Avec ce recueil de nouvelles, Marguerite Duras parvient à poser des mots sur l'indicible. La Douleur décrit toutes les formes de douleur liées à la guerre, et à l'après-guerre, dont on parle moins. L'attente, l'espoir, l'enquête, la vengeance... Un panel d'émotions que l'on se retrouve à ressentir à travers l'histoire de ces personnages, à mi-chemin entre fiction et réalité.
Voici la quatrième de couverture :" J'ai retrouvé ce journal dans deux cahiers des armoires bleues de Neauphle-le-Château. Je n'ai aucun souvenir de l'avoir écrit. Je sais que je l'ai fait, que c'est moi qui l'ai écrit, je reconnais mon écriture et le détail de ce que je raconte, je revois l'endroit, la gare d'Orsay, les trajets, mais je ne me vois pas écrivant ce Journal. Quand l'aurais-je écrit, en quelle année, à quelles heures du jour, dans quelles maisons ? Je ne sais plus rien. [...]Comment ai-je pu écrire cette chose que je ne sais pas encore nommer et qui m'épouvante quand je la relis. Comment ai-je pu de même abandonner ce texte pendant des années dans cette maison de campagne régulièrement inondée en hiver. La douleur est une des choses les plus importantes de ma vie. Le mot " écrit " ne conviendrait pas. Je me suis trouvée devant des pages régulièrement pleines d'une petite écriture extraordinairement régulière et calme. Je me suis trouvée devant un désordre phénoménal de la pensée et du sentiment auquel je n'ai pas osé toucher et au regard de quoi la littérature m'a fait honte. "
Voici une lecture qui m'a aspirée et dont j'ai dû sortir parfois de force pour reprendre de l'air, moins vicié, plus pur. C'est une plongée dans une époque absolument terrible, on se retrouve en France au lendemain de la défaite de l'Allemagne et les Français découvrent avec effroi les horreurs nazies et attend, attend de savoir qui a survécu, qui arrive, qui est mort. C'est terrible, cette attente, ce grand écart entre l'espoir et le désespoir, ce passage constat de l'un à l'autre. Le cœur bat plus vite à chaque sonnerie du téléphone et la désillusion est, à chaque appel, plus violente. Et puis, tout à coup, il y a la réalité. Alors qu'on n'était pas prêts à l'affronter. Cette réalité, c'est que même quand les hommes ont survécu, quelque chose est mort.
Avec un style ciselé et incisif, Marguerite Duras nous plonge dans l'horreur d'une société dont la haine ne parvient pas à sortir, elle qu'on a incrustée en chacun de ses individus pendant six années. Il n'y a pas encore de liberté, il y a la peur, la méfiance, la vengeance et la douleur. Que les nouvelles soient complètement autobiographiques ou fictives, on y sent l'empreinte d'un traumatisme, on devine à quel point les gens ont changé. Tout est empoisonné : l'amour, le désir, l'amitié. Il n'y a plus rien de pur, de désintéressé et il n'y a plus d'espoir. " Sombre " est l'adjectif qui me vient en premier pour qualifier ma lecture, " humain " est le second.
Tout ne se termine pas mal. Rien ne se termine d'ailleurs. Tout est profondément envenimé, sans antidote envisageable. La torture est partout : les déportés reviennent avec des séquelles, les résistants avec des traumatismes physiques des tortures de la Gestapo, les uns avec des envies de meurtres, les autres avec des souvenirs de meurtres. Les femmes deviennent cruelles, les hommes deviennent lâches, plus rien n'est stable. L'écriture est juste, sans fioritures, sans manichéisme. Beaucoup de coupables, autant que d'innocents. Et le constat amer que c'est surtout l'humanité qui a perdu cette guerre. Un texte qui, pour moi, sera inoubliable.
Priscilla