En deux mots
Les conditions climatiques étant de plus en plus hostiles, Rousse décide de quitter le Bois de Chet où elle a grandi. La renarde part chercher, un peu au hasard, une terre plus hospitalière. Elle va croiser le chemin d’un corbeau, d’un sanglier, d’un écureuil, d’un renard ou encore d’une éléphante… Un voyage initiatique étonnant.
Ma note
★★★★ (j’ai adoré)
Ma chronique
Le corbeau et la renarde
Denis Infante a beaucoup travaillé la langue pour nous offrir un conte écologique, un roman d’initiation et un voyage poétique. Sur les pas d’une renarde, décidée à échapper à un désastre climatique, il raconte une terre où l’homme a disparu. Une belle surprise de cette rentrée.
Une fois n’est pas coutume, commençons par parler de l’écriture, du style de ce court roman, car c’est la première – belle – surprise, même si elle peut peut-être dérouter le lecteur. Denis Infante a choisi de créer une langue propre à ce monde qu’il imagine. Un monde dans lequel les hommes ont péri, incapables de sauver une planète qu’ils ont voulu dominer. Un acharnement coupable qui a entraîné leur éradication.
Cette langue, sans articles définis ou indéfinis, donne au roman un aspect à la fois haché, mais aussi réduit à l’essentiel, aux émotions et aux sensations, aux descriptions avec de nombreuses énumérations et adjectifs. Les mots, voilà l’essentiel sur cette terre qui «était comme engluée dans été sans fin. Brûlant, sec, éblouissant et mortel.»
C’est ce douloureux constat qui va réveiller l’instinct de survie de Rousse, la renarde qui est au cœur du livre et qui va choisir, à l’instar d’autres animaux se sentant piégés, de partir: «Partout sévissait sécheresse, partout terre se craquelait, partout vivants souffraient dure soif, mobiles comme immobiles, peuple de sang ou peuple de sève. (…) Quelques-uns pourtant avaient osé, s’étaient décidés pour une des quatre directions, par choix ou guidés par pur hasard, et s’étaient mis en marche, droit devant. Rousse était de ceux-là.»
Durant son odyssée, elle va croiser le chemin de Noirciel, un corbeau riche d’un grand savoir et qui va l’aider dans sa quête. Car «Rousse voulait apprendre. Rousse voulait connaître et découvrir. Elle avait beaucoup réfléchi sur rive de Grand Fleuve. Atteindre neiges éternelles, trouver territoire opulent lui importait moins que de parcourir terres et espaces. Que rencontrer vivants inconnus, contrées nouvelles, feuilles d’autre vert et autre forme que jamais ses yeux n’avaient vues.»
En avançant et en apprenant, ils vont faire la connaissance de Cœurfier. Avec sa horde, ce sanglier cheminera aussi quelques temps à leurs côtés. Mais arrivé au bout de son territoire, à la frontière de Terre Sanglerrière, il la laissera poursuivre seule sa route. Quand elle tombe sur un renard, elle se dit que sa route peut s’arrêter là, qu’elle peut désormais fonder une famille. Mais l’appel du large et la soif de découvrir ce qui est au bout de sa route sont plus forts.
Dans ce conte écologique, Denis Infante laisse une grande place aux odeurs et aux couleurs, à la poésie et à la sensualité. Mais il ne cache pas non plus que cette terre n’est pas un paradis. À l’image de cette carlingue d’avion qui étonne la renarde, on comprend que la technologie a fini par avoir la peau de l’humanité.
Je ne sais si l’auteur a inventé ici le roman postapocalyptique ultime – car ici l’homme a disparu, contrairement à La Route de Cormac McCarthy où un père et son fils cheminaient de conserve ou dans Et toujours les forêts de Sandrine Collette ou Corentin se retrouve seul à représenter l’espoir – toujours est-il que ce roman va marquer tous ceux qui le liront. Une belle réussite !
Rousse ou Les beaux habitants de l’univers
Denis Infante
Éditions Tristram
Roman
144 p., 16,50 €
EAN 9782367190990
Paru le 4/01/2024
Où?
Le roman est situé quelque part sur terre, sans davantage de précision.
Quand?
L’action se déroule à une époque où les hommes ont disparu, victimes de leur propre folie.
