En deux mots
Sophie et Arpad ont tout du couple modèle, une bonne situation, une belle maison dans la banlieue genevoise, deux enfants. Mais quand le vernis se craquèle et que leur passé refait surface, l'image devient nettement plus sombre, avec en point d'orgue un braquage qui va tout faire exploser.
Toujours aussi machiavélique, Joël Dicker nous revient avec un roman savamment construit autour d'un couple modèle jalousé par ses voisins pour sa réussite insolente. Mais peu à peu, leur lourd passé va les rattraper.
Deux couples s'installent à Cologny, la banlieue chic de Genève. Mais si tous deux passent d'un appartement en ville à une maison avec jardin, leur perception de leur nouveau chez soi est bien différente. Sophie et Arpad se sentent parfaitement à l'aise dans leur villa contemporaine aux larges baies vitrées, la dernière de la rue avant la forêt. Le banquier et l'avocate, entourés de leurs deux enfants ont tout du couple parfait. Pour Karine et Greg le déménagement s'avère un peu plus difficile. Grâce à un héritage, Greg a pu s'offrir l'un des pavillons en construction. Mais ces constructions ne plaisent pas trop au voisinage qui va les surnommer la verrue, une appellation qui accentue le malaise de Karine. La vendeuse dans une boutique de vêtements de la rue du Rhône et l'agent des forces spéciales se sentent un peu marginalisés. Mais fort heureusement, à l'occasion des 40 ans d'Arpad, ils sont invités à la fête et vont nouer des liens d'amitié avec leurs séduisants voisins. Sophie va régulièrement voir Karine qui travaille tout prêt de son cabinet et l'emmène en ville à chaque fois qu'elle la voit attendre son bus.
Sophie qui fascine Greg au point d'adapter ses séances de jogging et ses promenades avec son chien pour pouvoir l'épier, s'imaginer à la place d'Arpad. Ses petites séances d'espionnage vont se multiplier jusqu'au jour où Sophie comprend que quelqu'un la regarde et donne l'alerte. Greg réussira à s'enfuir avant de pouvoir être reconnu.
Comme à son habitude, et avec une précision de montre suisse, Joël Dicker agence son roman entre passé et présent, dévoilant au fur et à mesure de nouveaux aspects de chacun des protagonistes. Des erreurs de jeunesse aux obsessions qui les hantent, de serments trop vite oubliés aux arrangements avec la loi, sans oublier les pulsions sexuelles, on va petit à petit voir se modifier l'image un peu trop lisse que chacun veut donner de lui-même.
Machiavélique, cette histoire qui tourne autour d'un braquage annoncé dès les premières pages et qui nous tiendra en haleine jusqu'à l'épilogue, offre au romancier une nouvelle occasion de nous prouver sa virtuosité à agencer avec soin ses mécaniques de précision. Jusqu'à nous entraîner sur des chemins de traverse, par exemple quand il s'agit de retrouver l'origine de la panthère tatouée sur la jambe de Sophie jusqu'à remonter les siècles jusqu'à un excentrique aristocrate italien ou encore lorsqu'il nous suggère de relire Le Maître et Marguerite de Boulgakov.
Une fois encore, on se régale!
Un animal sauvage
Joël Dicker
Éditions Rosie & Wolfe
Roman
416 p., 23 €
EAN 9782889730476
Paru le 27/02/2024
Où?
Le roman est situé principalement en Suisse, à Genève et Cologny. On y évoque aussi des séjours à Saint-Tropez, Nice, Menton, Fréjus, Draguignan, Paris, San Remo, Saragosse et Londres pour finir sur un ferry entre la Finlande et l'Estonie.
Quand?
L'action se déroule de 2007 à 2022.
Ce qu'en dit l'éditeur
Braquage à Genève
2 juillet 2022, deux malfaiteurs sont sur le point de dévaliser une grande bijouterie de Genève. Mais ce braquage est loin d'être un banal fait divers...
Vingt jours plus tôt, dans une banlieue cossue des rives du lac Léman, Sophie Braun s'apprête à fêter ses quarante ans. La vie lui sourit. Elle habite avec sa famille dans une magnifique villa bordée par la forêt. Mais son monde idyllique commence à vaciller.
