Timothy Martin Gautreaux, né en 1947 en Louisiane où il vit toujours, est le fils d'un capitaine de remorqueur. Professeur émérite d'anglais à la South Eastern Louisiana University, il est l'auteur de nouvelles publiées par The Atlantic Monthly, GQ, Harper's Magazine et The New Yorker. Le Dernier arbre, son premier roman, date de 2013.
En 1923. Noah Aldridge, le père des frères Byron et Randolph, négociant en bois de Pittsburg a acheté une scierie dans un bled perdu des marécages de Louisiane, « dans le trou du cul du monde, un endroit qui s’appelle Nimbus ». Il y envoie Randolph, le cadet, pour réorganiser et rentabiliser la scierie, mais surtout pour tenter de ramener dans le giron familial, Byron qu’il espère lui succéder. Byron qui est revenu traumatisé par la Grande Guerre en France et le carnage de Verdun, Byron qui a rompu tout lien avec sa famille, planqué dans ce trou où il a trouvé un job d’officier de police et fait régner la loi à la manière forte, parmi ces hommes seuls n’ayant que l’alcool du saloon et ses prostituées pour oublier la pénibilité du travail. Randolph, laisse sa femme, et débarque dans ce bourbier…
Un roman magnifique, très touchant avec des personnages inoubliables.
Le thème principal en est la fraternité. Byron et Randolph, deux caractères très différents et opposés, façonnés par leur expérience de la vie. Si le cadet n’a connu qu’une existence assez simple et tranquille, régie par les principes moraux inculqués par l’église, Byron lui, a vu et subi ce que les hommes sont capables de faire subir à d’autres hommes, Verdun cet épouvantable massacre où la vie humaine n’avait aucune valeur ; il en est revenu laminé moralement, ne croyant plus qu’en violence pour faire cesser les conflits de poivrots prompts à sortir le couteau ou le rasoir, souls d’alcool, lors de parties de cartes truquées où disparait leur maigre paye.
Le plus jeune vient pour changer l’état d’esprit de l’aîné mais le terrain et les circonstances, la réalité de la vie donc, vont déplacer l’ordre de ce qui était prévu. Quand Randolph, patron de la scierie voudra fermer le saloon le dimanche, il va déclencher un processus fatal, ce tripot appartient à Buzetti, un Sicilien résidant à La Nouvelle Orleans d’où il dirige trafic d’alcool et prostitution avec une poignée de sbires pas commodes qui vont lancer des représailles. Randolph en viendra à la manière forte…
Le roman se partage entre la crainte des actions que peut mener Buzetti et les acteurs de la scierie. Byron vit avec une femme qui l’aime et supporte son caractère difficile et violent, la femme de Randolph finira par le rejoindre et tentera de mettre de l’humanité dans le camp, en faisant venir les familles des travailleurs, construisant une petite école et permettant des messes le dimanche ; et il y a aussi May, la gouvernante de Randolph, une métisse instruite qui veut absolument un enfant d’un Blanc pour se reconstruire une vie ailleurs. Tous ces maillons « faibles » sont des cibles potentielles pour le Sicilien et nous valent des moments émouvants.
Un très beau roman qu’on pourra ranger à côté de ceux de Ron Rash.
« « Un demi-million de soldats m’ont tiré dessus, disait Byron, avec les fusils les plus précis du monde, et pas un seul d’entre eux n’a réussi ce qu’a fait un abruti de mécano avec un pistolet à quinze dollars. » Il ferma les yeux et des larmes coulèrent dans ses oreilles. « J’espérais en avoir fini avec la guerre, sanglota-t-il, mais cette foutue planète tout entière est désormais en guerre. » »
Tim Gautreaux Le Dernier arbre Seuil - 411 pages -
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Jean-Paul Gratias