L’homme miroir (Simon Lamouret – Editions Sarbacane)
Une jolie petite maison à la campagne avec un grand jardin à seulement 25.000 euros, c’est une aubaine. Du coup, Elise décide de l’acheter sur un coup de tête, sans prendre le temps de la visiter. Il faut dire que cette quadragénaire un peu déprimée a envie d’un nouveau départ. Fraîchement séparée du père de son fils Antoine, elle veut changer d’air et mettre derrière elle son métier très citadin et stressant de productrice dans le monde de la télévision. Mais en arrivant dans le village de La Roseraie, où se trouve cette fameuse « dépendance de maison de maître » qu’elle vient d’acquérir, Elise se rend compte qu’elle a sous-estimé la quantité de travail à abattre pour refaire de cette maison un endroit habitable. Comme le précisait l’annonce, « la propriété est encombrée ». Un doux euphémisme car en réalité, ça déborde de partout. Inhabitée depuis le départ de son précédent propriétaire il y a 30 ans, la maison est restée exactement comme elle l’était à l’époque, avec ses meubles, ses tapisseries, ses peintures, ses livres, ses objets de décoration… Il reste même une vieille 2CV dans le garage! Heureusement, Elise peut compter sur l’aide de Philippe et Rachel, ses parents, qui acceptent de venir lui donner un coup de main pour vider la maison et la remettre en état. Le problème, c’est que Philippe se montre davantage intéressé par la réparation de la 2CV que par celle de la salle de bain, tandis que Rachel, contrairement à Elise, n’a pas du tout envie de jeter à la poubelle les objets qui se trouvent dans la maison. Elle est surtout très intéressée par les peintures, qui lui rappellent sa jeunesse, lorsqu’elle rêvait elle-même de devenir artiste. Quant à Antoine, le fils d’Elise, il est fasciné par les tableaux un peu énigmatiques sur les murs, qui titillent son imagination. Petit à petit, alors que chacun vit à sa manière la découverte de ce nouvel environnement, le portrait de l’ancien propriétaire se dessine, chacun projetant un peu de lui-même dans cet homme et dans ce qu’ils s’imaginent avoir été sa vie. Mais qui était-il vraiment?
Décidément, Simon Lamouret est un auteur surprenant. Quatre ans après avoir raconté avec beaucoup de talent la construction d’un immeuble en Inde dans « L’Alcazar », un album magnifique et singulier, il est de retour avec une nouvelle bande dessinée tout aussi inattendue. Dans « L’homme miroir », le personnage principal est effectivement pour le moins inhabituel, puisqu’il s’agit d’une maison. En tant que lecteur, on est désarçonné par moments, étant donné qu’on navigue sans cesse entre réel et imaginaire et entre passé et présent, mais on se laisse facilement embarquer par ce récit doux-amer, qui plaira à coup sûr aux lecteurs nostalgiques et mélancoliques. Si le charme opère, c’est notamment parce que tout le monde peut facilement imaginer ce que l’on ressent lorsqu’on se retrouve dans une maison restée dans son jus depuis 30 ans, mais qui déborde de souvenirs d’une vie passée. C’est ce qui explique d’ailleurs le titre de cette bande dessinée: chacun des protagonistes de l’histoire projette ses désirs, son imagination, ses regrets dans les objets et la vie de l’ancien propriétaire, un peu comme s’ils se regardaient dans un miroir. Graphiquement aussi, « L’homme miroir » est un livre remarquable, à l’image de sa couverture entièrement jaune, dans laquelle se découpe la silhouette d’un homme. On peut d’ailleurs littéralement détacher cette silhouette du livre, permettant ainsi de découvrir ce qui se cache derrière. La forme coïncide donc avec le fond, puisque « L’homme miroir » est un récit qui dévoile l’intime. C’est également une BD très dense, Simon Lamouret accordant beaucoup d’attention aux détails. Et pour bien mettre en valeur ses dessins, il utilise des couleurs vives et intenses. C’est ce qui permet à sa fameuse maison de prendre vie sous nos yeux, un peu comme il l’avait fait avec sa tour en Inde dans « L’Alcazar ». Après avoir vécu quelques années à Bangalore, où il enseignait le dessin, l’auteur français a réalisé cet album dans son atelier toulousain. Mais finalement, que ce soit en France ou à l’autre bout du monde, il aborde encore et toujours le sujet qui l’intéresse le plus: l’humain.