Son mari est empêtré dans ses petits arrangements.
Son voisin, un policier pourtant réputé irréprochable, est fasciné par elle jusqu'à l'obsession et l'épie dans sa vie la plus intime.
Et un mystérieux rôdeur lui offre, le jour de son anniversaire, un cadeau qui va la bouleverser.
Il faudra de nombreux allers-retours dans le passé, loin de Genève, pour remonter à l'origine de cette intrigue diabolique dont personne ne sortira indemne. Pas même le lecteur.
Joël Dicker présente "Un animal sauvage" sur Télématin © Production France Télévisions
Les premières pages du livre
" Les faits
Le 2 juillet 2022, à Genève, un braquage retentissant défraya la chronique.
Ce livre raconte l'histoire de ce hold-up.
Les deux braqueurs venaient de pénétrer simultanément dans la bijouterie par deux accès différents.
Le premier par l'entrée principale, comme un client ordinaire. Sa tenue élégante avait donné le change à l'agent de sécurité, la casquette et les lunettes de soleil étant de mise en ce mois de juillet.
L'autre, encagoulé, était passé par l'entrée de service, forçant une employée à lui ouvrir la porte sous la menace d'un fusil à canon scié.
Rien n'avait été laissé au hasard : ils avaient eu accès aux plans du magasin, aux horaires du personnel.
Une fois à l'intérieur, la Cagoule avait attaché l'employée dans l'arrière-boutique et avait rapidement rejoint son complice. La Casquette, dès qu'il l'avait aperçu, avait brandi le revolver qu'il gardait à la ceinture et s'était mis à hurler : " C'est un braquage, personne ne bouge ! " Puis il avait sorti un chronomètre de sa poche et l'avait enclenché.
Ils disposaient exactement de 7 minutes.
PREMIÈRE PARTIE.
Les jours qui précédèrent son anniversaire
C'était une maison moderne. Un grand cube, tout en verre, qui se dressait au milieu d'un jardin impeccable, avec piscine et grande terrasse. La propriété était entourée par la forêt. L'endroit était une oasis, un petit paradis secret à l'abri des regards, auquel on accédait par un chemin privé. À l'image de leur maison, ceux qui vivaient ici faisaient rêver : Arpad et Sophie Braun étaient le couple idéal et les parents comblés de deux enfants merveilleux.
Ce matin-là, Sophie ouvrit les yeux à 6 heures pile. Depuis quelque temps, elle se réveillait systématiquement à la même heure. À côté d'elle, Arpad, son mari, était plongé dans un sommeil profond. C'était dimanche, elle aurait voulu dormir encore un peu. Elle se retourna dans le lit, sans succès. Finalement, elle se leva discrètement, passa une robe de chambre et descendit à la cuisine pour se faire un café. Elle allait avoir quarante ans dans une semaine et n'avait jamais été aussi belle.
Depuis l'orée des bois, on voyait parfaitement l'intérieur du cube de verre. Un homme, qui se savait invisible dans ses vêtements de sport sombres, était accroupi derrière un tronc, les yeux rivés sur Sophie, dans sa cuisine.
Sophie, son café à la main, observait la lisière de la forêt qui marquait la fin de son jardin. C'était son rituel du matin. Elle embrassait du regard son petit royaume, sans se douter qu'on l'épiait.
À quelques kilomètres de là, au centre de Genève, une Peugeot grise aux plaques françaises roulait sur une avenue déserte. Dans le jour naissant, on ne distinguait pas son conducteur à travers le pare-brise. Le véhicule attira l'attention d'une patrouille de police. Des gyrophares bleus illuminèrent les façades des immeubles alentour. Les policiers procédèrent au contrôle de la Peugeot et de son conducteur. Tout était en ordre. L'un des policiers demanda au conducteur ce qu'il venait faire à Genève. " Une visite de famille ", répondit-il. Les policiers, visiblement satisfaits, repartirent. Le conducteur se félicita de cette voiture d'occasion, achetée à très bon prix et surtout en toute légalité. C'était le meilleur moyen de passer inaperçu.
