Alors que certains personnages ont droit à une seconde (ou une troisième) existence qui s'évertue à ressembler autant que faire se peut à la première (Asterix, le très récent retour copycat de Gaston Lagaffe), Lucky Luke est régulièrement soumis à l'épreuve de la réécriture, ce qui permet d'obtenir de jolies versions alternatives qui sont autant de vibrants hommages à la légende du West. Au tour de Blutch de s'y coller, lui qui remporta en 2009 le Grand Prix d'Angoulême (pour l’ensemble de son œuvre) et n'a plus grand chose à prouver au monde de la bande dessinée. Il nous livre là une histoire de famille, de petites bassesses du quotidien, truffée de gags et de rebondissements, sans faire intervenir les sempiternels Dalton. Tout commence lorsque notre cowboy arrête un jeune délinquant pas très doué, Rufus Kinker, qui a tenté de lui subtiliser Jolly Jumper, son célébrissime cheval. En sortant du bureau du shérif local, Luke fait la rencontre de deux gamins en culottes courtes, Rose et Casper, qui essaient de le rançonner. Si la première a la gâchette facile, mais aucune expérience, le second est un poil demeuré et n'a qu'une seule vraie préoccupation notable : manger, en qualité industrielle. Leur victime s'en sort sans ciller et décide qu'ils méritent une bonne fessée, que leurs parents désolés ne manqueront pas de leur asséner. Sauf que le récit joue un premier tour pendard à notre héros. Rufus n'est autre que le grand frère des deux garnements. Dont le père, qui fait croire à tout le monde qu'il s'est noyé après un dernier coup juteux, est activement recherché par sa bande de complices, Grubby Feller en tête.
C'est une sarabande infernale qui commence, avec des entrées et des sorties continues de prison, des gamins insupportables qui sèment la zizanie partout où ils passent, sans oublier des villageois bien peu courageux, prêts à jeter la pierre au premier yankee venu troubler leur petite paix illusoire. Lucky Luke l'admet clairement, à un moment donné, les gosses ce n'est pas son rayon. On le voit mal à l'aise avec ces horribles mioches, qui braillent, piaffent, mangent (mal) et trompent l'assistance en permanence. Les parents y sont pour beaucoup, ça va de soi. Derrière ce beau monde, Grubby Feller et Bittercreek sont des portraits plus attendus, ces méchants pas très intelligents qui traversent la légende de l'homme le plus rapide de l'Ouest. Blutch au dessin, c'est réjouissant, élégant, personnel et familier à la fois. Son protagoniste est une sorte de pantin en mousse longiligne, très souple, au regard souvent médusé. Un cousinage avec Gaston Lagaffe (ou Averell Dalton ?), version lunaire et désabusée. Les gamins et les autres personnages sont délicieusement horribles, avec des expressions qui figent à merveille le côté obtus et grotesque de leurs comportements, de leur fonction dans cet album. Même le lettrage s'adapte et épouse les intentions de l'artiste, ajoute de la fluidité à un ensemble qui se révèle pleinement réussi. Cocasse et exempt du moindre temps morts, ce nouvel hommage est un exemple patent de ce que signifie réinventer une série classique, tout en respectant ses codes et sa nature. On sent l'amour et le savoir faire là-dedans, merci Blutch.
Amateurs de BD et comics, venez nous retrouver sur Facebook !