Récitatif est la seule nouvelle écrite par Toni Morisson, écrivaine de haut vol, prix Nobel de Littérature, qui ne laissait, jamais mais au grand jamais, rien au hasard.
Toni Morisson présente deux fillettes Twyla et Roberta, deux itinéraires de vie qui se rencontrent lors d'un séjour de quatre mois dans un foyer, et qui n'auront de cesse de se recroiser, au gré des événements politiques et sociaux, rencontres qu'elles mettront à profit pour éclaircir un traumatisme de leur passé commun.
Dans Récitatif, Toni Morisson met au défi ses propres lecteurs et leurs préjugés, préjugés sur la couleur de peau et le déterminisme social. De Twyla et de Roberta, on ne connaît que leurs différences de couleur de peau et de mère, puis de leurs itinéraires de vie et de leurs convictions politiques. Avec subtilité, Toni Morisson distille quelques détails suffisamment précis pour qu'on comprenne les enjeux de l'évolution sociétale (la fin d'une ségrégation scolaire, les séparatismes sociaux) mais imprécis pour déterminer l'appartenance à tel ou tel groupe ethnique (et là, le grand art de Toni Morisson est de laisser actionner les représentations de chacun, moi la première qui suis tombée dans le panneau des désignations... quand Toni Morisson assure l'identité de ses deux héroïnes non plus par leur couleur de peau mais par leurs liens familiaux, leurs lieux de vie, leur personnalité...un peu comme un CV anonyme qui permet de s'intéresser avant tout à l'être intérieur sans connaissance de son adresse, de son visage etc). Et ce traitement est génial parce qu'il permet de revisiter la notion d'identité, qu'il universalise son propos et qu'il lie le fond et la forme : il biaise le physique et les stigmatisations souvent ancrées pour s'atteler surtout au comportement, à l'intrinsèque de la personne, ce qui l'a façonnée, ce qui la façonne.
Récitatif offre aussi une revisite d'un conflit scolaire, celui de décloisonner les quartiers et d'assurer une plus large mixité des esprits, des visages, d'une société. Cette nouvelle riche aborde aussi le déclassement social et les jeux de pouvoir entre dominants et dominés, sur l'humain comme sur l'économie : édifiant.
Un seul bémol : une fin ouverte et frustrante, qui manque de corps par rapport au reste et relègue l'ultime secret aux calendes grecques.
Une lecture passionnante, accompagnée d'une étude éclairante et documentée de Zadie Smith. À lire absolument et à étudier pour sa richesse littéraire.
Éditions 10/18.
Traduction de Christine Laferrière