Sophie, à la fenêtre, continuait d'observer son jardin. Parfois, elle surprenait un renard qui vagabondait sur la pelouse. Il lui était même arrivé de voir un chevreuil. Elle adorait cette maison, acquise avec son mari une année auparavant. Ils vivaient jusqu'alors dans un appartement au cœur de Genève, dans le quartier de Champel. L'idée d'une maison, avec un jardin pour les enfants, leur trottait dans la tête depuis un moment. La hausse des prix de l'immobilier les avait décidés à vendre leur appartement avec une belle plus-value et à se mettre à la recherche d'une maison. Lorsqu'ils avaient visité cette villa d'architecte située dans la commune huppée de Cologny, ils n'avaient pas hésité une seconde. Ils se réveilleraient tous les matins dans ce cadre enchanteur, tout en étant à quatre kilomètres du centre de Genève où ils travaillaient tous les deux. Quelques arrêts de bus, douze minutes de voiture, quinze minutes de vélo électrique pour les bobos, il n'en fallait pas plus pour passer d'un univers à un autre.
L'homme, caché dans les taillis, observait à présent Sophie à l'aide d'une petite paire de jumelles militaires. Il scrutait son corps élancé que dévoilait sa robe de chambre courte et s'arrêta sur le haut de sa cuisse où apparaissait le tatouage d'une panthère.
Quelques dizaines de mètres derrière lui, son chien attendait patiemment, attaché à un arbre. L'animal, couché sur un tapis de feuilles, semblait habitué à cette routine qui durait depuis maintenant plusieurs semaines. Son propriétaire venait ici tous les matins. À l'aube, il s'installait là et observait Sophie à travers les baies vitrées. Les Braun dormaient les stores ouverts, et il voyait tout : il la regardait se lever, descendre dans la cuisine se faire un café et le boire à la fenêtre. Elle était tellement désirable. Il était obnubilé par elle. Obsédé.
Son café bu, Sophie monta à l'étage et rejoignit la chambre conjugale. Elle se déshabilla et se glissa nue dans le lit où son mari dormait encore.
Depuis la forêt, l'homme la regardait avec envie. La réalité se rappela bientôt à lui. Il devait filer, il devait être de retour chez lui avant que Karine et les enfants ne se réveillent.
Il détacha son chien et repartit comme il était venu : en courant. Il prit le chemin forestier, retrouva la route principale et atteignit rapidement le village de Cologny. Il rejoignit un petit bloc de maisons mitoyennes. Un groupe d'habitations identiques, une résidence bon marché pour familles de la classe moyenne, qui avait fait jaser dans cette commune chic habituée aux villas de luxe.
En franchissant la porte de chez lui, il entendit sa femme l'appeler :
- Greg ? C'est toi ?
Il trouva Karine dans le salon, en train de lire tout en buvant son thé. Les enfants dormaient encore.
- Déjà debout, ma chérie ? s'étonna-t-il, jouant faussement le détachement.
- Je t'ai entendu te lever et je n'ai pas réussi à me rendormir.
- Désolé, je ne voulais pas te réveiller. Je suis allé courir avec le chien.
Greg, qui n'avait que Sophie en tête, rejoignit sa femme sur le canapé et se colla contre elle. Mais Karine n'était visiblement pas d'humeur à ça.
- Arrête, Greg, les enfants vont se réveiller. Pour une fois que je peux bouquiner tranquille.
Greg, déconfit, monta à l'étage prendre sa douche dans la salle de bains attenante à leur chambre à coucher. Il resta un long moment sous le jet d'eau tiède. Ses escapades matinales pourraient lui coûter cher si on le découvrait. Il risquait son boulot. Karine le quitterait. Lui-même éprouvait de la honte à épier ainsi une femme chez elle. Mais il ne pouvait pas s'en empêcher. C'était tout le problème.
Sa fascination pour Sophie avait commencé un mois plus tôt, au cours d'une soirée donnée chez les Braun. Depuis ce soir-là, il n'était plus le même.
