Je suis très partagée à la suite de la lecture du roman Irene de Manuel Vilas. Je suis partagée, parce que j'ai repéré de grandes qualités romanesques à cette œuvre (un écrit incarné et habité par son héroïne ; une plume littéraire assez fantastique de son auteur qui est aussi à l'aise dans le récit narratif, les envolées lyriques, les subtiles suggestions littéraires et cinématographiques et sa réflexion profonde sur l'humanité -son désir, son côté charnel, le sexe -, sur le couple, sur la folie et plus globalement sur la vie).
La correspondance avec le film Breaking the waves de Lars von Trier est patente et tellement évidente que Manuel Vilas la cite directement en page 207 de cette présente édition. La Bess de Lars von Trier d'un côté, la Irene de Manuel Vilas de l'autre, chacune agit à sa façon pour redonner vie à son amour : la première en se livrant aux pires infamies parce qu'elle croit que son sacrifice assurera la survie de son époux malade sur un lit d'hôpital ; la seconde en se livrant à des orgasmes d'une nuit pour voir apparaître l'être aimé, l'être chéri, son Marcelo unique. D'un coté donc, une héroïne pieuse et candide, attachante ; de l'autre, une héroïne en deuil récent qui se fiche d'ébranler la vie d'autrui, vit son désir comme elle l'entend, sans foi, sans état d'âme, avec comme unique objectif, celui de revivre le souvenir de son époux. Entre elles deux, la folie partagée, patente, qu'on voit monter, qui dégrade leur état de conscience. Ce qui les éloigne l'une de l'autre, est le sentiment d'empathie ressenti pour Bess et totalement stérile pour Irene.
C'est peut-être ce manque d'empathie qui m'a éloignée de cette histoire et de cette Irene libre, futile, dont le deuil m'a peu émue (malgré le couple fusionnel formé avec Marcelo, bien décrit). Les nombreuses situations répétées (les coups d'un soir, les retours imagés de Marcelo), l'itinéraire incohérent d'Irene qui ne cesse de se chercher (dont la quête a été rompue pendant les années d'amour avec Marcelo), son goût du luxe et d'une vie cliquante et évaporée, m'ont peu attendrie, m'ont peu accrochée. Et pourtant tout s'explique, Manuel Vilas l'explique par un procédé littéraire déjà repéré chez Denis Lehane mais qui arrive un peu tard.
Je comprends l'obtention du prix prestigieux espagnol (le prix Nadal du meilleur roman espagnol) pour cette oeuvre. Je la comprends pour les qualités littéraires (plume) et d'incarnation mêlant le fond et la forme. J'ai lu sans déplaisir Irene parce que Manuel Vilas a su habiter ce personnage féminin, lui donner forme humaine, parce qu'il a une écriture précise et belle, généreuse, à la fois philosophique et sujette parfois à des aphorismes. Mais je ne suis pas certaine d'en garder grand chose, par manque d'émotion tout simplement. Et je le regrette profondément.
Éditions du sous-sol
Traduction : Isabelle Gugnon.
Lu dans le cadre d'une Masse critique privilégiée de Babelio avec la maison d'édition : je les remercie de cet envoi.