La tresse est un livre que j'ai beaucoup offert avant même de le lire. Cela ne m'arrive pas souvent, mais il est clair que le succès public de ce roman et la représentation que j'en avais (lecture accessible pour un plus grand nombre et qui permet de s'évader) m'ont bien motivée à l'offrir en cadeau. Bizarrement, j'ai aussi tourné longtemps autour sans me décider à le découvrir par moi-même, je n'avais pas une franche envie de le lire par les yeux et je ne m'explique pas cet état de fait. Heureusement, ma bibliothèque préférée a proposé cette histoire en version audio et là, ma réticence a complètement flanché.
Verdict : lecture très sympa, qui mérite son succès large et d'estime.
La tresse dresse le portrait de trois femmes (et une petite quatrième en devenir) : Sarah, working girl dans un bureau d'avocats canadiens, qui mise tout sur sa carrière ; Smita indienne intouchable qui rêve d'un autre avenir pour sa fille que celui de torcher les toilettes de plus riches qu'elle, et Giulia héritière italienne d'une entreprise familiale de confection de perruques.
Trois destins avec en commun la lutte, l'envie d'en découdre face au mutisme et au corporatisme, d'innover une activité brinquebalante, pour acquérir l'émancipation tout court, le droit de penser par soi-même, le droit de maîtriser son destin. Écrit comme cela, on pourrait y lire une bluette gentillette et on pourrait complètement rester sur cette idée-là.
Mais ce que soulève le récit de Laetitia Colombani est l'ode aux résistantes, aux femmes qui ont fait bouger les lignes pour elles-mêmes mais souvent pour d'autres femmes par sacrifice (parce qu'elles n'ont pas eu le temps de voir évoluer les choses, les choses évoluant très lentement par rapport aux cerveaux de ces précurseuses et à leurs aspirations), et tout cela à leurs risques et périls.
Ce que relève également subtilement l'autrice, c'est que l'état de malade chronique est davantage renvoyé et amplifié par le comportement des autres, de l'environnement, souvent sans volonté de nuire (mais plutôt par souci de bienveillance et d'inquiétude partagée sur l'état de santé). Mais l'hyperprotection qui s'opère maintient alors le malade dans sa condition de malade sans que celui-ci puisse espérer être vu autrement - malgré son courage, sa volonté de dépasser la douleur des traitements -, et conditionne une succession de comportements négatifs : dépréciation de sa valeur professionnelle, impossibilité d'accéder à une revalorisation ou une augmentation hiérarchique,... Aussi, il n'est pas surprenant que certains hésitent à annoncer être atteints d'une maladie lourde. Non pas parce qu'ils en ont honte (comment pourrait-on se reprocher quelque chose qu'on subit ?) mais parce qu'ils ne supporteraient pas de vivre le regard d'apitoiement, de subir l'attention constante et le rattachement systématique à sa santé de la part de proches (ou de moins proches), voire de subir une discrimination professionnelle honteuse et injuste.
La tresse est un beau roman féminin et féministe : il y montre des femmes maîtresses de leur destin, épaulées parfois par des hommes qui ont tout compris. J'ai aimé y découvrir ces trois guerrières : la première qui va sauver une entreprise familiale grâce à une collaboration improbable, désavouée au départ mais salutaire, la seconde va faire preuve d'un courage immense et se battre sur plusieurs fronts (la maladie, le procès), la dernière va montrer la voie du savoir et des chemins de traverse à une petite fille, son héritière.
Séquençant son récit en alternant les voix et les itinéraires, Laetitia Colombani propose un dernier personnage en interlude : celui d'une tisseuse qui m'a rappelée singulièrement et peut-être à tort, les Parques romaines, celles qui décident du destin d'autrui.
Une image retenue : celui d'un vélo abandonné au bord du chemin.
Un bémol : j'ai mois aimé l'image du don de cheveux qui se monnaye ensuite. Mais c'est certainement une question culturelle et aussi de redistribution de richesse.
Les trois lectrices font très bien le job : Laetitia Colombani (l'autrice elle-même), Rebecca Malder et Estelle Vincent. C'était essentiel de prendre trois voix différentes pour représenter ces trois belles voies féminines.
Le roman La Tresse a été adapté au cinéma.
Lecture par Laetitia Colombani, Rebecca Malder et Estelle Vincent
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