*
Greg et Karine auraient pu venir à pied, mais le temps maussade les avait incités à prendre la voiture. Depuis chez eux, le trajet dura à peine trois minutes. De leur maison, ils remontèrent la route de la Capite puis, en suivant l'indication du GPS, ils bifurquèrent sur le petit chemin privé bordé par les bois, qui menait à la maison des Braun.
- C'est fou, releva Greg en découvrant le trajet, je viens souvent courir par ici avec le chien, mais je ne savais même pas qu'il y avait une maison au bout de ce chemin.
C'était la première fois qu'ils venaient chez Sophie et Arpad. L'occasion était une fête organisée pour le quarantième anniversaire d'Arpad. À en juger par les nombreuses voitures garées le long du chemin, il y avait déjà du monde. Greg prit l'un des derniers espaces libres du replat herbeux et ils marchèrent en direction du portail laissé ouvert, dont le dessin métallique détonnait dans la végétation environnante.
Arpad et Greg avaient fait connaissance au club de football local au sein duquel leurs fils, d'âge similaire, jouaient ensemble. Les deux pères de famille faisaient partie de l'équipe des bénévoles en charge de la buvette attenante au terrain de foot qui, les jours de match, permettait de renflouer un peu la caisse du club. Ils avaient rapidement sympathisé.
Karine, elle, ne connaissait pas les Braun. Elle se sentait nerveuse. Elle était facilement mal à l'aise quand elle se trouvait en terrain inconnu. Pour se donner une contenance elle se mit à parler :
- C'est sympa qu'ils nous aient invités.
Greg acquiesça.
- Ils ont invité combien de personnes? demanda-t-elle.
- J'en sais rien.
- Arpad ne te l'a pas dit ?
- Non.
- Mais plutôt une dizaine de personnes ? Une trentaine ? À quoi est-ce que je dois m'attendre ?
- Je ne sais pas. Je ne suis pas le régisseur de la soirée.
- Arpad aurait pu le mentionner au détour d'une conversation.
- Il ne l'a pas fait.
- Vous parlez de quoi quand vous tenez la buvette du club ensemble ?
Greg haussa des épaules :
- Des enfants, de la vie, des banalités... Mais certainement pas des détails de sa fête d'anniversaire.
- En tout cas, dit Karine pour clore cette conversation qui ne menait à rien, c'est sympa qu'ils nous aient invités.
Ils continuèrent de marcher en silence. Il y avait beaucoup de silences entre eux en ce moment. Karine avait la conviction que leur déménagement à Cologny, une année auparavant, ne leur avait pas fait de bien. Jusque-là, ils avaient vécu dans un appartement de location au centre de Genève, dans le quartier des Eaux-Vives. Une rue animée, des commerces à proximité, le lac Léman tout à côté. Un appartement dans lequel ils étaient bien, certes un peu étroit pour leur famille de quatre, mais au loyer imbattable. Et puis il y avait eu ce petit héritage du côté de Greg (sa grand-mère). Depuis qu'il avait touché cet argent, Greg s'était mis à parler comme un petit-bourgeois. Il fallait investir, de préférence dans la pierre, plus sûre que les marchés boursiers. Et puis les banques prêtaient 80 % de la somme nécessaire, avec des intérêts historiquement bas. Il s'était donc mis à éplucher les annonces immobilières et il était tombé sur ce projet à Cologny : des jolies petites villas mitoyennes, à acheter sur plan. C'est vrai que les images faisaient rêver. Une maison à soi, avec un petit morceau de jardin. Une vie à la campagne, à quelques minutes de la ville. Greg affirmait qu'ils ne pouvaient pas se tromper : le marché immobilier n'avait cessé de monter depuis des décennies. Ils avaient donc franchi le pas. Tout s'était enchaîné très facilement. La banque avait prêté l'argent, ils avaient signé l'acte de vente chez le notaire. Et voilà comment, une année plus tôt, ils étaient arrivés dans la très chic commune de Cologny. Mais dès son installation, Karine ne s'était pas sentie à sa place. D'abord, elle avait trouvé que la maison était plus petite qu'elle ne l'avait imaginé : il y avait une grande différence entre les pièces qu'elle s'était représentées sur les plans et la réalité. Elle s'y sentait un peu à l'étroit, alors que la surface était nettement plus grande que celle de leur ancien logement. Elle avait fini par comprendre que son malaise tenait surtout à son nouvel environnement. Car dans cette opulente banlieue de Genève, la plupart des habitants affichaient un succès financier et social insolent : avocats, banquiers, chirurgiens, hommes d'affaires, grands patrons. Les voitures et les villas en disaient long sur la réussite de leurs propriétaires. Karine se demandait sans cesse ce qu'elle et Greg fabriquaient ici, elle vendeuse dans un magasin de mode, et lui fonctionnaire. Son sentiment s'était accentué lorsqu'au détour des conversations elle s'était rendu compte que, parmi les propriétés pour millionnaires, la résidence pour classe moyenne dans laquelle elle et sa famille s'étaient installées faisait tache. Elle avait même découvert, horrifiée, que les habitants de Cologny surnommaient cette petite grappe de maisons la verrue et que le conseil municipal avait été jusqu'à tenir une séance spéciale et approuvé un arrêté pour empêcher à l'avenir toute construction de ce genre.
