Finaliste du Prix Evok 2024
En lice pour le Prix Françoise Sagan 2024
En deux mots
Après avoir vécu aux Pays-Bas, la narratrice s’installe en France avec sa famille. Un grand père qui perd la mémoire, un père proche du burn out, un frère qui suit les traces de son père et devient pasteur, autant de souvenirs pour une jeune fille qui se construit entre deux cultures.
Ma note
★★★★ (j’ai adoré)
Ma chronique
Retour dans la famille des pasteurs
C’est indéniablement l’une des bonnes surprises de l’année. En déroulant la chronique d’un séjour dans la maison de son enfance, Emma Doude van Troostwijk construit un roman dans lequel la nostalgie se dispute à la poésie. Une écrivaine est née !
Après plus d’un an d’absence, la narratrice revient séjourner dans la maison familiale au bord de la Mer du Nord. Elle y retrouve ses grands-parents, Opa et Oma, ses parents qui officient comme pasteurs pour la communauté protestante et son frère Nicolaas qui a choisi de suivre la route tracée par son père. Il termine sa formation pour devenir à son tour pasteur.
Dans sa poche, une photo du Presbytère, ce bâtiment pas ou peu entretenu où elle habitait en France. « Je ne reconnais pas la façade mangée par le lierre sur tout le côté droit. La balançoire au fond du jardin disparaît derrière les herbes hautes et le fromental jamais coupés. Le cerisier a grandi. Le petit étang où je jouais à ramasser des têtards est rempli de vase. »
On sent qu’ici on a laissé la nature reprendre ses droits et la vie s’écouler avec nonchalance. Il faut dire que les circonstances sont atténuantes. Le grand-père perd la mémoire, le père a fait un burnout et se remet doucement, le frère est plongé dans ses livres afin de préparer au mieux son ordination et devenir à son tour pasteur. Il n’y a guère que les femmes pour avoir encore les pieds sur terre, faire tourner la maison, poser des post-it dans la cuisine, devenus ici plus que jamais des aide-mémoire dans des esprits où elle s’enfuit.
C’est aussi avec les bruits et les odeurs de l’enfance que la narratrice va reprendre possession de sa chambre et se remémorer ses années françaises, cherchant aussi à travers la langue les belles nuances qui séparent les deux cultures. « Il ne faudrait pas dire nature morte. Il faudrait dire vie silencieuse. Stilleven. »
C’est l’autre intérêt de ce roman d’une profonde sensibilité, cette exploration des différences entre le français et le néerlandais, à ces subtilités de traduction. Ainsi, ne tenir qu’à un fil se dit aux Pays-Bas, « appartenir au jour » Het zijn mensen van de dag.
La poésie qui naît de ce double langage, sublimé par le choix du mot juste, simple mais riche d’une grande force d’évocation, emporte le lecteur dans un cocon de nostalgie d’autant plus précieux que l’on sent qu’il est en train de disparaître, emporté par le vent du nord.
La primo-romancière a bien raison de citer Avant que j’oublie, d’Anne Pauly comme filiation possible à ce roman singulier qui enfile les petites histoires comme des perles pour former un collier qui brille de mille reflets d’or.
Ceux qui appartiennent au jour
Emma Doude van Troostwijk
Éditions de Minuit
Premier roman
176 p., 17€
EAN 9782707349484
Paru le 2/01/2024
Où ?
Le roman est situé aux Pays-Bas, du côté de Rotterdam et en France où il n’est pas précisément situé.
Quand ?
L’action se déroule de nos jours.
Ce qu’en dit l’éditeur
« Je voulais raconter ça, l’histoire d’une famille de pasteurs qui perd la mémoire. Traiter d’un drame, avec le plus de lumière possible. » E. D. v. T.
Le temps d’un séjour de quelques semaines dans sa maison d’enfance, la narratrice raconte ses retrouvailles avec sa famille, où, depuis trois générations, hommes et femmes ont choisi le métier de pasteur. Mais quand elle arrive, quelque chose de cet ordre ancien s’est profondément déréglé.
