En deux mots
C’est l’histoire d’une mort atroce, par overdose. C’est l’histoire d’un frère qui n’a pas pu ou su protéger sa sœur de son addiction. C’est l’histoire d’une vie et celle d’un amour tissé dans l’enfance et qui va perdurer au-delà de la mort.
Ma note
★★★ (bien aimé)
Ma chronique
Chant d’amour à la sœur défunte
Le premier roman d’Antoine Catel raconte la relation entre un frère et sa sœur. Un frère, le narrateur, qui n’aura pas pu éviter la mort par overdose de sa sœur. Poignant.
Le grand frère aura essayer de sauver sa sœur. En vain. Aussi décide-t-il de prendre la plume pour dire son désarroi, crier sa colère et raconter leur vie commune jusqu’au jour où on lui a annoncé la terrible nouvelle: « Overdose.
Ce mot me fait atrocement mal.
La petite sœur a fait une overdose et je n’étais pas avec elle, elle est morte seule, toute seule, terrifiée peut-être d’être si seule. Je n’étais pas là, je n’ai rien pu faire. Elle a fait une overdose loin de nous, loin de tout, loin de moi. Courbé sur la cuvette, je vomis. Le ventre transpercé de douleur. J’ignore ce qu’est le courage. »
Tout avait pourtant si bien commencé. Au gré des affectations de son père et après différents séjours heureux en Afrique, de la Mauritanie à la Côte d’Ivoire, la famille avait regagné la France, notamment pour les études supérieures de la petite sœur. C’est après son inscription en médecine que les choses ont commencé à vraiment se gâter. Même si la drogue n’a pas altéré ses résultats – elle a allègrement passé les premières années – elle a fini par la ronger.
D’une fille belle, intelligente et brillante, qui avait tout pour réussir, elle va s’enfoncer dans un enfer dont elle ne pourra sortir.
Pourtant, elle a fini par comprendre qu’elle devrait se soigner. Elle s’était éloignée de ses habitudes nocives et était partie en Guadeloupe en cure de désintoxication. La cruelle ironie du sort veut que sa fin tragique survienne quelques jours après une nouvelle cure. Un signe fort pour son frère, persuadé qu’elle allait s’en sortir et d’autant plus choqué par cette fin brutale et injuste.
Antoine Catel raconte cette relation, ce sentiment de colère mêlé à de la culpabilité, avec le regard plein d’incompréhension du frère. Ce faisant, il dit aussi la force de l’amour qui le lie à celle qu’il vient de perdre. Un récit poignant qui signe une entrée en littérature par la grande porte.
NB. Tout d’abord, un grand merci pour m’avoir lu jusqu’ici ! Sur mon blog vous pourrez, outre cette chronique, découvrir les premières pages du livre. Vous découvrirez aussi mon « Grand Guide de la rentrée littéraire 2024 ». Enfin, en vous y abonnant, vous serez informé de la parution de toutes mes chroniques.
Incendie Blanc
Antoine Catel
Éditions Calmann-Lévy
Premier roman
162 p., 19,50 €
EAN 9782702185926
Paru le 4/01/2023
Où ?
Le roman est situé à Paris. On y évoque aussi la Mauritanie, avec Nouakchott et Nouadhibou, le Cameroun avec Yaoundé et Garoua, la Côte d’Ivoire et Abidjan. Parmi les autres destinations citées, on trouve La Réunion et la Guadeloupe, New York, Londres, l’Indonésie, le Kenya, la Floride, le Maroc, la Guyane, le Cap-Vert, Rome ainsi que les bords du Léman, à Villeneuve, Montreux et Vevey.
Quand ?
L’action se déroule de nos jours.
