Un ancien professeur d'université erre en compagnie de ses petits-enfants, revêtus de peaux de bêtes, dans un paysage désolé. Celui de la baie de San Francisco, ravagée soixante ans auparavant par un terrible fléau. Nous sommes en 2013. Quelques hordes subsistent, et de rares survivants tentent de raconter le monde d'avant à des enfants qui ne savent même pas compter. La seule issue est de reprendre depuis les commencements la marche vers la civilisation perdue. Jack London met toute sa puissance d'évocation au service de ce récit d'apocalypse, offrant de ces grandes peurs qui ravagent le monde une vision terrible - et quasi prophétique - et inscrivant de fait sa peste écarlate dans la lignée des fléaux bibliques, des terreurs millénaristes. Un texte qui prend dès lors une étonnante et inquiétante modernité.
Pourquoi ce livre ? Je suis très frileuse avec les classiques, j’en lis très peu et je les sélectionne toujours avec soin (en dehors des lectures obligatoires de Licences, évidemment). C’est pourquoi j’ai grimacé en recevant ce livre dans une box littéraire. Puis j’ai décidé de lui laisser sa chance. Après tout, Jack London est un auteur de renom !
La Peste écarlate est un récit d'anticipation et de connaissances. Il est fou de constater des années après, à quel point les auteurs sont capables d’imaginer des récits crédibles. Ici, la société s’est effondrée suite à une épidémie massive qui s’est propagée à une vitesse grand V. En quelques heures, un patient atteint mourait, en toute connaissance de cause. En quelques jours, on a perdu la majorité de la population. En quelques semaines, il n’en reste que quelques milliers. Et on ne sait pas pourquoi. Si j’ai pensé à l’immunité de certains, chanceux, j'aurais bien voulu que l’auteur s’exprime sur les raisons de cette survie. Or Jack London use du prétexte de cette extinction pour évoquer la perte de connaissances, le raccrochement à la foi, la bassesse des brutes, le cycle perpétuel de la nature humaine.
Oui, ça se lit bien. Cependant j'ai bloqué dès le départ sur le décalage entre les personnages et le verbe. L’auteur l'indique lui-même dans la narration : les enfants ont perdu le vocabulaire, s’expriment par des borborygmes et des phrases déconstruites. Je conçois que la société d'époque n'était pas prête à connaître un langage bordélique, incompréhensible, du fait de la perte de savoir dû au contexte. Mais là, on est quand même à un stade où les enfants sortent des mots plus soutenus que le papi qui raconte son passé.
J’avais donc hâte d’en finir, non pas parce que c’est mauvais mais parce que ça a mal vieilli, d’autant plus que c’est un rappel de notre période COVID. De plus, je n’ai pas su m'attacher aux personnages pour une raison toute simple : je n’ai pas vécu les mêmes atrocités qu'eux, je n’ai pas eu cette jeunesse dure, élevée dans la nature sauvage, je ne pouvais pas comprendre ce qu’ils pensent, accepter leurs interactions.
Au départ le style m’a paru très haché, entrecoupé de petits détails inutiles et j’ai eu du mal à rentrer dedans. Ce fut un peu mieux une fois que le vieux papi s'est mis à conter son histoire, la lecture est devenue un peu plus fluide, malgré un vocabulaire soutenu.
C’est une novella qui juge notre passé et condamne notre avenir. Les thèmes soulevés par le vieux conteur sont essentiels pour ne pas recommencer les erreurs, cependant ça ne suffit pas pour relever ce problème de décalage entre la forme et le fond - et la date de première parution n’excuse pas tout. Ce n’est pas un classique de l’auteur et ce n’est pas un texte marquant. Je ne le conseille pas forcément.
10/20