En deux mots
Après la mort de son ami Gabriel qui n’a pas pu tenir sa promesse et lui faire découvrir son Liban natal, la narratrice décide partir pour Beyrouth sur les traces de la maison qu’il voulait lui faire découvrir. Le temps et la guerre ont laissé de lourds stigmates, mais elle va finir par retrouver tout ce que Gabriel a laissé derrière lui.
Ma note
★★★ (bien aimé)
Ma chronique
Une maison au Liban
Dans ce court et bouleversant roman, Arielle Meyer MacLeod raconte la douleur de l’exil autour du voyage de la narratrice au Liban. Après la mort de son ami, elle part pour Beyrouth afin de retrouver son histoire, sa maison.
Ce roman est né d’une pulsion, d’une envie soudaine, sans doute un besoin. Après les obsèques de son ami Gabriel, mort après avoir lutté en vain contre sa maladie, la narratrice prend un billet à destination de Beyrouth. Elle entend tenir post-mortem la promesse qu’il lui avait faite, lui faire découvrir son pays natal et sa maison. Des lieux qu’il n’a jamais revus depuis son exil en France. Cet exil qui les avait tous deux rapprochés: «Nous partagions cette nécessité, vitale et impérieuse, de garder toujours un pied dehors lorsque nous foulions de nouveaux territoires.»
En arrivant à Beyrouth, elle est à la fois triste de découvrir une ville défigurée par la guerre et l’explosion du port qui ont laissé de douloureux stigmates et heureuse de humer l’air de ce pays fantasmé depuis la France et qui a gardé une part de sa beauté, de ses parfums. Peut-être aussi ce goût de l’enfance qui laisse à l’imagination la liberté de s’appuyer sur des rêves. Comme celui de Gabriel décrivant sa maison, son palais. Mais comment retrouver une construction plus imaginaire que réelle, re-construite des dizaines de fois pour son amie? Car, il y a «des maisons qui sont des ancres, des maisons matrices auxquelles s’accrocher. Des maisons-récits, des havres réels ou fantasmés vers lesquels revenir.» Pour les trouver, il faut laisser sa part au hasard et la chance guider vos pas. Elle va se personnifier dans Nassim, un chauffeur de taxi à l’optimisme chevillé au corps. Lorsqu’il s’engage sur les routes de montagne vers le village de Bhamdoun, il est sûr de parvenir à retrouver cette belle demeure. Promesse tenue, même s’il ne reste que quelques murs, quelques pierres, quelques traces de la demeure. À l’image de Gabriel, elle retourne à la poussière, ne vit plus que dans le souvenir de ceux qui ont pu la contempler.
Comme l’avait fait son père, parti trop vite, c’est avec les mots que Gabriel avait réussi à conserver la splendeur de sa maison, à adoucir son exil. Les mots qui disent la douleur de l’exil en sublimant la beauté du lieu. «Je voudrais coudre ces histoires — l’histoire d’une maison et celle d’une lettre —, assembler les pièces manquantes». Et si quelques clichés accompagnent le texte, c’est parce qu’ils réussissent, comme l’affirme la citation de W. G. Sebald en exergue du livre, à faire apparaître «sorties du néant pour ainsi dire, les ombres de la réalité, exactement comme les souvenirs qui surgissent en nous au milieu de la nuit».
C’est en creusant l’intime dans ce qu’il a de plus fort qu’Arielle Meyer MacLeod atteint l’universel. Avec une écriture toute en pudeur et en finesse, elle donne ses lettres de noblesse à une humanité qui conserve par-delà les drames un souffle de vie. Alors souffle le vent de l’espoir, des montagnes du Liban jusqu’au cœur des exilés.
NB. Tout d’abord, un grand merci pour m’avoir lu jusqu’ici! Sur mon blog vous pourrez, outre cette chronique, découvrir les premières pages du livre. Vous découvrirez aussi mon «Grand Guide de la rentrée littéraire 2024». Enfin, en vous y abonnant, vous serez informé de la parution de toutes mes chroniques.
Vues d’intérieur après destruction
Arielle Meyer MacLeod
Éditions Arléa
Roman
96 p., 17 €
EAN 9782363083623
Paru le 1/02/2024
Où?
Le roman part de France pour aller jusqu’au Liban, à Beyrouth et dans les environs jusqu’au village de Bhamdoun. On y évoque aussi Genève, Tel-Aviv et le Vaucluse.
Quand?
L’action se déroule de nos jours.
