La danseuse est un roman agréable de Patrick Modiano. Il se lit sans déplaisir, toujours dans ce Paris obscur où tout est possible, dans ce Paris où des personnes sont davantage identifiées pour leur art (la danse pour la danseuse), par leur statut social (le père du petit Pierre), dans ce Paris où on peut confier sans crainte la garde d'un enfant une journée à un homme qu'on connaît à peine et mais dont on a l'assurance qu'il est l'ami d'un ami. C'est un Paris ambivalent donc, entre méfiance et confiance, entre fêtes et travail. Un Paris où la notion de couple est aléatoire, où les liaisons s'annoncent au gré des humeurs, des ambiances. La danseuse est peut-être un des rares livres lus de Patrick Modiano où le sexe apparaît. Mais toujours en version Modiano c'est-à-dire en décrivant un libertinage naturel et concerté. N'espérez pas de descriptions physiques obscènes : tout est suggéré, à la limite de l'évanescence ; on ferme la porte au moment des retrouvailles et on laisse les personnages vaquer à leur guise : la grande classe, comme toujours.
Notre héros modianesque, amnésique comme toujours, se rappelle de certains noms : l'enfant Pierre, Serge Verzini, (le mentor des rencontres, l'artisan des points de chute pour dormir), Kniaseff (le chorégraphe, le professeur de danse du studio Wagner), Pola Hubersen, George Starass entre autres, mais oublie le principal : le nom du héros, le nom de la danseuse.
On retrouve l'univers cotonneux de Modiano, avec ce contraste entre des scènes parfaitement décrites, des personnages à l'identité connue et un passé trouble, qu'on cache dont on distingue certains reliefs, avec des personnages de transition (Verzini l'agent de liaison entre le passé et le présent de la danseuse, entre le narrateur et la danseuse..) des personnages menaçants (les Barise), des disparitions du jour au lendemain sans raison (le père du petit Pierre).
La danseuse offre des instantanées de deux vies (celles de la danseuse et du héros), des aller-retour sur différentes périodes passées (dont un plus difficile que d'autres). De ce récit que j'ai lu pour la qualité de l'écriture et du style (comme d'habitude) de Patrick Modiano, je n'ai pas ressenti une émotion particulière, juste un intérêt pour la danse, pour la découverte de quelques bribes de ces passés décousus. Comme toujours, Modiano tisse ses intrigues dans un format entre enquête et roman noir. La danseuse n'y fait pas exception.
Éditions Gallimard