Tous les jours, après avoir déposé les enfants à l'école, située à quelques minutes à pied, Karine sautait dans le bus A, qui reliait la campagne au centre-ville. En chemin, le bus traversait son ancien quartier des Eaux-Vives. Elle éprouvait alors une pointe de nostalgie. Elle descendait du bus au rond-point de Rive pour rejoindre la rue du Rhône où se trouvait la boutique qui l'employait. Se fondant dans la foule, elle se sentait apaisée.
Greg et Karine franchirent enfin le portail et découvrirent l'intérieur de la propriété. Une cour pavée donnait sur un garage vitré à l'intérieur duquel on pouvait voir deux Porsche. Juste derrière, la maison, toute en verre et au design moderne.
- Ils ne s'emmerdent pas ! siffla Karine. Qu'est-ce qu'ils font déjà dans la vie ?
- Arpad travaille dans une banque, Sophie est avocate.
Ils se présentèrent devant la porte et Greg sonna. Au travers des baies vitrées, ils pouvaient voir la fête battre son plein. Des quadragénaires au look BCBG s'agitaient gentiment sur de la musique du moment, une coupe de champagne à la main.
Karine observa son reflet dans une vitre : elle était classe et élégante, habillée comme toujours avec goût. Pourtant, elle ne se trouvait pas à la hauteur de la soirée. En ce moment, rien n'allait plus. Elle avait quarante-deux ans et le sentiment que sa jeunesse était derrière elle. Son miroir le lui répétait chaque matin.
Puis la porte s'ouvrit et, aussitôt, tant Greg que Karine furent frappés par un électrochoc en découvrant devant eux ce couple extraordinaire venu les accueillir : Sophie et Arpad. Ils représentaient tout ce qu'ils n'étaient plus : amoureux, souriants, rieurs, bras dessus bras dessous. Un duo. Des alliés.
Arpad, splendide, chic et décontracté en même temps, vêtu d'un pantalon italien parfaitement coupé et d'une chemise à la blancheur éclatante, dont les derniers boutons, restés ouverts, laissaient deviner un torse musclé.
Sophie, elle, portait une robe noire divine, courte sur les cuisses, sexy en diable, qui sculptait sa poitrine ferme, tout en révélant ses jambes magnifiques qu'allongeaient davantage ses escarpins Saint-Laurent.
Voir Sophie et Arpad, ce soir-là, c'était recevoir la foudre.
Karine et Greg furent accueillis chacun par une accolade joyeuse suivie d'embrassades, avant d'être entraînés à l'intérieur de la maison et présentés aux autres invités. Arpad leur servit du champagne, puis Sophie attrapa Karine par la main pour aller la présenter à ses amies. Karine, soulagée et soudain parfaitement à l'aise, but d'un trait sa coupe. Sophie la lui remplit aussitôt. Elles trinquèrent ensemble.