Ce qu’en dit l’éditeur
« Toute sa vie la petite sœur a été vieille. Ça avait démarré très tôt. Dès le moment où, au fond de la brousse africaine, on avait commencé à la surnommer “la vieille” à cause de son drôle de regard, vieillir était devenu plus inéluctable pour elle que pour les autres Hommes. »
Ainsi commence cette lettre d’amour d’un grand frère à sa petite sœur, partie trop tôt. Elle est brillante, belle, aimée mais trop intelligente, trop sensible, trop fragile en un mot pour le monde qui l’entoure. Elle a beau être le centre de sa famille, réussir ses études de médecine, sembler être à sa place partout, elle se débat avec de nombreux démons. Il n’y a que dans la nuit parisienne, la fête, qu’elle a l’illusion d’être comme les autres.
La cocaïne qui, au départ, l’aide à s’oublier, à se fondre dans la foule, devient bientôt son fardeau. Elle essaie de s’en sortir, mais la bataille est inégale. De nuits blanches en cures de désintoxication, d’espoirs en rechutes, Antoine Catel raconte la peur, l’impuissance, la culpabilité, mais aussi l’amour immense et la trace indélébile que la petite sœur a laissée.
Les critiques
Babelio
Lecteurs.com
Blog Domi C Lire
Blog Vagabondage autour de soi
Blog Les Livres de Joëlle
Blog de Kitty la Mouette
Blog Les chroniques de Koryfée (Karine Fléjo)
Blog Baz’Art
Antoine Catel présente son premier roman, « Incendie blanc » © Production Éditions Calmann-Lévy
Les premières pages du livre
« Toute sa vie la petite sœur a été vieille.
Ça avait démarré très tôt. Dès le moment où, au fond de la brousse africaine, on avait commencé à la surnommer « la vieille » à cause de son drôle de regard, vieillir était devenu plus inéluctable pour elle que pour les autres Hommes. La petite sœur avait vieilli bien avant de grandir. Malgré son intelligence d’envergure, elle avait vite oublié cet étrange surnom, mais elle n’était alors encore qu’une toute petite fille. Elle n’avait pas non plus pensé à remercier ces prospecteurs pour leur découverte – c’est une erreur très commune de croire que les surnoms sont de pures inventions. Seuls ces anciens des villages alentour, restés impassibles, avaient su admettre la petite sœur dans leur temps d’Hommes. Les autres villageois, frappés d’étonnement, avaient blêmi comme un seul visage devant cette anormalité première, devant tant d’usure dans des traits enfantins. Car il était bien sûr anormal pour la petite sœur d’être vieille tout en étant une enfant. Cela aurait signifié que la vie s’écoulait à l’envers, or les torrents ne remontaient pas les sommets, ni en Afrique ni sur aucun autre continent. L’odeur du bébé, ses maladresses, l’agitation constante de ses mains minuscules, étaient des attributs de l’enfance. Mais ce regard picoré d’yeux d’une sévérité perpétuelle, ce regard qui gênait, se posait partout, trop longtemps, trop intensément… vieillerie. Ils avaient pensé, ces visiteurs temporaires et oubliés, que ça n’était pas normal ces yeux-là, que tout était sombre chez elle, et vieux. Ils se l’étaient dit entre eux, tout bas, respectueux (terrifiés), sans oser l’expliquer à notre mère, que ce bébé n’était pas normal. Notre mère ne se l’était pas entendu dire ; l’étrangeté précoce de sa fille n’avait pas été dénoncée à haute voix. Pour autant, elle le savait bien et elle se disait en le berçant doucement que oui, décidément, ce bébé-là, cet enfant sans âge, avait tout d’inhabituel.
Moi, je me souviens que j’étais comme ma mère et les autres : ému par ma petite sœur vétuste qui semblait contenir toute la solennité africaine dans ses pupilles. Dès sa naissance dans la brousse, je l’avais trouvée différente, je l’avais trouvée intense et tutélaire, j’avais pensé qu’elle était en quelque sorte de l’Histoire. Car même si j’avais d’abord refusé de le concevoir, il se trouve qu’elle avait tout façonné dans ma vie : elle était une exigence nécessaire qui avait créé un monde. J’avais donc passé de longues heures, penché au-dessus du berceau, à m’interroger sur ce que cette particularité incrustée dans ses yeux pouvait bien signifier.