Ce qu’en dit l’éditeur
Sur une terre que l’homme semble avoir désertée, où l’eau est devenue rarissime, tous les vivants — «mobiles autant qu’immobiles» — souffrent de la soif. Les végétaux dépérissent. Les animaux aquatiques aussi, pris au piège de l’évaporation de leurs demeures. Au retour de leurs longs périples, les oiseaux migrateurs n’apportent pas de bonnes nouvelles : partout la sécheresse sévit.
«Quelques-uns pourtant avaient osé, s’étaient décidés pour une des quatre directions, par choix ou guidés par pur hasard, et s’étaient mis en marche, droit devant. Rousse était de ceux-là.»
Ainsi commence ce bref roman, porté par une langue au ras du réel, de la conscience et des sensations de Rousse, une jeune renarde. Son histoire possède la clarté d’une fable et la puissance d’une odyssée. Le chapitre où Rousse découvre une trace de l’existence passée des hommes — l’incompréhensible carlingue d’un avion de ligne écrasé au sol — est inoubliable.
Tout comme sont inoubliables les scènes où elle chemine et dialogue avec un vieux corbeau très sage, du nom de Noirciel. L’exergue, emprunté à Jean Giono, dit tout de l’ambition poétique et métaphysique de ce roman splendide : « Dans tous les livres actuels on donne à mon avis une trop grande place aux êtres mesquins et l’on néglige de nous faire percevoir le halètement des beaux habitants de l’univers. »
Les critiques
Babelio
Lecteurs.com
Les premières pages du livre
« La matière
Bois de Chet
Aucune pluie n’était plus tombée depuis de trop nombreuses lunes. Et dans Bois de Chet, comme partout alentour, vivants souffraient de grande soif. Mobiles autant qu’immobiles, ailes, pattes, nageoires, racines, radicelles, tous enduraient manque d’eau, manque de cet insaisissable et pourtant vital élément qui n’avait ni forme, ni voix, ni couleur, et si eau était vivante, nul jamais n’en avait surpris moindre preuve. Nul jamais n’avait échangé joie, bonheur, colère ou désir avec elle. C’était toujours à sens unique. C’était toujours reflet, image de soi-même qui apparaissait parfois, à sa surface. D’elle, personne ne savait rien. Certains pensaient qu’eau n’était que forme liquide de rochers et comme eux, n’avait ni vie, ni esprit. D’autres, inversement, affirmaient qu’elle était mère de toute chose, génitrice, matrice, première née.
Vieux débat n’avait jamais été tranché, aussi loin que remontaient mémoires dans incommensurable temps, aussi anciennes étaient-elles, riches d’une longue descendance. Mais tous sentaient fichée en eux, comme épine, griffe, dent, aiguillon, stylet, mandibule, même certitude. Sans eau, sans pluie, brume, rosée, neige, sources, rivières, étangs, marais, inaccessibles glaciers et très lointain, très fabuleux océan, très ancienne légende, vie de toutes créatures était impossible.
Et mort assurée.
Déjà certaines sources avaient tari et s’étaient tus leur chants, gazouillis, murmures, des mares s’étaient asséchées, déjà herbes et plantes jaunissaient sous action conjuguée de sécheresse et chaleur, déjà des arbres perdaient feuilles, prenaient des allures de trop précoce automne. Certains peut-être ne s’en relèveraient pas. Et rien n’indiquait retour de pluies bienfaitrices. Ciel depuis des lunes était immense étendue bleue sans faille, sans nuage annonciateur, bleu pâle, blanchâtre, comme délavé, usé, flétri par violent brasier à nu d’aveuglant soleil. Et quand nuit venait, aussi chaude et sèche que jour, aucun voile d’humidité ne masquait millions d’étoiles là-haut, qui vibraient, étincelantes, comme poussière de lumière répandue à surface d’infini. Millions de minuscules soleils criblant noir de nuit. Parfois vent violent, tempétueux, se levait et alors air devenait encore plus sec, plus brûlant. Enflammait gorges, comme fumée d’incendie sans flamme.
Déjà il y avait des victimes. Peuples d’eau, batraciens, poissons, mollusques, pris au piège d’évaporation de leurs demeures, nouveau-nés pendus aux mamelles vides de leurs mères, vieillards incapables de trouver lieu où s’abreuver.
