Je crois que j'ai trouvé le bon moment et le bon endroit pour découvrir par les oreilles l’œuvre Riquet à la houppe d'Amélie Nothomb : balades en bord de mer avec le soleil sur le visage et parfois un peu le vent pour le côté fraîcheur. Je crois aussi que ce conte revisité par l'autrice belge met en valeur ses mots corrosifs à souhait, son humour fantastique, sa façon de contourner et de tacler avec précision et délicatesse les âmes grincheuses, malveillantes et malfaisantes. Je crois surtout que cette histoire permet d'apprécier la plume de cette autrice prolifique, peut-être plus que d'habitude, et d'une même intensité que lors de Hygiène de l'assassin (qui à ce jour est le livre que j'apprécie le plus d'elle).
Du conte de Charles Perrault, Amélie Nothomb a gardé le titre, le héros (Déodat) bossu et laid à l'intellectuel et au phrasé exceptionnels, une héroïne (Trémière) aussi belle que contemplative et naïve : deux âmes pures ébranlées par un monde cruel dans sa réalité, ébranlées mais fortes. Et c'est toute la puissance de ce récit : sa bienveillance à l'égard de ces deux héros entourés d'amour par leurs proches, la foi persistante en leurs capacités à surmonter les chagrins, les sobriquets et les mesquineries des plus petits qu'eux, leur résilience à dépasser chaque épisode traumatique avec plus ou moins d'aide extérieure.
Dans Riquet à la houppe, Amélie Nothomb quitte le monde des princes et des princesses, pour celui des oiseaux et des bijoux, mais garde la magicienne-sorcière. Comme toujours chez elle, les personnages ont des prénoms insolites : Déodat, Trémière, Lierre, Passerose, Enide, Honorat...avec toujours cette acuité de jouer avec les mots (déo, crémière). Le phrasé est impeccable et le tout est absolument cohérent.
Le choix d'Amélie Nothomb de réserver un temps certain et unique à Déodat et à Trémière et d'alterner les scènes concernant leur évolution à la fois spirituelle et sociale renforce l'urgence de leur rencontre. Par ce roman, l'autrice aborde aussi les premiers émois amoureux mais également le choc des cultures (entre les environnements familiaux de Déo et de Trémière et ceux de leurs congénères.).
La version audio de ce Riquet à la houppe sert parfaitement l’œuvre. La lectrice, Anne Kessler, incarne la lecture, use des respirations, du souffle pour appuyer les temps de conjugaison, pour mettre en valeur les saillies verbales très fines de Déodat et respecter les silences de Trémière. J'ai ri, j'ai souri, je me suis attachée à ces deux héros distants de notre monde mais dont la particularité, l'innocence et la poésie, leur questionnement et leur recul pertinent, les rendent d'autant plus précieux. J'ai apprécié le chapitre 12 des notes de l'autrice qui prolongent la lecture et rendent la fin un peu moins brutale.
Je verrai très bien le metteur en scène Joël Pommerat réinterpréter et réincarner le conte nothombien de Riquet à la Houppe et je pense que ce serait également une réussite et une plus-value artistique : je pense même que ce metteur en scène en ferait une petite perle scénographique. Parce qu'Amélie Nohomb a profondément modernisé le conte originel sans minorer la portée ni défaire le discours initial. Et cette réincarnation est intéressante et s'inscrit aussi dans ce que peut proposer Joël Pommerat au théâtre. Du bel art.
Des images à retenir : un cercle de craie effroyable, une table de kinésie sportive, des oiseaux modélisants.
Éditions Audiolib
Lecture par Anne Kessler
Emprunté à la bibliothèque.
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