Les critiques
Babelio
Lecteurs.com
Maze (Marie Viguier)
En Attendant Nadeau (Feya Dervitsiotis)
Collateral (Johan Faerber)
Le littéraire (Jean-Paul Gavard-Perret)
RTBF (Sophie Creuz)
Reforme.net (Isabelle Wagner)
Emma Doude van Troostwijk présente son premier roman « Ceux qui appartiennent au jour » © Production Librairie Mollat
Les premières pages du livre
« Mes pieds disparaissent dans le mou du sable. Les orteils sont recouverts par la mer qui monte. Mes amis rient. Ils me tendent une bière. L’enceinte Bluetooth diffuse Drank en drugs de Lil’ Kleine. À côté de moi, une fille à la peau brune gonfle les joues de douleur en sortant de l’eau glaciale. Elle se hisse sur la digue et court jusqu’au sac de plage vert pomme. Kijk Mama. Sa mère l’applaudit. Elle emmitoufle le petit corps dans une serviette Barbie rose et bleue, frotte. Derrière moi se détachent les hautes tours de Rotterdam.
Je garde dans ma poche, comme un secret, la photo de l’arrivée en France de mes parents. Sur l’image, le jeune visage de Mama, binocles ronds, cheveux longs sur les épaules, pose un baiser dans la nuque de Papa. Son ventre est arrondi. Derrière eux, un panneau indique en lettres capitales PRESBYTÈRE.
Je ne suis pas rentrée à la maison depuis plus d’un an. Je m’allume une cigarette. Sterre me demande comment se sont passées les auditions. Je dis, goed, c’était une scène de la pièce The Father. La lumière froide de la mer du Nord me fait cligner des yeux. Mon nez se fronce. Je respire.
Je descends le chemin escarpé menant au Presbytère. Le garage au fond de la cour a perdu la quasi-totalité de sa peinture, les barrières vertes sont rouillées. Les trois étages sont éteints. Quelques tuiles se sont écrasées à gauche du toit. La lumière du porche ne s’allume plus à mon passage. Je ne reconnais pas la façade mangée par le lierre sur tout le côté droit. La balançoire au fond du jardin disparaît derrière les herbes hautes et le fromental jamais coupés. Le cerisier a grandi. Le petit étang où je jouais à ramasser des têtards est rempli de vase. Je grimpe les quatre marches en béton jusqu’à l’entrée. Je serre la clé ronde entre le plat du pouce et la tranche de l’index. La porte s’ouvre. Je lève les yeux. J’aperçois, au fond du couloir étroit, la salle paroissiale au rez-de-chaussée. J’en sens l’odeur d’abord. Feu de bois mélangé à du vin premier prix. Au bout de la table pliable, sous une icône représentant Jésus au Mont des Oliviers, mes parents se tiennent les mains.
Mon grand-père est installé dans son vieux fauteuil à bascule. Ses pieds emmitouflés dans des chaussettes dépareillées effleurent la moquette du salon. Le thermostat indique vingt-cinq degrés. Les yeux de Opa balancent de droite à gauche, de haut en bas. Ils essayent de s’accrocher à quelque chose. Quand j’arrive dans son champ de vision, le regard de mon grand-père se fixe. Il tend la main et dit, enchanté de vous rencontrer madame, je vous attendais.
Le jardin du Presbytère que Papa a toujours rêvé à la française, avec des haies bien coiffées et des allées disciplinées, ressemble en réalité à un terrain vague. Le potager, où les enfants de l’école du dimanche apprennent à distinguer les canneberges des groseilles, est laissé à l’abandon. Nicolaas s’est mis en tête d’y mettre de l’ordre, sans aucune compétence en jardinage. Il passe des journées entières, la taille entourée de ronces, à se battre avec un sécateur émoussé qu’on n’allait tout de même pas jeter. Papa le regarde, installé sur le rebord de la fenêtre de son bureau. Le pull blanchi par le crépi de la façade, les cheveux ébouriffés, il surveille.