Déjà, il y avait eu des échauffourées autour des points d’eau et des morts. Ce qui ne s’était jamais produit jusqu’à ce jour, chacun respectant très ancienne loi qui faisait de ces lieux sanctuaires inviolés, et du moment d’étancher sa soif instant de trêve entre faibles et forts, proies et prédateurs.
Et voilà que règle très ancienne que l’on croyait immuable, avait elle-même failli.
Jours décroissaient au profit des nuits. Depuis des temps immémoriaux, à cette époque du grand cycle, pluies revenaient et journées devenaient plus fraîches et certaines nuits il fallait trouver abri, terrier, bauge, trou sous buisson pour se protéger des gelées, mais pas cette fois. Il n’y avait que soleil pour rester fidèle au grand cycle. Terre, elle, était comme engluée dans été sans fin. Brûlant, sec, éblouissant et mortel.
Certains parlaient de partir, quitter pour toujours Bois de Chet, très vieux arbres, vallons ombreux, collines rondes, combes et prairies qui les avaient vus grandir, qui avaient vu vieillir aïeuls et croître progéniture. Certains, non sans crainte et hésitation, envisageaient de prendre chemin inconnu d’exil, migrer vers cieux plus cléments, terre où il ferait bon vivre sous alternance de bleu et gris, de soleil et pluie. Mais où se trouvait cette terre d’espoir, jardin aux fruits succulents, aux senteurs enivrantes, aux sources claires? Dans quelle direction? Soleil levant, soleil couchant, ombre qui précède, ou ombre qui suit? Personne n’avait réponse.
Nul ne savait. Certains avançaient telles théories fumeuses, tels pressentiments aussi solidement ancrés dans leur cœur que sans fondement. Telles légendes trop souvent racontées, par chacun ravaudées, par longueur du temps transformées.
Et ceux qui savaient vraiment ce qu’il y avait derrière collines, derrière horizon très lointain, peuple d’oiseaux migrateurs, ceux-là n’apportaient pas très bonnes nouvelles de leurs longs périples. Partout sévissait sécheresse, partout terre se craquelait, partout vivants souffraient dure soif, mobiles comme immobiles, peuple de sang ou peuple de sève. Et rares fois où eau du ciel tombait enfin sur quelque partie du monde, c’était avec telle violence, telle abondance que moindre ruisseau devenait torrent, moindre torrent devenait rivière, moindre rivière fleuve en crue, arrachant, entraînant, noyant tout sur son passage, arbres, plantes, argile et rochers et vivants, tandis que grondaient cieux, claquaient éclairs et s’abattait foudre. Quelques-uns pourtant avaient osé, s’étaient décidés pour une des quatre directions, par choix ou guidés par pur hasard, et s’étaient mis en marche, droit devant. Rousse était de ceux-là.
Rousse
Rousse était jeune renarde à robe flamboyante, dont beauté et finesse d’esprit attiraient de nombreux soupirants, mais Rousse tous refusait, utilisant griffes et dents, fuite ou combat si nécessaire, dissuadant d’insister mâles plus tenaces. Rousse était libre et solitaire et tenait à le rester. Ce qui ne l’empêchait pas de s’être fait durant sa courte existence quelques amis fidèles parmi ceux de son peuple ou autres vivants, avec qui elle aimait partager doutes, joies et tendresse. |
Rousse courait bois, humait vent, dansait sous lune et étoiles, dormait sur tapis de mousse, chassait proies et buvait leur sang aussi rouge que sa toison, aussi revigorant que puissante joie. Parfois, Rousse se sentait si chargée d’énergie, si vibrante de vie, si forte et si libre qu’elle jappait à en perdre haleine comme enivrée de son propre fulgurant bonheur. Sorte de chant sauvage et pur, qui résonnait au plus profond de vivante forêt.
Pourtant, en cette fin d’été trop sec, trop brûlant, trop blanc, en cet été de poussière, soif et disette, Rousse était décidée à prendre route. Ce n’était pas de gaîté de cœur. Ce n’était pas sans regretter amèrement séparation d’avec amis et Bois de Chet, bois bien aimé. Ce n’était pas sans grande appréhension. Personne de connaissance n’avait jamais entrepris tel voyage, rien dans ses souvenirs ne la préparait à telle expédition. Cependant Rousse était jeune renarde intrépide, vaillante, puissante et vive. Un peu extravagante, un peu folle et souvent outrecuidante disaient certains. Ceux-là mêmes qui la mettaient en garde contre dangers inconnus, contre décision aussi extrême, aussi irréfléchie, et lui prédisaient pires malheurs. Ce qui, loin de décourager Rousse, avivait au contraire désir d’inconnu, besoin de découvrir vaste monde, car ce qui se présentait à elle au début comme exil forcé, prenait peu à peu attrait âpre et sucré de fruits jamais goûtés, d’odeurs musquées jamais portées par vent, d’horizons jamais imaginés et de rêves vifs et chamarrés.
