Morgane Az – L’autre part ****

Par Laure F. @LFolavril

Plon – septembre 2023 – 266 pages

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« Elle comprend ici, seulement, que sa grand-mère n’est plus et cela ne veut pas dire grand chose, comprendre, quand il faut accepter que notre enfance s’en va, un jour, et que le monde qui la composait, n’est rien d’autre que mortel. Accepter surtout qu’elle ne nous délivrera jamais ses secrets. »

L’autre part, c’est l’ailleurs, c’est Tanger. Cette ville où vécut Manelle, la grand-mère de Lina, le temps d’une année, lorsqu’elle avait vingt ans. À sa mort, Lina exhume une vieille photographie en noir et blanc qu’elle lui avait subtilisée il y a des années – on y voit Manelle aux côtés d’un jeune homme. Elle tombe également sur un cahier qui date de 1953 – le cahier qui raconte cette année à Tanger. Lina décide de partir découvrir elle-même cette ville qui a tant marqué sa grand-mère et dont elle a pourtant si peu parlé – mettre ses pas dans les siens et découvrir ce qui lui est arrivé ici. Pourquoi Manelle est-elle rentrée si vite en France ? Pourquoi n’a-t-elle jamais parlé de cette année ?

« Elle savait que Tanger avait été plus qu’une page pour sa grand-mère, c’était une vie entière dans une autre, quelque chose qui avait tout renversé. »

La ville se déploie sous nos yeux, à deux époques différentes – le récit alterne les voix de Manelle et Lina. En 1953, la ville est sous protectorat français ; des résistances s’organisent dans l’ombre et un mouvement de femmes luttant pour leurs droits prend de l’ampleur, rencontre après rencontre, au café Al-Andalous. En arrivant à Tanger, Manelle a vingt ans, elle laisse derrière elle ses parents en deuil de son petit frère. Elle fait la connaissance de Nour qui lui apprend l’arabe et de son frère Tahir, qu’elle retrouve chaque jour – ensemble ils s’adossent à la porte du Souk ad-Dakhil pour écouter le vieux Marzouk qui fait résonner ses contes dans les ruelles de la médina.

J’ai aimé la construction narrative de ce premier roman – ces allers-retours dans le passé et le présent. J’ai aimé la voix introspective de Lina, en italique, qui vient s’interroger, se remettre en question.

L’autre part est un roman absolument bouleversant où la lumière côtoie la nuit. Tanger se déploie mot après mot, à travers les cinq sens – on a l’impression d’y être.

L’écriture m’a conquise – délicate et sensorielle – et j’ai été happée dès les premiers mots. Les mots de Morgane Az racontent une femme tiraillée entre son pays et l’ailleurs, à l’image de Tanger où les tensions se cristallisent de plus en plus. C’est aussi une histoire d’amour, sans pathos. Comment survit-on à la perte de ceux qu’on aime ? J’ai aimé la réflexion sur la mémoire, celle des lieux, mais aussi celle des personnes qui restent, qui attendent.