Ce qu’en dit l’éditeur
Un matin, sur un coup de tête, sans avertir personne – je n’ai envoyé un texto à ma fille qu’une fois arrivée sur place – j’ai pris un billet sur internet, fourré quelques affaires dans une valise, rédigé une réponse automatique sur mon mail professionnel, un laconique Absente je ne répondrai que dans quelques jours, et je suis partie, seule, pour Beyrouth.
Gabriel, l’ami de toujours, meurt sans avoir tenu sa promesse: emmener la narratrice au Liban, où il est né, où il a grandi, où il n’est jamais retourné. Mue par un élan qu’elle ne comprend pas elle-même, elle entreprend alors seule ce voyage, à la recherche de la maison d’enfance de Gabriel dont elle ne sait que ce qu’il lui en a raconté.
Ce voyage sur les traces d’un passé dont ne subsistent que des ruines, d’une affolante beauté, va la mener face aux non-dits de sa propre histoire.
Ce roman est une enquête intime qui, de lettres en photographies retrouvées, fait émerger des maisons marquées par l’exil et le déracinement.
Les critiques
Babelio
Lecteurs.com
RTS (Vertigo)
Actualitté (Sean Rose)
Mare Nostrum (Jean-Jacques Bedu)
Les premières pages du livre
« En jetant une pivoine blanche dans le trou béant où le cercueil venait d’être déposé, une pivoine charnue, en pleine maturité, sa fleur préférée – Gabriel en tapissait son intérieur pendant les quinze jours annuels de la floraison, des gerbes de pivoines blanches partout dans des vases chinés ici et là dont il faisait collection, de celles qui ne cessent de se déplier et se déplier encore, découvrant de nouveaux pétales alors qu’on les pense tous éclos, leur cœur d’une générosité inépuisable les multipliant à foison –, en jetant cette dernière pivoine dans la fosse où maintenant il gisait j’entendais cette phrase, promesse non tenue, ultime dérobade, Tu verras, quand nous irons ensemble à Beyrouth, je te montrerai la maison de mon enfance. Gabriel avait quitté le Liban en 1978 et n’y était jamais retourné. Il m’en parlait des soirées entières, les histoires devenant de plus en plus abracadabrantes avec le nombre de margaritas ingurgitées. Histoires de vie et de guerre, de fêtes hallucinantes, elles se transformaient, un détail ici un autre là – fruits de son imagination sans doute mais je m’en fichais, j’aimais les histoires de Gabriel. Je le prenais parfois en flagrant délit d’incohérence, il trouvait toujours la parade et s’en sortait d’une pirouette qui me faisait rire bien sûr – Gabriel était drôle – mais qui avait aussi le don de m’exaspérer, cette façon bien à lui de vous filer entre les doigts. Au cœur de ces histoires se tenait, immuable, la maison de famille où il passait ses étés. La maison de la montagne. Elle en était l’horizon immobile, le point de fixation. Le foyer vers lequel toujours le récit revenait. Ses aventures avaient beau l’en éloigner, les péripéties s’accumuler, le dénouement, invariablement, l’y ramenait. Une maison pleine de souvenirs dont il avait fait le leitmotiv décliné à l’envi d’une épopée dont il était à la fois le dépositaire et le conteur infatigable. Gabriel était mon ami. Il était sculpteur. Gabriel est mort sans revoir Beyrouth, où il a grandi, où il ne m’a jamais emmenée. Beyrouth dont le seul nom – ses inflexions molles mâtinées de rugosité – me touchait, évoquant un lieu inabordable, un territoire de légendes auréolé d’une aura mystérieuse, connu des seuls initiés. Un mirage – une image, floue. Beyrouth la magnifique – Paris levantine au cœur de la Suisse du Moyen-Orient. Beyrouth la massacrée, dont j’entendais les échos de la guerre lorsque, enfant, je vivais en Israël, n’en saisissant pas grand-chose. Un nom où résonnaient des bruits d’obus. Et dans les yeux des soldats revenus de cette guerre, l’effroi de Sabra et Chatila que j’ai mieux compris en voyant des années plus tard Valse avec Bachir. Beyrouth dont j’avais croisé la violence et l’attachant murmure dans les livres, des récits marquants. Beyrouth la résiliente, qui s’était relevée de ses cendres et dansait à nouveau dans les quartiers branchés vantés par les magazines.
