La Collection

Par Henri-Charles Dahlem @hcdahlem

En deux mots
Gabriel Bernier fait un malaise sur une aire d’autoroute, près de Montélimar. À son réveil, il ne retrouve plus sa femme et sa voiture. Les employés, les chauffeurs et les touristes de passage vont suivre son errance et tenter de comprendre son désarroi.

Ma note
★★★ (bien aimé)

Ma chronique

Perdue sur une aire d’autoroute

Dans son nouveau roman Dominique Paravel a choisi une aire d’autoroute pour raconter notre société. Elle y suit Gabriel Bernier à la recherche de son épouse qui a disparue. Au fil de ses rencontres, il va tenter de comprendre ce qui s’est passé. Et découvrir un monde effrayant, le nôtre.

Il y a quelques années, Dominique Paravel nous avait déjà offert, avec Alice, disparue, l’histoire d’une femme partant à la recherche d’une amie perdue de vue à Venise. Cette fois, elle réduit la focale, mais son enquête n’en reste pas moins mystérieuse. Nous sommes sur une banale aire d’autoroute, à l’heure des migrations estivales. Gabriel Bernier a pris la direction de Villefranche-sur-Mer en compagnie de son épouse Ania et décide de faire une halte à hauteur de Montélimar. Quelques secondes après être sorti de sa voiture, il se voit mourir. Mais fort heureusement, son malaise n’est que passager. Sauf qu’il ne retrouve ni da femme, bi sa voiture. A-t-elle voulu lui jouer un mauvais tour parce qu’avant leur pause il s’était agacé du projet dont elle voulait lui parler? Toujours est-il que son téléphone était sur répondeur et que son désarroi allait croissant. D’autant que ce voyage n’était pas vraiment son choix, lui préférant les mers froides du côté de la Baltique. Mais, il s’était laissé convaincre.
«Ania avait vingt ans de moins que lui, un visage encore indemne, un sexe lisse et frais, une grâce venue de la danse inconsciente qu’elle menait avec le monde. Directrice d’une agence d’événementiel, activité en parfait accord avec son esprit créatif, téméraire et comptable, en désaccord total avec celui de Gabriel, docteur en histoire de l’art, front large et visage carré, une sorte de bœuf de labour obstiné dans son sillon, résistant aux compromis, aux assemblages hasardeux de genres, attitude qui lui avait coûté son poste de conservateur du musée Poule de Pontoise.»
Désormais en charge d’un projet de musée dans un château médiéval à Trèves, en Saône-et-Loire, il ne va pas tarder à retrouver dans les scènes dont il est témoin sur cette aire d’autoroute des similitudes avec les tableaux qu’il est désormais chargé de mettre en valeur et de faire découvrir au public. «Après Mademoiselle Rubin, Les Trois mendiants sur un trottoir de Paris, la famille du Pique-nique en Franche-Comté et le Moine camaldule, La Fugitive se dissimulait peut-être, elle aussi, au milieu de la foule indifférente qui peuplait cette aire d’autoroute.»
Mais, on s’égare. Revenons à la recherche de Gabriel, à cette employée de l’aire d’arrêt qui lui confie avoir vu sa femme converser avec un homme. Une première piste. Mais qui ne mènera pas très loin. Pas davantage que les quelques bières prises avec des chauffeurs routiers albanais. Ni avec cette famille qui a perdu son chat. Décidément, retrouver Ania sur un périmètre de quinze hectares entouré de hauts grillages s’avère bien plus difficile que prévu.
Dominique Paravel parvient parfaitement à rendre cette ambiance oppressante, à décrire ce microcosme où se croisent des destins particuliers, des histoires singulières. Ces tranches de vie rassemblées ici, un peu comme dans Kérozène d’Adeline Dieudonné, donnent une image de la France d’aujourd’hui. Un pays déboussolé, qui se cherche et qui ne sait plus trop vers qui ou quoi se tourner pour reprendre espoir.

La collection
Dominique Paravel
Serge Safran éditeur
Roman
140 p., 16,90 €
EAN 9791097594688
Paru le 12/01/2024

Où?
Le roman est situé sur une aire d’autoroute, à hauteur de Montélimar. On y évoque aussi Paris, Villefranche-sur-Mer et Trèves, en Saône-et-Loire.

Quand?
L’action se déroule de nos jours.

Ce qu’en dit l’éditeur
Sur une aire de repos à la hauteur de Montélimar, Gabriel Bernier est pris d’un malaise. Quand il revient à lui, sa voiture et sa femme ont disparu.
Ce sexagénaire, frustré, atrabilaire, conservateur dans un petit musée de province, se retrouve piégé pendant 24 heures sur l’aire d’autoroute. Les personnages qu’il rencontre semblent d’étranges incarnations contemporaines d’une collection de son musée. Serveuses, routiers, prostituées, vacanciers en vadrouille deviennent ainsi ses guides dans ce lieu hostile, reflet d’une société en pleine déliquescence, mais devenu parcours initiatique, où il doit aller jusqu’aux limites du réel et de lui-même.
Dans ce roman à la fois cruel et drôle, Dominique Paravel nous entraîne dans un univers qui est loin d’être un rêve de bonheur mais d’une superbe envergure littéraire.

