Harlowe, une petite ville rurale du New Hampshire non loin de Boston. John Moore et sa famille, Mim son épouse, Hildie leur fillette et Ma, sa mère, vivent heureux et tranquilles du travail de leurs terres. Enfin tout ça c'était avant que n'arrive en ville, Perly Dunsmore, un inconnu, commissaire-priseur de son état, beau parleur doté d'un certain charme. Très vite il organise avec le shérif des enchères publiques pour doter la police locale de moyens supplémentaires afin de lutter contre la violence des grandes villes qui pourrait déborder jusqu'ici, sans avoir à augmenter les impôts locaux. Le nombre de policier augmente et les habitants donnent volontiers ce qui encombre leurs caves et greniers pour alimenter les ventes qui attirent des villes alentour de potentiels acheteurs. Chaque semaine les ventes se succèdent, chaque jeudi Perly et le shérif se présentent chez les habitants pour réclamer des objets... réclamer ou réquisitionner ?
Quel roman !
Une intrigue qui débute gentiment, un village tranquille, une collecte de vieux objets et encombrants vendus au profit de la sécurité générale, puis lentement quand les greniers sont vidés, Perly soutire habilement à leurs propriétaires des objets de leur quotidien qui soi-disant ne leur servent pas ou plus. S'exprimant bien, paroles douces, gentillesse apparente envers les enfants ou les personnes âgées, quelques petits billets, un pourcentage modeste sur les ventes de leurs biens, le tout enveloppé dans le désir de sauvegarder les valeurs morales de l'ancien temps... Son pouvoir de persuasion tout en subtilité monte en puissance, les maisons sont vidées, les meubles, le bétail, les tracteurs... Un vaste projet immobilier est envisagé et il a besoin de " dégager " les occupants des terres visées.
Une lecture qui met mal à l'aise le lecteur. On assiste impuissant à la dépossession de leurs biens de braves gens, qui ne s'en rendent pas compte dans un premier temps, puis cèdent par peur : si résister était pire que d'être appauvri ? D'autant que ceux qui bronchent légèrement sont victimes d'accidents. Les Moore rouscaillent dans leur coin mais cèdent leurs affaires, se promettant que c'est la dernière fois, et le jeudi suivant, rebelote !
L'angoisse monte, l'agacement de ne voir aucune réaction, la rage devant l'emprise malfaisante et s'élargissant de Perly, ses partisans qui surveillent tout le monde et John qui semble bien faible. Jusqu'à quand ?
Excellent roman. Une formidable allégorie ou métaphore intemporelle sur la soumission. Chaque lecteur pourra y voir une allusion à des faits récents ou en cours, chez nous ou à l'étranger.
" - Mim, écoute-moi, dit-il en l'attirant sous les couvertures. Les choses sont ce qu'elles sont. Mais ils ne peuvent pas te prendre la chair de ta chair. Et ils ne peuvent pas prendre la terre, parce qu'on est dessus. - Des mots, John. Ca, ça ne les arrête pas. Qu'est-ce qu'ils ont fait tout cet été et cet automne ? - C'est encore l'Amérique. Ils peuvent pas. Il y a des limites. - Réfléchis. Toute la terre sous les grandes villes, c'étaient des fermes avant. Et d'une façon, je ne sais pas comment, ils ont fait partir les fermiers. "
Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Laurent Vannini