Chaque récit de Zweig, décidément, ne fait que confirmer mon admiration pour cet auteur. Au-delà d'un style sans la moindre fausse note (du moins dans la traduction d'Alzir Hella), il excelle dans l'observation des hommes et dans l'analyse des cœurs. Si Lettre d'une inconnue m'a semblé un chant d'amour d'une pureté inégalable, si Le Joueur d'échecs est une parfaite allégorie du traumatisme, La Confusion des Sentiments remplit à merveille la fonction assignée par son titre : amour, amitié, admiration, fascination et toutes les formes de passions se mêlent, au point de nous faire perdre la tête...
Voici la quatrième de couverture :
Au soir de sa vie, un vieux professeur se souvient de l'aventure qui, plus que les honneurs et la réussite de sa carrière, a marqué sa vie. A dix-neuf ans, il a été fasciné par la personnalité d'un de ses professeurs ; l'admiration et la recherche inconsciente d'un Père font alors naître en lui un sentiment mêlé d'idolâtrie, de soumission et d'un amour presque morbide.
Freud a salué la finesse et la vérité avec lesquelles l'auteur d'Amok et du Joueur d'échecs restituait le trouble d'une passion et le malaise qu'elle engendre chez celui qui en est l'objet.
Paru en 1927, ce récit bref et profond connut un succès fulgurant, en raison de la nouveauté audacieuse du sujet. Il demeure assurément l'un des chefs-d'œuvre du grand écrivain autrichien.
Avec ces quelques 120 pages, ce texte est celui de trois itinéraires dont le narrateur se fait le carrefour. Il s'agira pour lui de passer de l'étudiant dandy à l'étudiant sérieux, de l'homme à femmes à l'homme d'une passion, du jeune garçon sûr de lui au jeune homme déchiré. Avec lui, au carrefour, se trouve son professeur. Cet homme, aussi passionnant que passionné, est immédiatement présenté comme ambigu : il semble anéanti par l'âge ou insensible à ses ravages ; soporifique à certaines heures, transporté à d'autres ; insaisissable.
Je vous mentirais si je vous disais qu'il se passe beaucoup de choses dans cette nouvelle. Les principales émotions émanent de la contemplation, c'est un récit long par essence. Toutefois, c'est justement dans la peinture de cette lenteur, de ces scènes répétitives, de ces regards lourds, de ces silences légers ou pesants que tout se joue, comme souvent.
La jeunesse du narrateur transparait dans la naïveté qu'il montre face aux changements d'humeur de son maître. Trop sincère, trop honnête, trop sensuel dans ses relations avec les autres, il n'a pas l'étoffe nécessaire pour comprendre ce qui se joue dans les attitudes du professeur. Pourquoi semble-t-il chercher sa présence et le fuir ? Pourquoi se montre-t-il tendre puis cruel ? Amical puis glacial ? Le lecteur, lui, le comprend vite, mais ce lecteur lit presque cent ans plus tard, et, de ce fait, ne peut que s'émerveiller de la justesse de Zweig. Parce qu'ici, encore une fois, il n'y aura pas de méchant, pas de jugement, pas de condamnation. Juste de l'humanité. C'est là que Zweig excelle !...
Priscilla