Les critiques
Babelio
Lecteurs.com

Les premières pages du livre
« Il glissa les deux paquets de Marlboro dans une poche de son gilet et céda la place à la cliente suivante, Quarante ans, fine de partout, lèvres, mains, une sorte de trait rapidement exécuté, sans bavures ni grâce. Elle posa trois polars sur le comptoir, Moules meurtrières à Menton, Mamie moisie à Mougins, Mords-moi le nœud à Mandelieu, de quoi occuper sans doute les heures stériles de la plage.
Des pins parasols jaunis ombrageaient maigrement les véhicules. L’herbe avait perdu toute verdeur, au point que la limite entre béton et gazon s’était effacée. Des buissons de petites roses violacées se recroquevillaient au soleil, le bord de leurs pétales décoloré jusqu’à l’évanescence. C’était, pensa-t-il, la première fois qu’il tentait de claquer une portière. La résistance de ladite portière l’avait déconcerté. Un refus mou mais indiscutable de se laisser claquer. Il alluma une cigarette, s’emplit de fumée et rejeta de filets par les narines. Une vague de voyageurs le bouscula, qui déferlaient d’un autocar et s’éparpillaient entre Autogrill, la cafétéria et les toilettes.
D’une chiquenaude il envoya son mégot en direction d’un camping-car, d’où jaillit aussitôt une athlétique jeune femme blonde. Les deux mains sur les hanches, elle lui adressa une bordée d’insultes dans une langue incompréhensible farcie de voyelles. Du finlandais peut-être. Après quoi elle remonta dans son véhicule, dont la portière se laissa complaisamment claquer, un claquement sec et sonore, bien différent du soupir apathique qu’avait émis son Duster quand il lui avait infligé le même traitement. Assis à l’arrière du camping-car, une petite fille blonde et blanche, et un petit garçon du même modèle le regardaient, leurs visages comme un double portrait encadré par la fenêtre.
Paha poika, dit le petit garçon, vilain méchant, tête de nœud, ajouta la petite fille, puis les deux enfants se retournèrent et fixèrent les yeux sur la route qui les conduirait jusqu’à la petite principauté paradisiaque des Asturies, entre la Galice et la Cantabrie.
Quant à lui il filait droit vers Villefranche-sur Mer, ses plages exiguës, ses cafés grillés de soleil, ses touristes bronzés jusqu’à l’os, alors que, depuis années, il ne rêvait que de la mer Baltique. Froide et glauque, impropre à la baignade, idéale. Quelque part entre la Suède et la Lituanie, dan maritime que l’imagination peine à se représenter existait une île dont la beauté spectrale le hantait.
Dures falaises, blanches silhouettes furtives des arbres, paysage effilé par le vent. C’était là, dans ce lieu inhumain, qu’il rêvait de promener sa silhouette alourdie et son ennui.
Ania avait dit: Paterne et Prosper arrivent le 20 à Villefranche et repartent le 23 pour l’Italie, ça nous laisse suffisamment de temps pour discuter du projet.
Ils venaient de pénétrer sur l’aire de repos. La perspective de la chaleur atroce qui allait les saisir dès qu’ils auraient quitté l’habitacle climatisé de la voiture et celle de se taper en mode continu Paterne et Prosper pendant trois jours l’accablèrent. Le parking était saturé car il accueillait non seulement les voyageurs en partance vers le sud mais aussi ceux qui allaient au nord, grâce à un savant jeu de bretelles de raccordement. Il se vit forcé de prendre un embranchement à droite pour ne pas se retrouver ramené sur l’autoroute, puis contraint de faire le tour d’un rond-point planté de cyprès, pour enfin revenir à son point de départ.
— Je ne veux plus entendre parler de ce projet, avait-il dit.
À quoi Ania avait répliqué :
— C’est ton dernier mot ?
Il avait fini par trouver une place devant deux grandes poubelles jaunes, était descendu du Duster et avait tenté vainement de claquer la portière.
Ania avait vingt ans de moins que lui, un visage encore indemne, un sexe lisse et frais, une grâce venue de la danse inconsciente qu’elle menait avec le monde. Directrice d’une agence d’événementiel, activité en parfait accord avec son esprit créatif, téméraire et comptable, en désaccord total avec celui de Gabriel, docteur en histoire de l’art, front large et visage carré, une sorte de bœuf de labour obstiné dans son sillon, résistant aux compromis, aux assemblages hasardeux de genres, attitude qui lui avait coûté son poste de conservateur du musée Poule de Pontoise.
