Phébus - 2023 - 320 pages
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" Ainsi, en lisant, tu alimentais un feu intérieur comme les peuples nomades attisent les flammes nuit et jour, afin que la lumière contenue dans leurs yeux ne s'éteigne jamais. "La narratrice nous raconte sa grand-mère, qui était si discrète, taiseuse, avait toujours un air triste et passait sa vie à lire. Mamie Loulou entassait les livres tout autour d'elle. Mamie Loulou était une vraie bibliomaniaque ; sa maison envahie par le lierre à l'extérieur et par les livres à l'intérieur ; dans toutes les pièces, du sol au plafond. À 69 ans elle meurt au pied d'un escabeau, cherchant à attraper un livre trop haut perché. Sa petite-fille se demande, tout au long du roman : qui était cette femme? Avait-elle eu une vie avant de se recroqueviller sur le silence et les livres? " Plus tu lisais, plus tu rendais ton coeur inaccessible. "
Quand elle a quatorze ans, la narratrice se retrouve assaillie par des visions de sa grand-mère. Pour s'en délivrer, elle se met à lui écrire, à raconter l'histoire qu'elle ne lui a jamais confiée. Pour briser le silence laissé en héritage par Mamie Loulou, elle invente ce passé manquant à partir des objets qui lui restent d'elle.
Le roman d'Aurélia Clément possède une écriture élégante, qui questionne la mémoire, la transmission : peut-on grandir sans se sentir prisonnière de son passé familial ? Ce qu'ont vécu les femmes de notre famille détermine-t-il notre présent ? Et puis, il y a la fiction qui se confronte au réel - si la littérature permet de s'extraire du réel, nous sauve-t-elle pour autant ?
Lire pour oublier le passé, lire pour s'extraire d'une existence qui n'est pas celle à laquelle on s'attendait, lire pour s'évader. " Lire était ta façon de ne pas te tourner vers le passé, d'éviter la confrontation avec ce qu'avait été ta vie. "
Mamie Loulou est un roman puissant et émouvant dont j'ai eu envie d'imprimer chaque mot dans ma mémoire ; un roman où le silence affronte le pouvoir des mots. Raconter cette grand-mère en l'inventant, elle qui a passé sa vie le nez plongé dans des romans. Raconter cette femme avare de mots qui pourtant en absorbait tout le jour. Prisonnière de son destin, un parallèle avec le personnage d'Emma Bovary est fait tout au long du roman - et si c'était la fiction qui rattrapait le réel et non l'inverse?
" Certains disaient que tu les mangeais, d'autres que tu les collectionnais ou que tu t'en servais pour isoler les parois de ta maison, peu d'entre eux pensaient que tu les lisais vraiment. "