Le temps des Sorcières
Par Alix E. HARROW
Chez Le Rayon Imaginaire
Avertissements de contenu : Sexisme, torture, lesbophobie, transphobie, traumatisme religieux, racisme.
Avant, quand l’air était si imprégné de magie qu’il laissait un goût de cendres sur la langue, les sorcières étaient féroces et intrépides, la magie flamboyait et la nuit leur appartenait. Ce temps n’est plus, les hommes ont dressé des bûchers, et les femmes ont appris à se taire, à dissimuler ce qui leur restait de magie dans des comptines, des formules à deux sous et des contes de bonne femme.
Mais la vraie sorcellerie n’a besoin que de trois choses pour renaître : la volonté de l’écouter, les vers pour lui parler, et les voies pour la laisser pénétrer le monde. Car tout ce qui est important va par trois.
Ainsi des sœurs Eastwood : Bella, Agnès et Genièvre. Mues par la colère, la peur… et une pulsation écarlate qui ne demande qu’à revivre, des dons qu’elles découvrent peu à peu. Il suffit pour cela de s’unir, et d’y croire, de traquer tous les interstices où elle se dissimule. Car la magie, c’est d’abord penser que chacun est libre d’agir, même si le mal rôde. Le temps des Sorcières pourrait alors bien revenir, pour notre plus grand bénéfice à tous, hommes et femmes.
Le temps des sorcières est une brique qui, de prime abord, peut faire peur. Mais Alix E. Harrow sait ce qu’elle fait et ça nous transporte si bien que les pages filent hors de nos doigts.
L’histoire m’a mis une claque assez forte. Le temps des sorcières est puissant, résonnant aux préoccupations actuelles malgré le fait que cela se passe à la fin du 19ème siècle. Nous sommes dans un monde où la magie est présente, où les dragons et les licornes ont existé mais tout a fini par disparaître, annihiler par les hommes. New Salem est bâti à quelques kilomètres de la Salem qu’on connait aujourd’hui, à l’histoire de ces femmes brûlées car savantes. La sorcellerie est taboue, bien qu’utilisée tous les jours pour rendre une pièce moins poussiéreuse ou pour détourner la mauvaise fortune.
Le world-building est très intelligent et fait complètement sens. La pauvreté des villes, le gouffre entre ces pauvres et les riches, la dangerosité des métiers « pour femmes »… Et l’ambiance, l’ambiance est sombre, parfois glauque mais magique. L’utilisation de cette magie est d’ailleurs extrêmement logique, elle est écrite comme si on pouvait l’effectuer chez soi en suivant les gestes et les formules. C’est vraiment très malin.
Alix E. Harrow a de plus réussi à insuffler énormément de diversité dans ses personnages, rendant Le temps des sorcières d’autant plus réalistes. Nous avons des personnages de couleurs, lesbiennes, transgenres, handicapées, gros… Et c’est normal. Leur vécu dans une époque pas aussi ouverte que la notre est également pas effacée, ce qui est un double plus pour l’autrice comme pour le roman !
Les chapitres sont d’abord partagés par les points de vue différents des trois sœurs : Bella, Agnès et Genièvre. Très vite, nous comprenons qui elles sont et ce qui fait elles elles. La rencontre avec nos narratrices est aisée, clairement facilitée par la plume délicate et simple de notre autrice. La plus jeune est sauvage, l’aînée est craintive, la puinée est fatiguée. Tout cela se ressent dans la plume merveilleuse d’Alix E. Harrow !
J’aime beaucoup aimé le fait que si les points de vue restent malgré tout très axés sur un personnage, on y ressent malgré tout le rapprochement progressif des sœurs, leurs retrouvailles. Elles s’aiment, ces sœurs, mais c’est un amour de sœurs donc piquant et même parfois blessant. Cette dynamique est très réaliste.
Le temps des sorcières est un véritable coup de cœur ! Il ne faut pas avoir peur de son épaisseur, son histoire coule entre les doigts. C’est un roman qui ferait un très beau cadeau de noël pour les amateurices de fantastique historique.