Après sa mort, il y eut d’abord le temps arrêté, ce temps du deuil où l’intensité des émotions le dispute à la peine, une parenthèse pendant laquelle je m’étais retrouvée dans la sidération d’un événement que je savais pourtant inéluctable – je l’invoquais même tant sa souffrance, les derniers jours, était devenue intolérable. Sa mort me frappait néanmoins avec la violence d’un coup que je n’aurais pas vu venir. À l’hôpital je répétais les mêmes gestes – humecter ses lèvres desséchées, tenir sa main piquée d’un cathéter, gérer le flux de morphine quand la douleur déformait ses traits et augmentait les râles. Lui parler aussi, évoquer nos souvenirs communs, les moments drôles surtout et cette soirée où, étudiants encore, nous nous étions rencontrés. Le Moyen-Orient – nous avions chacun le nôtre – nous avait immédiatement rapprochés.
Le sentiment de l’exil aussi, cet état de flottement que nous connaissions bien, qui nous maintenait en permanence sur le côté, au bord, à la marge – tout désir d’appartenance (à un clan, une chapelle, une bande, une communauté) se doublant aussitôt d’un mouvement de retrait. En être et ne pas en être. Nous partagions cette nécessité, vitale et impérieuse, de garder toujours un pied dehors lorsque nous foulions de nouveaux territoires.
Mais lui, Gabriel, avait un port d’attache, un endroit où revenir en pensée et s’ancrer depuis l’exil – cette maison dont il m’avait tout de suite parlé – alors que je suis, moi, une exilée de nulle part. Les amis – nombreux, Gabriel connaissait un nombre incalculable de gens – étaient venus de partout. Certains logeaient à la maison. Pour les uns Gabriel était le camarade d’enfance, pour les autres l’amour fou, la sensualité d’une nuit, la passion impossible, pour d’autres encore le frère réincarné, l’artiste admiré ou le compagnon de fête. Gabriel habitait mille vies et sans doute plus. Des vies publiques, d’autres secrètes. Il avait le goût de la nuit dans laquelle parfois il m’embarquait, et je l’accompagnais dans les hauts lieux de la culture gay où il rejoignait ses amants, toujours différents, je n’arrivais pas à suivre la valse des amants de Gabriel, il y avait les rencontres d’un soir ou d’une heure parfois, les amants de passage et les grandes romances toujours intenses et compliquées, le plus souvent platoniques celles-là, semées d’embûches qu’il semblait rechercher autant qu’elles le faisaient souffrir.
Gabriel se moulait dans le désir de l’autre tout en restant insaisissable. Il avait la faculté de se mouvoir avec la même aisance dans les milieux les plus disparates vers lesquels sa curiosité le menait et partout, quelles que soient les circonstances, il exerçait aussitôt une séduction dont il jouait, avec malice parfois. Tu es une surface de projection sur laquelle chacun vient plaquer son propre fantasme, je lui disais, stratégie assez efficace qui te permet d’échapper à tout le monde. Il riait.
Et puis l’enterrement. L’atmosphère lourde et dense, oppressante. Le soleil n’avait pointé le bout d’un rayon qu’au moment de la mise en terre, immobilisant soudain la pluie qui n’avait cessé depuis le matin, une pluie fine et sale qui bavait sur les yeux et fanait toutes les fleurs, les gerbes de fleurs recouvrant son cercueil. Mes mots d’adieu devant la tombe encore ouverte, une oraison que je n’ai pu terminer, où la maison forcément apparaissait – comment parler de Gabriel sans l’évoquer. Les larmes, la pluie, la morve coulaient sur mon visage, je m’essuyais du revers de la main. Et cette boule compacte dans ma gorge, étouffant mes derniers mots ravalés en un galimatias inaudible. »
Extraits
« Je voudrais coudre ces histoires — l’histoire d’une maison et celle d’une lettre —, assembler les pièces manquantes. Je ne sais quel fil, lien, corde, pourrait les tenir ensemble — feuille caillou ciseaux, un deux trois, je me souviens de ce jeu d’enfants, la feuille désarme la pierre en l’enveloppant. » p. 49
« Il y a des maisons qui sont des ancres, des maisons matrices auxquelles s’accrocher. Des maisons-récits, des havres réels ou fantasmés vers lesquels revenir. Toutes me fascinent, toutes me sont étrangères. » p. 85
À propos de l’autrice
Après avoir été formée comme comédienne à l’École de la Rue Blanche à Paris, Arielle Meyer MacLeod a poursuivi ses études de Lettres à l’Université de Genève, où elle a décroché un doctorat en 1999. Avant de revenir au théâtre en se spécialisant en dramaturgie, elle a enseigné dans deux universités. Autrice de plusieurs articles ainsi que du Spectacle du secret (Droz, 2003) et de Tourner la page (avec Balzac), elle réside et travaille à Genève. Vues d’intérieur après destruction est son deuxième roman. (Source: Éditions Arléa)
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