Où il est aussi question de l'évolution d'un média et de sa pénétration dans la culture commune mondiale. Car il faut bien le dire, dans les années 1980, il n'était pas forcément évident de revendiquer une passion pour les bandes dessinées super-héroïques, sous peine d'être taxé de geek, nerd... en tous les cas, quelqu'un dont la vie personnelle et sociale n'a rien de reluisante et qui se contente de suivre les aventures de personnage musclés en costumes moulants, presque comme s'il s'agissait de sublimer une pulsion homosexuelle (d'ailleurs, l'auteur s'amuse avec cela à plusieurs reprises, dans cet ouvrage). Et puis, au tournant des années 1990, avec l'explosion du marché des collectionneurs et la démocratisation du genre, tout à coup tout le monde a commencé à parler des super-héros. Aujourd'hui, ils font partie de la culture populaire sur une grande partie du globe et c'est ne pas les connaître qui vous remiserait presque au ban de la communauté. Daniel Clowes a connu tout cela et il s'en amuse extrêmement avec Pussey !, qui est le parcours d'un auteur de bande dessinée contraint d'opérer au service de studios peu scrupuleux, pour placer des histoires qu'il considère lui-même comme absurdes. Ce qui l'intéresse vraiment, c'est la bande dessinée indépendante, être capable de créer des histoires uniques et qui sortent des sentiers battus. Mais là encore, pour y parvenir, les obstacles sont nombreux et le lecteur aura l'occasion de très souvent sourire, voire de franchement rigoler. Dan Pussey va faire la rencontre de toute une galerie de personnages déjantés, abjects ubuesques, frustrés, qui incarnent à la perfection les contradictions et toute la bêtise d'un microcosme en évolution. En remettant en cause les fondements même de notre passion, en allant gratter dans le moteur pour mettre à nu les mécanismes de la production même de la bande dessinée super-héroïque sérielle, Clowes entame une réflexion très pertinente et dans le même temps très réjouissante et divertissante sur un métier à part.
Dan Pussey, c'est la grandeur et décadence d'un artiste, anti autoportrait fictif de Daniel Clowes, de ses années de formation, adolescent en rébellion perpétuelle, jusqu'à la recherche d'une place au soleil et même jusqu'au décès du dessinateur, qui après avoir connu la gloire a replongé dans l'anonymat, victime des nouvelles générations. C'est toute une trajectoire qui se déploie devant nous avec à chaque fois un humour décapant, qui vient souligner tous les travers du monde de l'édition de la bande dessinée super-héroïque : chacun en prend pour son grade, aussi bien ceux qui lisent que ceux qui réalisent les ouvrages, aussi bien ceux qui spéculent que le reste de la société, finalement. Comme toujours, Daniel Clowes recourt à un trait caricatural, voire grotesque, avec des visages dont les expressions font ressortir la sottise, la cupidité, le sentiment de se trouver face à un théâtre de dupes. Toutes ces petites histoires, destinées au magazine anthologique Eightball, forment un travail cohérent, qui est dans le tout haut du panier de l'œuvre de Daniel Clowes. Une œuvre qui a bénéficié d'un sacré coup de projecteur récemment, au Festival d'Angoulême avec le triomphe de Monica, son dernier album inédit en date (Fauve d'Or Prix du Meilleur Album). Parce qu'on pourra tous se reconnaître au détour des pages de Pussey !, parce qu'il est impossible de les parcourir sans s'esclaffer, on vous recommande chaudement ce petit bijou de tendresse désabusée et de causticité mordante.
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