" Sugar Street "
DEE Jonathan
(Les Escales)
Roman intéressant, parce qu'il laisse découvrir une Amérique qui ne fait pas rêver. Celle où un quadragénaire a décidé de disparaître, d'abandonner le mode de vie relativement confortable qui avait été le sien et de trouver refuge dans une ville moyenne, une cité très ordinaire où la majorité des Blancs vote Trump. Une chambre inconfortable à l'étage d'une maison qui semble proche du délabrement. Une propriétaire acariâtre qui protège de la curiosité de l'inconnu ses lambeaux de mystères et qui n'a accepté de lui louer la chambre que dans la mesure où celui-ci a payé en argent liquide les six premiers mois de sa location. Car cet homme sans identité a pris la précaution de fuir son monde de vie d'avant en se munissant d'un pécule conséquent.
Une Amérique sinistre. Une ville où les réfugiés sont à peine tolérés. Le nouveau venu observe, chaque matin, le défilé des enfants de ces mal aimés qui gagnent le collège tout proche. Une ville où l'homme sans identité fréquente marginalement la bibliothèque municipale, laquelle bibliothèque ne veut pas de lui puisqu'il n'a pas d'identité. Une ville dont il lit le magazine hebdomadaire, un " journal...décevant ; je m'étais accroché à une idée romantique de la presse locale publiant des nouvelles locales, mais non, on n'y trouve le plus souvent que des conneries... "
(Dans le paragraphe qui suit cette phrase, Jonathan Dee s'en prend au courrier des lecteurs, lequel courrier semble présenter bien des analogies avec celui qui constitue le fond de commerce de l'hebdo publié dans la ville où vit le vieux Lecteur. " Pourtant, les lettres ont quelque chose de captivant. Les peurs standards qu'elles expriment ne sont pas aussi singulières que ça - c'est plutôt l'orgueil qu'on y lit, le fait qu'elles prennent justement la forme d'une lettre, cette croyance en l'idée que les pensées les plus viles, les moins généreuses, ne relèvent pas fondamentalement de l'intime mais exigent d'être partagées, peut-être dans l'espoir de rendre moins pesante la solitude des autres. Parmi elles, il y en a qui semblent avoir été gribouillées à la hâte dans un accès de fureur réactionnaire, mais d'autres, on le devine, ont été soigneusement ciselées. Et signées, ne l'oublions pas. ")