Les cheveux, un sujet pas si futile

cheveux, sujet futile

Racines (Lou Lubie – Editions Delcourt)

Depuis toujours, Rose déteste ses cheveux. Née à La Réunion d’une mère créole noire et d’un père créole blanc, elle vit comme une réelle injustice le fait d’avoir les cheveux crépus. Son rêve est d’avoir les cheveux lisses et faciles à coiffer, comme ceux de ses poupées Barbie. Tous les soirs, elle prie à genoux près de son lit pour se réveiller le lendemain matin avec des cheveux souples et soyeux, qui se balancent lorsqu’on tourne la tête. Si seulement elle pouvait avoir la chevelure fine de Sailor Moon, Britney Spears ou Avril Lavigne, trois de ses grands modèles de petite fille, elle ne ressentirait pas avec autant de douleur cette certitude de ne pas être belle. D’année en année, ses cheveux vont devenir pour Rose une véritable obsession, voire même un handicap social, particulièrement lorsqu’elle quitte La Réunion pour s’installer à Paris. Du coup, pour se conformer aux normes sociales et aux critères de beauté occidentaux, la jeune femme se montre prête à tout pour enfin avoir les cheveux lisses, y compris souffrir le martyre pour les défriser chimiquement. D’ailleurs, ne dit-on pas qu’il faut souffrir pour être belle? Une fois que les cheveux de Rose sont lisses, c’est le bonheur pendant quelques jours ou quelques semaines. Enfin, elle ressemble aux princesses ou aux filles dans les publicités pour shampoings! Mais dès qu’un cheveu un peu crépu refait son apparition sur son crâne, c’est le drame… A force de vouloir se défriser les cheveux, Rose ne risque-t-elle pas d’oublier qui elle est réellement et de gommer son identité métissée? « Racines » raconte l’histoire d’une lente acceptation de ses origines.

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Une bande dessinée de plus de 200 pages consacrée aux cheveux crépus, cela a de quoi faire peur. A priori, on se dit que ce n’est pas forcément un sujet primordial. Mais à la lecture de ce livre, on se rend rapidement compte que la chevelure est bien plus révélatrice que ce qu’on pense. Dans « Racines », l’autrice réunionnaise Lou Lubie démontre avec talent que les cheveux sont en réalité un point d’entrée extrêmement intéressant pour parler de sujets tels que le sexisme, le racisme, le colonialisme, et l’acceptation de la différence. « Racines » est à la fois un récit de vie très personnel sur une jeune femme tiraillée entre deux cultures et une enquête sociologique sur les discriminations liées aux cheveux. « Cette BD n’est pas autobiographique, mais c’est un sujet qui me concerne de près », raconte Lou Lubie. « J’ai toujours eu un rapport très compliqué avec mes cheveux frisés. Petite, je les détestais: je les trouvais moches et trop difficiles à coiffer. Comme beaucoup de femmes aux cheveux frisés ou crépus, j’ai passé une grande partie de ma vie à essayer de les lisser pour correspondre aux normes. Depuis que je les accepte au naturel, j’ai envie d’en parler pour sensibiliser à ce sujet méconnu puisqu’il touche une double minorité: les femmes et les personnes racisées. » De manière très pédagogique, avec la bonne dose d’humour et d’émotion, l’autrice explore le sujet de l’identité et du métissage à travers le cheveu afro. Au passage, elle balance quelques vérités que la plupart des blancs ignorent puisqu’on apprend que 95% des femmes afro-américaines se sont chimiquement défrisé les cheveux au moins une fois durant les 25 dernières années et qu’un adulte noir sur trois, hommes et femmes confondus, n’a jamais porté ses cheveux naturels une seule fois au cours de l’année 2016. Des chiffres étonnants qui montrent à quel point les cheveux crépus sont quasiment systématiquement dénaturés, ce qui n’est pas du tout le cas des cheveux de type européen ou asiatique. On l’aura compris: cette bande dessinée est un récit de vie touchant, mais c’est aussi et surtout une enquête passionnante sur le sexisme, le racisme et les injustices sociales. « Racines » paraîtra en librairie le 29 mai prochain.