Un soleil entre des planètes mortes

Anneli FURMAK

Traduit du suédois par Florence SISASK

Éditions ça et là, janvier 2017
174 pages

Thèmes : Norvège, Estime de soi, Pouvoir de la lecture, Sororité

La cinquantaine arrivée, Barbro ose enfin.
La voici partie en voyage, seule, à Tromsø, en Norvège, à la rencontre d'Alberte.
Une héroïne de roman que Barbro confond volontiers avec son autrice, Cora Sandel, et en laquelle elle se trouve des traits communs tout en enviant son courage.
Car Barbro, mère de deux garçons qui travaille à l'accueil d'un centre hospitalier, est d'une réserve qui grève son estime d'elle-même, qui se teinte d'idées reçues, et qui ne s'arrange guère les années passant.

Le rituel du soir implique une inspection en règle de soi face au miroir.
Souvent critique, jamais neutre.

Dans ce village excentré parmi les fjords et acculé par les montagnes, Alberte se sent à l'étroit.
Elle est à l'étroit dans sa famille, que l'on découvre de l'intérieur avec une mère rigide et peu aimante, et un père qu'il vaut mieux ne pas contrarier.
Elle est à l'étroit dans les apparences qu'on lui impose, dans sa condition de fille qui l'empêche de pouvoir étudier, quand son frère adoré, Jacob, déteste les études, lui qui y est obligé. Car leur père, l'estimé Juge de Paix Selmer l'y contraint, autant par devoir filial que social.
Elle est à l'étroit dans l'appréciation qu'elle a d'elle-même.

Le visage que lui renvoie le miroir, est-ce vraiment le sien, celui dont elle ne se départira pas de toute sa vie ?

Alors pour s'octroyer un peu de liberté, pour avoir un peu de pouvoir sur sa vie, voire même sur l'inconnu, Alberte prend la direction de la montagne.
Elle essaie d'aller toujours plus loin, toujours plus haut, bravant le froid, le vent, la neige... et surtout sa peur.
Et quand c'en est trop, elle rentre en courant.
Mais fière
Et déterminée à recommencer.

Alors Barbro se lance des défis.
Pour s'obliger à sortir, pour s'obliger à affronter l'inconnu, l'autre.
Elle redoute les échanges, se fait discrète, lit son livre préféré et tant de fois recommandé, et pourtant porte des vêtements rouges et rencontre Lejla, qui connaît bien Sara Fabricius (le vrai nom de Cora Sandel) et son roman, et estime qu'il ne fut pas confondre...

A mesure qu'elle progresse, une fiévreuse témérité la gagne et elle ose entrouvrir les portes de son monde rêvé.

C'est d'abord le titre qui m'a attirée vers ce roman graphique, puis le fait qu'il mêle une œuvre littéraire à un parcours de vie (même fictif). J'ai aimé les portraits croisés, inversés et complémentaires, de Barbro et d'Alberte. Et j'ai aimé la fin ouverte.

Anneli Furmark adapte, transpose, enrobe le roman Alberte et Jacob de Cora Sandel (1880-1974) paru en 1926, premier tome d'une trilogie, qui connut un grand succès en Norvège et en Suède. Je ne l'ai pas lu mais j'en ai grande envie.
Elle restitue et compose un univers pour chacune des deux narratrices. Une pluralité de techniques graphiques qui allient aquarelle, crayons gras ou de couleur, encre, pour un rendu abrupt et majestueux pour les paysages, un peu brouillon pour Barbro ou Alberte, et si les traits ne sont pas nets, ils n'en restent pas moins dynamiques et expressifs.

Des camaïeux de bleus, propres à cette saison en Norvège où le soleil n'apparait quasiment pas, et des couleurs qui tranchent pour Barbro, elle qui est si effacée.
Un ton gris voire sépia pour Alberte.
Pour les deux, une atmosphère de froid qui va s'atténuant, à mesure qu'elles s'affranchissent et reconquièrent leur liberté.

Quant à la cafetière, elle est toujours près de madame Selmer. Lorsqu'elle enlève son capuchon, on dirait une apparition : parfaitement astiquée, tout en cuivre jaune, chaude, fumante, odorante.
Tonifiante. Un espoir, un soleil entre deux planètes mortes.

Un soleil entre des planètes mortes, un roman graphique au rythme lent mais prenant, qui dit simplement le sentiment bridé de deux femmes et ce qui les lient, c'est une histoire de rencontres pour l'aventure d'être soi.
Une très belle découverte qui va en amener d'autres !