Sans jamais rien comprendre.
Puis, finalement, le temps avait défilé comme une belle image et il y avait eu à chaque fois un peu plus d’elle dans mon être et dans mon cœur. Et je m’étais rapidement pris à l’aimer sans réserve et en dehors de toute raison.
Je ne devais réaliser que bien plus tard, au crépuscule de notre vie, à quel point cette vieillesse intransigeante – qui transperçait par son regard le masque d’une jeunesse de simulacre – recelait l’essence de la petite sœur et toute son énigme.
la petite sœur pour toujours
Elle est morte.
Des mots qui annoncent une sentence qui défigure. Une réalité capitale.
Tout commence et finit toujours par des mots.
Les mots.
Les premiers que l’on profère.
Le dernier soupir exhalé.
Les mots sont le carcan des vies humaines.
La musique. Ça lui manque, ici, la musique. Beethoven et Chopin lui manquent. Satie aussi. Heureusement, il y a ce vieux piano endormi dans le couloir de l’entrée. Elle passe tous les jours devant pour se rendre au réfectoire. Alors elle va demander une autorisation. C’est la règle pour toute chose à l’intérieur. Aucune exception.
Un été à Paris
La petite sœur a vingt-deux ans
Dehors le vent ne souffle pas
À l’intérieur, elle joue.
Elle est un peu rouillée, comme le piano d’ailleurs. Ça les rapproche. Ses mains tremblent de manière constante depuis qu’elle est ici. Mais elle a tant besoin de musique entre ces murs à la blancheur inquiétante.
Alors elle joue – les notes se répandent dans le bâtiment. Elles impriment à sa nudité la couleur de l’inédit.
Tout en faisant courir ses doigts sur l’ivoire, la petite sœur songe à Papou notre grand-père. Ils ont tissé des liens si particuliers à l’ombre des Gymnopédies. C’est la femme d’un de ses amis, un pianiste aveugle, qui commence à donner des leçons à la petite sœur. Elle avait dix ans. Papou est aussi un musicien émérite. Des journées entières seront dévorées par leurs quatre-mains. Des quatre-mains plus que de musique, des duos de structure et d’amour qui achèveront le lacement de leurs âmes. Des doigts qui dévalent les touches, les arpentent, des mains qui effleurent leurs passions partagées : le piano, la médecine et notre grand-mère Mamine. Des quatre-mains qui feront dire à la petite sœur qu’elle n’aura plus de raison de vivre quand ses grands-parents mourront.
Elle joue encore.
La petite sœur joue ici, sur le vieux piano, car elle est toxicomane. À l’extérieur, elle consomme de la cocaïne tous les jours. Une dizaine de traces de coke en une seule journée. Parfois même un gramme entier. Ce sont les « descentes » qu’elle ne supporte plus. Ces dépressions subites et incontrôlables qui suivent mécaniquement la fin de l’euphorie provoquée par la came. C’est au cours de l’une d’elles qu’elle a accepté mon idée de se faire interner en désintox. Il n’existe pas de médicament de substitution pour la cocaïne. Alors la petite sœur s’y débat seule et avec bravoure contre un lutteur invisible. Un fardeau crépusculaire. Elle se bat de toutes ses forces avec cette dignité obstinée des moucherons qui s’écrasent contre les lampes pour un peu de lumière.
D’autres êtres se démènent avec elle. Un blouson de cuir aux épaules, l’iris argenté comme l’eau du port de Saint-Nazaire, sa ville natale. Michel appartient à cette classe de motards un peu désuète qui se battaient à coups de chaînes de vélo dans des faubourgs interdits. Il semble très préoccupé par la petite sœur, très attentif. Il veille sur elle constamment, tel un père. Alcoolique, il s’est donné pour objectif de l’aider à s’en sortir. Comme si la guérison de la petite sœur devait préfigurer la sienne.
