Simon Spurrier, le scénariste de cette nouvelle série publiée chez Delcourt, est né au Royaume-Uni. Et ce n'est guère une surprise, si à la lecture de ce premier tome de Damn Them All, nous avons l'impression d'avoir sous les yeux une histoire écrite à six mains, avec le renfort de grands esprits comme Garth Ennis ou encore Neil Gaiman. Vous êtes versés dans l'occultisme, vous aimez les histoires de démons, mais aussi toutes celles où le sarcasme, l'humour à froid, occupent une place importante ? Vous allez vous sentir chez vous avec cette production que nous devons à Boom Studios aux States et à Delcourt pour l'adaptation en français. L'anti-héroïne de cet album s'appelle Ellie "Bloody" Hawthorne et c'est une spécialiste du surnaturel. Il faut dire qu'elle a été particulièrement bien formée par un oncle qui l'a sauvée des services sociaux et qui lui a transmis les rudiments du métier. Depuis, ses services sont à louer (même si vous frayez avec la pègre locale) et quand vous faites appel à elle, vous pouvez être certains d'avoir embauché quelqu'un de compétent. Seulement voilà, son oncle Alfie vient de mourir et en parallèle, 72 démons faisant partie de ce que l'on appelle l'Ars Goetia sont parvenus à se libérer d'une sorte de plan astral infernal dans lequel habituellement ils évoluent. Ils peuvent tous se manifester concrètement aux hommes, sans que ces derniers ne doivent en passer par la pratique de longs et fastidieux cérémoniels, même si cela leur en coûte. Il suffit d'avoir un artefact, par exemple une pièce avec le symbole d'un des démons gravé, et vous pouvez ainsi avoir à votre disposition une sorte de djinn personnel, en mesure de satisfaire tous vos caprices. Si vous ne l'avez pas encore compris, c'est quasiment une aventure inédite et décapante de Hellblazer/John Constantine qui vous tend les bras, mais au féminin. Et ça vaut son pesant de grimoires et de sortilèges !
Du Hellblazer au niveau des codes, mais suffisamment original pour s'assurer une vie propre et un second tome qui se devra d'être ambitieux et passionnant, quand on contemple le cliffhanger qui vient conclure le premier. C'est un télescopage assez réussi entre l'univers des mafieux et de la criminalité en col blanc, dans une Angleterre post Brexit où il ne fait pas si bon vivre que ça, et de l'horreur et du mysticisme, qui restent tout de même la pierre angulaire sur laquelle Spurrier construit la succession des événements. Très intéressant le fait que ses démons soient tout sauf des créatures surpuissantes et vouées à faire le mal et s'en délecter. Ici, ils souffrent, n'apprécient guère de frayer avec ces humains misérables qui se glorifient de pouvoir les convoquer et s'en servir comme des animaux de compagnie. Il existe un Club 500, un groupe très select, qui n'est pas pour rien dans tout ce qui advient le long de ces six épisodes, mais l'usage de la magie est toujours lié à un prix à payer, au point que ce ne sont pas les plus compétents qui s'en sortent le mieux, mais ceux qui sont sans scrupule, les "salopards" en somme. S'il faut trouver un petit défaut à Damn Them All, ce serait du côté de la verbosité du texte. Entre le narrateur et ses considérations et les nombreux dialogues à rallonge, les planches sont par moments surchargées et l'action se trouverait soulagée d'un peu plus de légèreté, de souplesse. D'autant plus que Spurrier recourt aussi à de nombreuses pages de texte, ces infographies (à la Hickman) qui sont très tendance en ce moment, et qui ne sont pas ma tasse de thé. Mais Charlie Adlard, mondialement auréolé du succès monstre de Walking Dead, livre une prestation quasi parfaite, maniant l'horreur, le grotesque, la caractérisation de chaque personnage (et de chaque démon) avec une science remarquable, épaulé par les couleurs pertinentes de Sofie Dodgson, qui parvient à conserver une atmosphère tamisée voire assez sombre, tout en créant des contrastes servant à merveille les intentions du dessinateur. Vulgaire et drôle, intrigant et intelligent, un titre qui a de quoi séduire pour peu qu'on lui laisse sa chance.
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