Jonathan Dee, écrivain américain né en 1962, est professeur d’écriture créative à l'Université Columbia et collaborateur régulier du Harper's Magazine et du New York Times Magazine. Paru en 2023, Suger Street vient d’être réédité en poche.
Etats-Unis. Un homme en fuite au volant de sa voiture avec pour tout bagage, une enveloppe contenant exactement 168 548 dollars. Afin de mettre tous les atouts dans son aventure, il a détruit ses papiers d’identité, s’est débarrassé de son téléphone, de son ordinateur, de sa carte bancaire. Un homme sans nom, une ombre qui file sur la route, évitant les autoroutes et toutes caméras de surveillance, limitant au maximum les traces de son passage. Il cherche une ville, n’importe laquelle, où il pourra disparaître dans la masse. Une fois trouvée, il loue une chambre sordide mais indépendante dans la maison d’Autumn, une femme acariâtre, qui ne pose pas de question quand il lui paye plusieurs mois de loyer par avance en liquide. Débarrassé de sa voiture, il espère entamer une nouvelle vie, les compteurs remis à zéro…
Le roman entretient un long suspense puisque nous ne saurons jamais le nom de l’homme et ce n’est que très tardivement que nous aurons une idée de ce qui a motivé sa fuite et d’où provient son magot. Un suspense accentué par cet argent qui fond lentement, malgré la vie d’ascète que s’impose l’homme, comme un compteur dégrévant dollar après dollar, la descente vers sa fin. La situation est assez paradoxale, en s’extrayant du monde donc en s’en évadant, « il » se sent libre (inconnu de tous les systèmes administratifs et de flicage de nos activités quotidiennes) mais pour tenir dans ces conditions, il mène une vie d’ermite, ne sort quasiment pas, son espace vital se réduisant de plus en plus au fil du récit, quelques lieux dans la ville, puis sa rue seule, enfin la maison exclusivement.
La personnalité du « héros » laisse le lecteur dubitatif car toujours hésitant entre le sympathique et l’antipathique : antimilitariste, athée, critique le monde du travail, écolo pour la planète mais se fichant de l’espèce humaine, cynique et pessimiste (« Je crois dur comme fer que tout dans la société humaine et dans ce qui a trait à elle, progresse vers sa fin »).
Un roman qui traite de l’état de nos sociétés où le citoyen est un pion dans le maillage de surveillance généralisée, où il est aussi question d’immigration.
Un bon roman.