Karine était sous le charme. Quelques minutes plus tôt, devant la porte d'entrée, elle condamnait d'avance Sophie et Arpad pour le crime de leur maison, de leurs voitures, de leurs existences. Elle avait été trompée par les apparences. Elle les avait imaginés hautains, cassants, puants. Ils étaient tout le contraire. Ils dégageaient une chaleur et une douceur sans pareilles.
Ce soir-là, pour la première fois depuis qu'elle était arrivée à Cologny, Karine fut véritablement heureuse. Elle dansa, elle s'amusa, elle se trouva belle. Elle se sentit à sa place. L'espace d'une soirée, elle s'aima à nouveau.
Mais cette rencontre était en réalité une collision. Un choc frontal. Un accident dont personne n'avait saisi l'ampleur. Sauf Greg, et pour cause. Depuis qu'il était entré dans cette maison, il ne pouvait plus détacher son regard de Sophie. Il était électrisé. Ce n'était pourtant pas la première fois qu'il la voyait, mais il la découvrait sous un jour nouveau. Au bord du terrain de football ou à la boulangerie du village, il n'avait pas pris la mesure de sa beauté, de cette animalité qui se dégageait d'elle.
Tandis que Karine s'amusait et enchaînait les coupes de champagne, Greg, parfaitement sobre, passa la soirée à épier Sophie. Tout ce qu'elle faisait le fascinait : sa façon de parler, de sourire, de danser, de toucher l'épaule de son interlocuteur. Aux alentours de minuit, lorsque ce fut le moment du gâteau, il la regarda regarder Arpad et il aurait voulu être lui. Elle s'accrocha à son cou, l'embrassa longuement et l'aida à couper les premières parts. Puis, devant tout le monde, elle lui apporta un paquet-cadeau. Arpad sembla surpris, il le fut encore plus lorsqu'il découvrit, sous l'emballage, un coffret Rolex. Il l'ouvrit et en sortit une montre en or. Elle la lui enfila autour du poignet. Il regarda la montre, totalement stupéfait. Puis il murmura quelque chose à l'oreille de sa femme et l'embrassa encore. Leur complicité faisait rêver.
Vers une heure du matin, alors que la fête était à son apogée, Greg ne vit plus Sophie dans la petite foule des convives. Il se mit aussitôt en chasse et la débusqua dans la cuisine, où elle mettait des verres dans le lave-vaisselle. Il voulut l'aider, mais dans un geste maladroit il heurta un verre qui se brisa sur le sol. Il se précipita pour ramasser les morceaux épars, et comme elle s'accroupissait à côté de lui pour faire de même, sa robe remonta et dévoila, sur sa cuisse, un tatouage de panthère. Greg était complètement envoûté. Pire : il venait de tomber amoureux.
- Je suis vraiment désolé, lui dit-il. Je voulais aider et voilà le résultat...
- Il n'y a pas de mal, le rassura-t-elle en souriant.
*
Sous la douche, un mois après cette soirée d'anniversaire, Greg repensait à ce que Sophie lui avait dit : " Il n'y a pas de mal... ", mais le mal était en lui. Le lendemain de la fête, en se promenant dans la forêt avec Sandy, leur golden retriever, il avait découvert qu'il pouvait rejoindre la propriété des Braun en passant par les bois. De là, on avait une vue imprenable sur l'intérieur du cube de verre. Greg n'avait pas pu s'empêcher d'observer la famille Braun installée dans son salon. Il était revenu le lendemain à l'aube, à la faveur de son jogging avec le chien. Il avait vu Sophie debout à la fenêtre. Depuis, il revenait tous les matins.
Sa douche terminée, Greg s'habilla et descendit à la cuisine. Entre-temps, ses enfants s'étaient levés et prenaient leur petit-déjeuner. Il les embrassa, s'installa à table et s'efforça, comme tous les matins depuis un mois, de se convaincre que tout irait bien et que sa place était ici, avec eux.
Mais dans exactement vingt jours sa vie allait basculer.
Samedi 2 juillet 2022.
Le jour du braquage.
9 heures 31
La Cagoule repoussa le vendeur et le directeur du magasin dans l'arrière-boutique. La Casquette força l'agent de sécurité à verrouiller la porte du magasin avant de l'entraîner à son tour à l'abri des regards. Si quelqu'un passait devant la vitrine, il ne verrait qu'un magasin vide.
