En 1740, une expédition maritime britannique de six navires accompagnés de deux navires marchands, menée par l'amiral George Anson, dans le cadre de la Guerre de l'oreille de Jenkins (1739-1748) entre le Royaume-Uni et l'Espagne, est envoyée en mission secrète pour piller les cargaisons d'un galion espagnol. Parmi ces navires, le vaisseau de ligne de Sa Majesté le HMS Wager, deux cent cinquante officiers et hommes d'équipage à son bord, mené après diverses péripéties par le capitaine Cheap. Après avoir franchi le cap Horn qui démantèle l'expédition, le Wager fait naufrage et une poignée de survivants se retrouvent prisonniers sur une ile au large de la Patagonie. Ile hostile au possible, aucune ressources alimentaires, climat épouvantable, mer tempêtueuse etc.
Le récit est effroyable mais assez classique, je résume vite, manque de nourriture (cannibalisme évoqué), maladies (scorbut...), cadavres naturels et meurtres, vols entre les uns et les autres de leurs maigres possessions, châtiments appliqués par les officiers, création de clans s'opposant aux décisions du capitaine sur leur sombre avenir et les restrictions alimentaires, conflits larvés entre ces groupes...
Le récit met en évidence la beauté et l'horreur de la nature humaine, le chacun pour soi dans les situations extrêmes alors que tout l'inverse serait plus intelligent. Les caractères des protagonistes se dévoilent au fil de l'accumulation des malheurs qui les frappent : le capitaine Cheap, excellent marin mais peut-être pas fait pour une situation aussi calamiteuse rendant les hommes fous, il est déchiré entre son devoir et cette situation, tout en imaginant le futur, la cour martiale s'il revoit l'Angleterre. Bulkeley, le canonnier, chef d'un groupe opposé au capitaine, il ne manque pas de charisme, pragmatique, il tient un journal des évènements, " il paraissait bien plus mesuré et mieux taillé pour commander les hommes en ces circonstances cauchemardesques ", il reproche surtout à Cheap de se cramponner à sa mission, arguant " qu'en dépit des ordres, un capitaine doit toujours exercé son jugement ". Enfin, citons John Byron (le grand-père du poète), un gamin, auquel l'écrivain semble très attaché, l'excusant (?) d'avoir participer à la première mutinerie avant revenir auprès du capitaine Cheap.
Je vous laisse découvrir comment tout cela se termine, les rescapés reviendront en Angleterre plusieurs années après leur départ par petits groupes et à des époques différentes, chacun avec sa version des faits et la cour martiale chargée de faire le point, rendra un jugement de realpolitik, honneur de la marine anglaise, de la nation etc....
Le récit de David Grann est tiré des très nombreuses archives (journaux des marins, de la Justice etc.) à sa disposition, d'où les extraits entre guillemets provenant de sources de première main. Il est évident que ce bouquin est extrêmement instructif sur la marine de cette époque, les hommes, les navires, les conditions de vie à bord etc. Il l'est tout autant, je l'ai dit, sur la nature humaine. Récit historique, donc, les faits rien que les faits (tels qu'ils sont connus) avec juste ce qu'il faut d'imagination à Grann pour les relier et en faire une histoire qui se tienne.
Tout est bien, rien à critiquer, mais bon.... Ce genre historique ne peut s'accorder avec la célèbre réplique : " Quand la légende est plus belle que la réalité : imprimez la légende. "
" De la même manière que les gens façonnent leurs histoires pour servir au mieux leurs intérêts, en révisant, en effaçant, en brodant, les nations en font autant. Après tous les récits sombres et troublants relatifs au désastre du Wager, et après tant de morts et de destruction, l'empire avait enfin trouvé son récit de mer mythique. "
Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Johan-Frédérik Guedj