Rousse partit donc un matin à peine lueur de jour rosissait au levant, en direction de lointaines montagnes que l’on disait si hautes qu’elles touchaient ciel de leurs doigts de glace et de neige, si froides que soleil lui-même renonçait à réchauffer leurs os de pierre. Rousse partit, trot ferme et souple, sans se retourner. Rousse avait dit au revoir à ceux qu’elle laissait derrière elle, amis, familiers, pistes de chasse, couleurs, chants d’oiseaux, cieux et nuages, arbres et vallons. Rousse partit espérant trouver au bout de sa quête air plus frais, rivières aux eaux claires, gibier abondant et dodu et toutes choses qui l’aideraient à entretenir sa joie. Espérant trouver sur son chemin assez de lumière pour fortifier son cœur, assez de joyeuses rencontres pour alléger sa course. »
Extraits
« Noirciel disait vrai, Rousse voulait apprendre. Rousse voulait connaître et découvrir. Elle avait beaucoup réfléchi sur rive de Grand Fleuve. Atteindre neiges éternelles, trouver territoire opulent lui importait moins que de parcourir terres et espaces. Que rencontrer vivants inconnus, contrées nouvelles, feuilles d’autre vert et autre forme que jamais ses yeux n’avaient vues. Rousse ne savait pas si cette terre que ses pattes foulaient depuis premiers jours de vie avait là-bas, loin, une fin et à quelle distance cette fin. Et qu’y avait-il après? Maître le savait-il? Créatures du ciel avaient-elles surplombé bord du monde, leurs ailes les avaient-elles portées au-delà? Lui avaient-elles donné, comme à toute chose, un nom?
Noirciel ne répondit pas. Noirciel se contenta de fixer très longtemps, de son œil noir, yeux d’or de renarde. Celle-ci, sous ce regard insistant se sentit terriblement insignifiante et importune, et avalanches, torrents de questions, bien audacieux.
Alors Noirciel poussa clairs et puissants croassements auxquels répondirent, de toutes directions, nombreuses voix corbeaux s’exprimant en langage corbeau. » p. 58-59
« Au matin, Noirciel et Rousse, toujours conduits par Cœurfier, reprirent leur route. Évitant mouvantes fondrières, contournant étangs, longeant marécages, sinuant à travers fourrés et taillis. Parfois traversant à gué clair ruisseau, parfois nageant dans rivière dévalant vers Grand Fleuve. Rousse et Cœurfier appréciaient présence réciproque. Renarde charmée par prestance et énergie fougueuse de sanglier, sanglier fasciné par fine élégance de renarde et pétillante et lumineuse lueur scintillant dans magnifiques yeux d’or, comme feuilles de saule reflétées par surface de limpide courant. Fasciné aussi que Noirciel, qui est Maître, qui sait, l’ait choisie, elle, entre toutes créatures.
Noirciel, vieux et respectable corbeau, qui n’avait nul besoin de guide, volait loin au-dessus d’eux.
Si vaste était Terre Sanglerrière, si tortueux sentiers contournant mares et étangs, et coulées tracées dans roselières que, malgré parfaite connaissance qu’en avait Cœurfier et allure soutenue de leur avancée, ce ne fut qu’en fin de journée qu’ils en atteignirent invisible frontière. Invisible, pourtant quelque chose, légère élévation du sol, moindre présence d’eau, sensation d’air à peine plus sec, peut-être éclaircie dans dense végétation, la révélait aux yeux attentifs. Rien de tangible et pourtant nul ne pouvait se tromper. Ici était frontière de Terre Sanglerrière. » p. 73
À propos de l’auteur
Denis Infante a longtemps travaillé pour le théâtre et le cinéma. Il se consacre aujourd’hui à l’écriture. , a été envoyé aux Éditions Tristram par la Poste. (Source: Éditions Tristram)
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