ils ne sont pas tout à fait morts, mais plutôt propulsés sans crier garde sur Khéra, la planète natale (on découvrira qu'il n'en est même pas ainsi) de la race des Kherubim. Ce monde que l'on présentait jusque-là comme une sorte de paradis érudit et respectueux des droits fondamentaux de chacun est en fait un petit enfer ségrégationniste, où la race des Daemonites est cruellement persécutée et vit dans des conditions misérables, après avoir perdu cette guerre séculaire qui les opposés aux dominateurs de la planète. Personne n'avait jugé bon d'avertir les WildC.A.T.s, dont l'essentiel de la mission à toujours reposé sur un mensonge par omission. Tandis que Lord Emp et Zélote sont intronisés comme chef de fil des deux grands courants politiques locaux qui souhaitent s'assurer une domination sur leur monde aux futures élections, les autres membres connaissent un destin moins brillant, à commencer par Vaudou : étant une hybride entre une terrienne et un daemonite, elle aussi subit de plein fouet la ségrégation et se rend compte à ses dépends de la manière dont sont traités les étrangers sur Khéra. Géopolitique, racisme, hubris tout-puissant, cette virée en terre étrangère est d'une rare intelligence et le lecteur prendra un grand plaisir à déchanter, avec des héros pris dans les rouages d'un mécanisme implacable, qui les conduit à se réveiller, passant ainsi d'un joli songe idéaliste à une terrifiante réalité.
Pendant que l'équipe des WildC.A.T.s des origines se délite, place à celle qui se constitue autour de Savant. Elle comprend notamment le frère de Grifter, un dingue de la gâchette qui ne dépareille pas dans sa famille, Tao (aux pouvoirs inconnus, basés sur une intelligence et une stratégie hors du commun), Ladytron (une cyborg aux hormones qui travaillent, une machine à carnage) ou encore Majestic, héros de Khéra et sorte de Superman au code moral prononcé. Sur Terre comme dans les cieux, la recette d'Alan Moore reste la même. Certes, nous tenons là des personnages capables de s'immiscer dans des enjeux cosmiques et au potentiel foudroyant, mais même ces individus là ont des rêves, des failles, qui finissent par ressortir à un moment donné. Cela peut être le sentiment d'abandon, de ne jamais avoir été aimé, ou bien une manière psychorigide de conduire sa propre existence, sans comprendre qu'il faut parfois faire un pas de côté et adopter une pensée plus large et nuancée, pour conserver un semblant de santé mentale. Tout le monde a droit à son moment de gloire et d'introspection, les masques tombent et l'humanité des WildC.A.T.s devient le cœur de la série et du récit, là ou autrefois c'était l'action et les explosions qui occupaient le premier plan. On emploie parfois le terme de déconstruction à tort et à travers, mais ici avec Alan Moore, le terme mérite vraiment d'être employé. C'est le concept d'équipe qui vole en éclat à travers des membres qui se révèlent tout à coup inaptes, non pas parce que leur pouvoir ou leur courage leur font défaut, mais parce que leur nature intrinsèque les pousse à haïr leur prochain, à être victime de comportement stigmatisants ou à succomber devant l'hubris débordant ou des pulsions incontrôlées. C'est un tel sommet dans l'écriture d'ailleurs, qu'à la conclusion de cette grande aventure le scénario baisse quelque peu pied, et la prestation du barde des comics se termine avec une emphase et une inspiration tout de même mineure. Du côté des dessinateurs, c'est une sarabande de talents qui viennent chacun leur tour porter une pierre précieuse à l'édifice. On citera bien évidemment Travis Charest en tête de gondole, car la pureté de son trait était à l'époque quelque chose de sidérant, un talent à l'état brut qui n'a finalement jamais pu donner la pleine mesure de ce qu'il aurait pu faire. Parmi les autres noms qui vous diront forcément quelque chose et qui font feu de tout bois, mentionnons Ryan Benjamin ou encore Dave Johnson. On notera avec beaucoup d'intérêt que les trois albums consacrés aux WildC.A.T.s par Urban comics permettent d'embrasser sur la distance la fantastique trajectoire d'un groupe qui naît comme l'incarnation d'une maison d'édition aux dents longues et qui fait voler en éclat les codes de la narration en images, avant de finalement se rendre compte que le pouvoir de l'esprit, de la prose, de l'imagination est la seule ressource pour empêcher un titre de tomber dans la banalité, de se répéter indéfiniment. C'était donc notre commentaire sur le troisième et dernier des pavés du mois de novembre paru chez Urban comics et c'est assurément celui qui se révèle le plus audacieux, artistiquement le plus abouti, le plus exigeant aussi. Il y a de fortes chances que beaucoup d'entre vous n'aient pas lu ces épisodes; il faut certes connaître un peu l'historique et les rapports entre les personnages pour les apprécier pleinement, mais une fois que vous êtes rentrés à l'intérieur de cette histoire, vous allez comprendre que nous tenons là une de ces trouvailles sous-estimées de l'histoire des comics mainstream.
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