Encore 6 minutes.
C'était un ballet parfaitement orchestré.
La Cagoule tenait en respect les otages du bout de son fusil à canon scié, tandis que la Casquette passait des colliers de serrage en plastique autour des poignets et des jambes du vigile et du vendeur. Le seul à ne pas être saucissonné était le directeur du magasin. Les braqueurs savaient exactement ce qu'ils faisaient.
La Casquette l'entraîna avec lui et l'emmena jusqu'au coffre principal, tandis que la Cagoule surveillait les deux otages dans la pièce.
Il restait encore 4 minutes.
Il ne reviendrait plus jamais à Saint-Tropez.
Cet endroit qu'il avait tant aimé, il le quittait pour toujours. Il ne pouvait plus rester ici, c'était trop risqué.
En quelques heures, Arpad venait de tirer un trait sur une partie de sa vie. Il allait disparaître vite et bien, sans laisser de traces.
Il avait commencé par son appartement. À la petite vieille qui lui louait un meublé au-dessus de chez elle, il avait fait valoir un " impératif familial ". Elle n'avait pas posé de questions et s'était surtout empressée d'accepter les deux mois de loyer qu'il lui avait apportés dans une enveloppe en guise de préavis. Puis il avait vidé les lieux et entassé tout ce qu'il possédait dans sa petite voiture.
Il s'était ensuite rendu au Béatrice, l'un des hauts lieux de la nuit tropézienne, où il travaillait depuis une année. Il supervisait toute la partie bar et accueil de ce restaurant branché qui se métamorphosait en club au fil de la soirée. Au gérant de l'établissement, il raconta qu'il venait de décrocher un emploi dans la finance : une offre qu'on ne pouvait pas refuser. Le gérant avait été très compréhensif. " Arpad, tu n'as pas à t'excuser. Tu as été à l'université pendant cinq ans. Je n'avais encore jamais vu un responsable du bar diplômé en économie. Tant mieux pour toi. Mais j'aurais aimé que tu me dises que tu cherchais un job en parallèle, que je puisse commencer à recruter un remplaçant. "
Au Béatrice, il espéra voir Sophie, mais elle n'était pas encore là. Comme il ne parvenait pas à la joindre par téléphone, il arpenta les rues de Saint-Tropez à sa recherche. En vain. Tant mieux, au fond : elle n'aurait avalé aucun de ses mensonges. Il devrait peut-être renoncer à elle pour la protéger.
Son dernier arrêt dans la région fut dans une station-service où il fit le plein. Pendant qu'il remplissait le réservoir d'essence, il copia dans un calepin deux numéros : celui de Sophie et celui de Patrick Müller, un banquier suisse, rencontré au Béatrice, qui pourrait certainement lui être utile. Lorsque ce fut fait, il détruisit sa carte SIM et se débarrassa de son téléphone en l'abandonnant dans une poubelle. On ne le retrouverait plus.
Il rejoignit ensuite l'autoroute. Direction nord.
Il ne reviendrait plus.
C'est ce qu'il croyait.
À propos de l'auteur
Joël Dicker est né en 1985 à Genève où il vit toujours. Ses romans sont traduits dans le monde entier et sont lus par des millions de lecteurs. Son œuvre a été primée dans de nombreux pays. En France, il a reçu le Prix Erwan Bergot pour Les derniers jours de nos pères, puis le Prix de la vocation Bleustein-Blanchet, Le Grand prix du roman de l'Académie française et le Prix Goncourt des lycéens pour La vérité sur l'affaire Harry Quebert. Ce roman a aussi été élu parmi "les 101 romans préférés des lecteurs du monde" et a été adapté en série télévisée par Jean-Jacques Annaud. Il a publié en 2015 Le livre des Baltimore, en 2018 La Disparition de Stéphanie Mailer, en 2020 L'Énigme de la chambre 622 et en 2022 L'Affaire Alaska Sanders. Un animal sauvage, paru en 2024 est son second roman publié au sein de sa propre maison d'édition Rosie & Wolfe.
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