Les notes du piano continuent de s’égrener. L’autre grand ami de la petite sœur à l’intérieur l’écoute religieusement. Assis à sa droite. Il se nomme Frédéric. Il est bien différent de Michel, son exact opposé. Accro aux opiacés, Frédéric porte constamment un col roulé noir. Son vêtement lui dessine un visage noble et instinctif. Sa voix, mesurée et calme, se pose sur toutes les choses, les entoure d’une tonalité moelleuse. Elle semble caresser l’épiderme plus qu’elle ne fait vibrer les tympans. Sans que je sache bien pourquoi, sa présence me dérange.
Cocaïne, alcool, morphine, jeux d’argent, héroïne, sexe, opium, méthamphétamine, médicaments en tout genre : psychotropes, calmants, euphorisants… Les patients savent tout de leurs addictions respectives. C’est même parfois la première question qu’ils se posent en arrivant. Mais ces êtres du dedans regardent ceux du dehors avec un mélange de curiosité et de méfiance. C’est la petite sœur qui m’a expliqué pour Michel et Frédéric lors d’une de mes visites hebdomadaires. Chaque semaine, j’apporte des nouvelles de l’extérieur. Papou, notre sœur Sophie… elle désire être certaine qu’ils vont bien. Qu’ils en savent le moins possible pour la coke. Chaque semaine, elle me joue un air au piano puis on va marcher ensemble dans le jardin. Elle aime regarder les rosiers en fleurs sous le soleil d’été.
La petite sœur joue toujours sur le vieux piano.
Les durées s’écrasent contre ces murs. Le temps ne passe pas à l’intérieur.
Depuis qu’elle est accro à la coke, la petite sœur ne vieillit plus.
Elle joue…
Seule la musique agite un peu le lien endormi des âmes avec le réel.
la petite sœur pour toujours
Je me rappelle si bien la rage de ce jour-là. Son immonde absolu. Je pourrais retrouver la position de chacun de mes pas lorsque je me suis mis à courir vers chez nous, comme s’ils s’étaient fondus dans le goudron de Paris.
Cours, cours, cours… je cours comme un fou jusqu’à l’appartement où la petite sœur est, depuis peu, revenue vivre avec notre sœur Sophie et moi. C’est cette dernière qui m’a envoyé un texto pour m’annoncer la mort de la petite sœur, tombée comme un couperet. J’ignore comment elle a pu l’écrire. Mais je sais comment j’ai fait pour le lire : je n’y ai pas cru. Tout simplement. Tout bêtement. Un refus, un refus impossible à brader contre la réalité plus impossible encore. Un non hurlé si fort contre le silence aberrant qui va se faire. Une révolte inutile et désespérée contre cette insulte à tout ce qui fait que la vie est belle.
Contre la possibilité pour son sourire de s’éteindre. »
Extrait
« Overdose.
Ce mot me fait atrocement mal.
La petite sœur a fait une overdose et je n’étais pas avec elle, elle est morte seule, toute seule, terrifiée peut-être d’être si seule. Je n’étais pas là, je n’ai rien pu faire. Elle a fait une overdose loin de nous, loin de tout, loin de moi. Courbé sur la cuvette, je vomis. Le ventre transpercé de douleur.
J’ignore ce qu’est le courage. » p. 56
À propos de l’auteur
Antoine Catel © Photo DR
Antoine Catel est né en 1993. Il a étudié le droit et l’action humanitaire à Sciences Po. C’est un ancien athlète de haut niveau, spécialisé dans le plongeon. Il travaille aujourd’hui entre Paris et l’Afrique subsaharienne pour des missions humanitaires. Incendie blanc est son premier roman. (Source : Éditions Calmann-Lévy)
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