Depuis mon arrivée, Papa ne bouge pas. Le lit a pris la forme de son corps, une forme trop grande, celle des anges que l’on dessine dans la neige. Sur le banc en fer en dessous de la fenêtre, des tas de journaux non triés s’accumulent. Je passe des heures à regarder mon père s’assoupir et se réveiller. Je veille à changer l’eau de la cruche 500 ans de la Réforme. Je compte les cachets. Quand il rentre de son stage, Nicolaas s’allonge près de nous. Il dépose un baiser sonore sur le front de Papa et dit, plus qu’un mois et je suis pasteur, t’imagines ? Mon père se redresse un peu, tapote l’épaule de mon frère et dit, et moi je suis devenu homme au foyer. Ils rient. Nicolaas sort le nécessaire à rouler du tiroir de la table basse. Il coince un filtre à la commissure des lèvres, effrite un peu le tabac avec les ongles, tasse ce qui reste dans le papier transparent, le coince avec les pouces et roule la cigarette d’un geste maîtrisé. Il lèche le papier, tend la cigarette à Papa et dit, et hop une allumette, t’es épaté non ? Ils s’installent confortablement, coussins derrière le dos, sortent un jeu de tarot et jouent en silence.
Je suis installée de biais, de manière à ne voir du visage de Opa que la haute crête du front plié, la vallée s’étendant du creux du nez jusqu’à l’œil gauche, la rivière des lèvres. La peau pendante de son cou qui rougit, transpercée par le faible soleil du mois de mars. Les cafés servis par Oma dans des tasses aux motifs anciens. Du bleu de Delft. Deux cuillères à sucre dans le café au lait, deux gâteaux le matin et un l’après-midi. Nos deux corps immobiles dans la lumière.
Il ne faudrait pas dire nature morte. Il faudrait dire vie silencieuse. Stilleven. »
Extraits
« La porte de la salle de bains est entrouverte. La lumière est dessinée par une vapeur dense qui colle aux yeux. Les carreaux blancs et noirs sur lesquels j’ai joué petite sont recouverts d’une pellicule d’eau qui glisse jusqu’à l’entrée. La baignoire est une cascade. Je m’avance. Les chaussettes se mouillent sous mes pieds. Mes lunettes se couvrent de buée. Papa ? L’humidité se dépose sur mes vêtements. Papa ?
À côté du téléphone noir de son bureau, Mama a noté sur un coin de papier, je ne sais pas s’ils seront encore là demain. Elle a entouré au Bic rouge ils appartiennent au jour, het zijn mensen van de dag. Elle a souligné deux fois au jour. » p. 99
« Je ne pensais pas retrouver mes deux enfants un jour. Nous sommes assis tous les quatre sur le balcon du Presbytère. La chemise de Nicolaas est ouverte. Mama, pieds nus, lit allongée sur un transat. Papa fume, les yeux dans le vague. Je suis content que vous soyez là. De la porte du salon restée ouverte s’élève La Solitude de Barbara. Si c’était un film, nous en serions à la dernière scène. Un happy end rétro sur la terrasse d’une maison. La caméra qui s’éloigne, laissant derrière elle une famille qui se retrouve enfin sous le soleil timide du mois de mai. » p. 128
« En français ils ne tiennent qu’à un fil. En néerlandais ils appartiennent au jour. Het zijn mensen van de dag. » p. 134
« Mes amis demandent, waar ben je ? tu reviens quand ? Sterre écrit, tu nous manques. Je verrouille mon smartphone. Par la fenêtre du vieux Kangoo je regarde passer les barrières rouillées. La façade en crépi du Presbytère devient minuscule, l’étang n’est qu’une petite tache verte au loin. Bientôt on dépasse la forêt, le panorama, le banc où l’on pouvait rester assis pendant des heures enfants. On arrive au niveau du temple. J’observe le grand clocher en ardoises qui s’amenuise avant de disparaître tout à fait derrière les arbres tandis que, devant nous, la route s’ouvre. » p. 175
À propos de l’autrice
Emma Doude van Troostwijk est née en 1999. Ceux qui appartiennent au jour est son premier roman. (Source : Éditions de Minuit)
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