Les Enfants endormis

Par Sebulon

Les Enfants endormis – Anthony Passeron

Éditions Globe (2022)  


En réponse à une question banale, Anthony Passeron apprend le prénom du frère de son père, cet oncle Désiré dont on ne parle jamais dans la famille. Pourquoi son père est-il allé le chercher un jour à Amsterdam ? Pourquoi cette évocation le contrarie-t-il à ce point ?

Dans la famille, tous ont fait pareil à propos de Désiré. Mon père et mon grand-père n'en parlaient pas. Ma mère interrompait toujours ses explications trop tôt, avec la même formule : « C'est quand même bien malheureux tout ça. » Ma grand-mère, enfin, éludait tout avec des euphémismes à la con, des histoires de cadavres montés au ciel pour observer les vivants depuis là-haut. Chacun à sa manière a confisqué la vérité. Il ne reste aujourd'hui presque plus rien de cette histoire. Mon père a quitté le village, mes grands-parents sont morts. Même le décor s'effondre.
Alors Anthony s'est décidé à écrire ce livre pour qu'il reste quelque chose de son histoire familiale.  
Pour leur montrer que la vie de Désiré s'était inscrite dans le chaos du monde, un chaos de faits historiques, géographiques et sociaux. Et pour les aider à se défaire de la peine, à sortir de la solitude dans laquelle le chagrin et la honte les avaient plongés.
Ce chaos du monde, c'est l'enfer de la drogue et ses conséquences, c'est à dire le Sida. C'est l'histoire que raconte ce livre, celle d'une famille entrainée par l'un des siens dans la tragédie. Mais pour en rappeler le caractère universel, Anthony Passeron raconte en parallèle l'histoire du Sida, vue de la communauté scientifique et médicale. Pour faire évoluer ses deux récits, il a pris le parti d'en alterner les chapitres et ainsi les deux histoires sont imbriquées, l'une illustrant l'autre. Et ce qui pourrait paraître théorique dans l'une vient aussitôt trouver un aspect très concret dans l'autre.

L'histoire du Sida, nous la connaissons tous, plus ou moins, mais Anthony Passeron la raconte d’une façon très claire, très simple, en rappelant les médecins et les chercheurs qui ont été importants dans les premiers temps et sur le long terme. Grâce à ce récit, on se souvient des noms, ceux qui ont été mis en avant, ceux qui ont été récompensés, ceux qui ne l’ont pas été. On redécouvre les épisodes de l’apparition de la maladie, le travail des équipes françaises et américaines et la compétition qui s'installe, les succès et les échecs, les fausses pistes, les espoirs et le combat toujours d’actualité. Et surtout, on se rappelle les peurs, l’exclusion des malades, les préjugés et la bêtise.
C’est un livre important pour se rappeler ce qu’ont été les années Sida et pour apprécier le chemin parcouru dans la lutte contre la maladie même si on attend toujours un vaccin. La route est encore longue !

J’ai beaucoup apprécié ce livre et l’alternance des deux récits, aussi intéressants et passionnants l’un que l’autre. L’histoire familiale illustre très concrètement un phénomène qui touche l’humanité toute entière et permet d’un ressentir immédiatement les aspects sociologiques et intimes. Une vraie réussite !