Silence d’amour (Matthieu Parciboula – Editions Casterman)
« À tout à l’heure. C’est la dernière chose que je lui ai dite. J’avais dans la voix l’insouciance et la désinvolture de ceux bien installés dans la certitude du quotidien. Le matin, je me réveillais heureux sans le savoir. Ma vie, sans être facile, était belle. Je disais « à tout à l’heure » à ceux que j’aimais. J’avais oublié depuis longtemps que parfois on part sans revenir. » Depuis la disparition brutale de sa compagne Sofia il y a six mois, Paul est dévasté par le chagrin et l’absence. Teint gris et mine blafarde, il n’est plus que l’ombre de lui-même. Il ne sort quasiment plus de son appartement, il ne veut voir personne et surtout, il n’a plus envie de rien. Sans Sofia, la vie lui paraît tout simplement insupportable. Plus moyen non plus d’écrire la moindre ligne, ce qui est plutôt embêtant quand on est romancier. Pour s’assurer de ne pas oublier la voix de sa chère et tendre, il réécoute régulièrement le dernier message vocal qu’elle lui a laissé sur son téléphone. Forcément, ce n’est pas idéal pour commencer à faire son deuil, d’autant plus que Paul continue à voir Sofia un peu partout autour de lui. Son ami Giovanni s’inquiète de le voir s’enfermer dans cet état de tristesse permanente. Pour essayer de lui changer les idées, il l’invite à venir passer un peu de temps dans sa maison familiale en Toscane, un vrai petit coin de paradis. Paul accepte, mais uniquement parce qu’il y voit la possibilité de faire un voyage sur les traces de Sofia, et de sa vie en Italie. C’est comme ça que Paul se retrouve finalement sur l’île de Stromboli, là où sa compagne disparue a passé son enfance. Parviendra-t-il enfin à retrouver la paix intérieure en marchant dans les pas de celle qui n’est plus là? Ce voyage en Italie lui permettra-t-il de boucler la boucle pour pouvoir repartir de l’avant? Ou s’agira-t-il de l’épreuve de trop pour cet écrivain tourmenté?
Quand on découvre la BD « Silence d’amour », on pense forcément à la trilogie italienne d’Alfred (« Come Prima », « Senso », « Maltempo »). On y retrouve cette même douceur de vivre à l’italienne, cette même ambiance mélancolique, cette même lumière, cette même musicalité. Pour se mettre dans la bonne ambiance, il y a d’ailleurs une playlist proposée à la fin de l’album, dans laquelle figure « Silenzio d’amuri », la chanson sicilienne qui donne son nom à ce roman graphique très réussi. Le jeune auteur strasbourgeois Matthieu Parciboula ne s’en cache pas: Alfred fait partie des auteurs de BD qu’il admire, au même titre que Cyril Pedrosa ou David Sala. C’est d’ailleurs avec ce dernier qu’il a suivi ses premiers cours d’illustration et de bande dessinée dans une médiathèque, alors qu’il avait seulement treize ans. Mais de son propre aveu, c’est avant tout le cinéma qui l’inspire. Et c’est vrai que dans « Silence d’amour », il y a aussi une bonne dose de Nanni Moretti. La Vespa, le séjour sur une île, tout cela fait furieusement penser à l’inoubliable « Journal intime ». Cela dit, ce serait réducteur de limiter « Silence d’amour » à ses clins d’oeil à Alfred ou à Nanni Moretti. Car c’est aussi et surtout un livre très personnel, qui révèle tout le talent de Matthieu Parciboula. Ce jeune auteur prometteur, qui avait signé une première bande dessinée en 2019 sur les étrangers en situation irrégulière a l’aéroport Roissy-Charles-de-Gaulle (« Prisonniers du Passage »), prend véritablement son envol avec cet album aux planches lumineuses, qui nous transporte en Toscane, en Campanie et à Stromboli, tout en nous faisant ressentir toute la noirceur que l’on peut éprouver lorsqu’on est brutalement coupé de l’être qu’on aime le plus au monde. « Silence d’amour » est un album entre ombre et lumière, dessiné sur papier et en couleurs directes par Matthieu Parciboula, qui aime travailler à l’ancienne, contrairement à la plupart des auteurs de son âge. Ses planches sont d’une grande sensibilité. Elles soulignent merveilleusement la perte inconsolable, mais aussi la présence permanente de l’être disparu, à l’image de la couverture de l’album, où on devine Sofia à côté de Paul. « Silence d’amour » est un album personnel, mais pas autobiographique. Heureusement pour lui, Matthieu Parciboula n’a encore jamais été confronté à un drame tel que celui vécu par Paul, mais le deuil et la disparition sont des questions qui le travaillent. « La réalisation de ce livre a été pour moi comme une manière de m’y préparer », souligne l’auteur, qui a écrit cette bande dessinée au moment où il se séparait de sa compagne. Et puis bien sûr, il y a l’Italie, qui joue un rôle essentiel dans cette BD. « Je suis amoureux de ce pays », dit Matthieu Parciboula. « Avant même de commercer à travailler sur ce roman graphique, qui m’a quand même pris trois ans et demi, je savais que c’était là que je voulais situer mon récit. » Alors qu’il coinçait sur le scénario, il a d’ailleurs été vivre pendant un certain temps à Stromboli, afin de mieux s’imprégner des lieux et de l’ambiance. Certains personnages que l’on croise dans l’album existent donc réellement, de même que la maison de Paul. On l’aura compris: « Soleil d’amour » est l’une des toutes bonnes surprises de 2024. Un coup de coeur.