Qui-vive – Valérie Zenatti
Éditions de l’Olivier (2024)
Mathilde est professeur d’histoire-géographie dans un collège, elle est mariée et a une fille adolescente. Depuis plusieurs mois, Mathilde vit dans le flou, encore dans le contre-coup de la pandémie liée au coronavirus et de ses confinements successifs. Elle est devenue insomniaque et a perdu le sens du toucher.
Elle subit aussi les conséquences existentielles d’autres évènements comme les attentats de 2015, la mort en 2016 de Léonard Cohen dont elle était fan, l’élection de Donald Trump, le déclenchement de la guerre en Ukraine, la mort de son grand-père, des évènements qui la concernent directement ou pas mais qui l’ont percutée.
Elle regarde en boucle une vidéo tournée à l’occasion d’un concert de Leonard Cohen à Jérusalem en 1972 lorsque le chanteur a quitté la scène parce qu’il ne se sentait pas sincère.
Un beau jour, elle annonce à son mari et à sa fille qu’elle a besoin de partir, de faire le vide. Elle se rend à l’aéroport de Roissy et monte dans le premier avion pour Israël. Commence alors pour Mathilde une errance géographique et historique, dans ce pays qu’elle ne connait pas mais où vit une partie de sa famille. Elle revisite sa propre histoire et celle d’Israël, au travers de rencontres imprévues, de discussions et de découvertes qui vont l’aider à se reconnecter à son présent et à son idole.
Difficile pour moi de parler de ce livre, assez court et pourtant très riche en impressions, en émotions et en questionnements.
Je l’ai lu assez rapidement et j’ai vite compris que j’étais passée à côté de ce que voulait nous dire Valérie Zenatti. J’ai attendu quelques jours et m’y suis replongée. J’ai bien fait, c’est un texte profond, qui nous parle de notre époque et de notre mal-être. Il montre comment on peut individuellement être affecté par la course du monde, par ce qui se passe près de soi et aussi à des milliers de kilomètres, par des évènements que l’on suit en direct et d’autres qui ont eu lieu il y a longtemps, par une mort qui touche un artiste qu’on admire ou par celle d’un proche.
Ce livre est un roman mais j’ai eu l’impression que Valérie Zenatti y mettait aussi beaucoup de ses expériences personnelles. J’ai beaucoup aimé les personnages que l’héroïne rencontre au hasard de ses déplacements, elle les rend très vivants. Ainsi, je me suis demandé si Constance Kahn, metteuse en scène d’un spectacle sur la destruction du Deuxième Temple existait réellement, pour me rendre compte, en cherchant son nom sur Internet, qu’il s’agissait d’un personnage du premier roman pour adultes de Valérie Zenatti, En retard pour la guerre (2006).
Pour comprendre la genèse de Qui-vive je conseille la lecture d’un entretien sur Tenoua.org, très intéressant.
On pourra aussi visionner la vidéo du concert de 1972 de Leonard Cohen dont il est beaucoup question dans le livre, sur Youtube, il s'agit d'un extrait du documentaire Bird on a Wire de Tony Palmer.
Dans ses sources, Valérie Zenatti cite également un documentaire de Donald Brittain et Don Owen intitulé Mesdames et messieurs, M. Leonard Cohen réalisé en 1965, visible sur le site de L’INA, à condition d’être abonné.
Un extrait page 61 :
Le décalage entre les évènements et ma capacité à les intégrer devenant un canyon infranchissable, je pensai : la membrane d’interrogations qui m’entoure étouffe chez moi la compréhension et le toucher, peut-être situés dans la même zone du cerveau. Je proposai cette hypothèse à mon médecin, qui la réfuta. Ne vous improvisez pas chercheuse en neurologie, madame Karsenti, faites les examens que je vous ai prescrits, c’est une question de vie ou de mort, je vous le dis franchement. Je ne peux pas vous forcer, vous avez votre libre arbitre mais quand même, soyez un peu responsable de vous-même. Je pris ces derniers mots à la lettre, dans un autre sens que celui où il les entendait. Je visionnai encore les quatre minutes et deux secondes de Leonard Cohen quittant la scène à Jérusalem, et je compris enfin ce qu’elles me disaient. Ici, maintenant, dans mon cours d’eau qui continuait de s’écouler.
Devant des milliers de personnes littéralement à ses pieds, Leonard Cohen osait admettre : je suis peut-être votre roi, mais ce soir je suis nu,
autant ne pas se mentir.
Il est écrit sur la quatrième de couverture, « Un roman aux multiples facettes qui confirme de manière éclatante le talent de son auteure ». Et bien, je suis tout à fait d’accord avec cela et j’ai vraiment savouré ce roman !
N.B. Comme Sally Rooney, Valérie Zenatti est fâchée avec les marques de ponctuation du dialogue et ça convient très bien à ce roman qui mêle magnifiquement interrogations personnelles et ouverture aux autres.