Médecin légiste passionné d’art moderne, Ferdinand Poule avait légué sa collection à l’État en 1964, une vingtaine de tableaux relevant du constructivisme et du suprématisme. Trois chefs-d’œuvre en faisaient la renommée, bien que peu connus, même des spécialistes. Composition 1000, de Vilmos Huszär (1926) carré rouge, triangle jaune, triangle gris, sur fond blanc. Composition abasourdie (1920) de Theo van Doesburg, puzzle de carrés et rectangles roses, verts, orange et bleus. Composition distante (1922) de Lajos Kassák, qui alliait quatre figures géométriques noires sur fond gris. La représentation, qu’elle soit d’un paysage ou d’un visage, n’offrait aucun intérêt aux yeux de Gabriel. Retrouver dans une œuvre d’art ce qu’on connaît déjà dans le réel témoignait d’une paresse de l’intellect. Seul l’équilibre parfait de couleurs et de formes pures, la beauté abstraite qui n’obéit à aucune contrainte autre que celle de sa propre harmonie, lui paraissait digne d’être regardée. Une œuvre libérée des passions, parfaitement autonome et désintéressée, de haute exigence morale.
— Tu aimes ce genre de peinture parce qu’elle est inoffensive, disait Ania, rien ne se libérera du cadre et te sautera à la gueule.
Il repéra rapidement sur le parking bondé le Duster noir, massif et inévitable comme un corbillard, garé devant les poubelles jaunes.
Sauf que le Duster au cul duquel il se tenait n’était pas le sien. Un siège d’enfant était installé sur la banquette arrière. Tous les parkings de toutes les aires de repos se ressemblent, tous les Duster noirs aussi. Il commença à remonter l’allée. Le Duster noir n’était pas une denrée rare, loin s’en fallait. Le premier qu’il avisa se trouvait à la hauteur de l’enclos des jeux.
Posé sur le bord de la fenêtre, un bras d’homme velu, terminé par une main baguée d’or. Il lui fallut marcher pas mal avant d’atteindre un deuxième Duster noir, Cette fois c’était le bon, le feu arrière était légèrement endommagé. Il pressa le pas. À l’intérieur un caniche était enfermé, dont les aboiements furieux se trouvaient réduits à néant par l’épaisseur des vitres.
Dans la chaleur de midi, son gilet multipoche noir s’était transformé en cilice. Il se faisait un point d’honneur à porter ce cadeau d’adieu offert par les employés du musée Poule, malgré son incommodité et le fait qu’au dos se détachait en grandes lettres jaunes le mot POULE. Il fit quelques pas, soudain saisi d’une douleur perforante comme un clou enfoncé dans la tête. Titubant, soulevé de nausées, il alla jusqu’à un pin d’Alep à l’écorce grise, y posa d’abord sa main, puis son front, puis se laissa glisser. Il n’était soudain plus aussi dense qu’avant, dans l’obscurité du corps les parties se dissociaient, revendiquaient une identité séparée et rebelle, il se découvrait constitué d’organes, de viscères, de tendons, d’os, un conglomérat mal ficelé qui, tout doucement, foutait le camp.
L’aire occupe une superficie de trente hectares et dispose de 1500 places de parking. La végétation est constituée pour l’essentiel de pins d’Alep, cèdres et cyprès. En été, près de 40 000 voyageurs s’y arrêtent chaque jour, 232 personnes y travaillent, dont ls moitié en contrat précaire. Entre juin et septembre se réalise 50% du chiffre d’affaires. Enchâssée dans la région, l’aire en est cependant totalement isolée. »

Extrait
« Après Mademoiselle Rubin, Les Trois mendiants sur un trottoir de Paris, la famille du Pique-nique en Franche-Comté et le Moine camaldule, La Fugitive se dissimulait peut-être, elle aussi, au milieu de la foule indifférente qui peuplait cette aire d’autoroute. » p. 102-103

À propos de l’autrice

Dominique Paravel © Photo DR

Dominique Paravel, née à Lyon en 1955, s’installe à Venise en 1983. Pendant vingt ans, elle y enseigne et publie poèmes, articles scientifiques et même une grammaire comparée du français et de l’italien, tout en menant une activité de traductrice. En 1997, elle fait paraître un guide de Venise (Autrement) et crée une association culturelle, Arte e Venezia, qui organise des séjours dans la Sérénissime. Après Nouvelles vénitiennes (2011), elle a publié Uniques, son premier roman, paru en 2013. Suivront Giratoire (2016) Prix Cazes, Alice, disparue (2021) et La collection (2024). (Source: Serge Safran Éditeur)

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